Du 9 au 11 juin, une trentaine de stagiaires des deux promotions de la formation OSEE se sont retrouvés pour réfléchir ensemble à ce que leur avait apporté cette expérience et à la manière de poursuivre ce projet.
“Cette rencontre est un temps fort qui nous donne beaucoup d’énergie pour la suite”, estime Eric Bourcier, co-pilote de l’expérimentation OSEE (Osons les savoirs de l’expérience de l’exclusion), après trois jours intenses de travail et de retrouvailles pour les stagiaires des deux promotions. Certains ont terminé leur formation il y a deux ans, d’autres sont encore en train de se préparer pour intégrer une école dans les domaines de l’intervention sociale, de l’animation et de la petite enfance, mais tous ont conscience du chemin parcouru depuis qu’ils ont intégré OSEE.
“Avant, je ne savais pas de quoi j’étais capable, parce que je n’avais pas pu aller à l’école. La formation m’a permis de retrouver ma place de femme et de maman. J’étais la personne qui faisait fonctionner le foyer, la formation m’a aidée à trouver une place importante pour apprendre et transmettre ce que j’ai appris. Grâce à elle, j’ai appris que j’avais une place dans une famille”, témoigne ainsi une stagiaire. “OSEE, c’est un pied de nez au système scolaire, qui prend les meilleurs et met en stock les autres quelque part. OSEE a permis à pas mal d’entre nous de dire ‘finalement je peux faire des choses’, de faire l’inventaire de nos aptitudes et connaissances”, ajoute un autre.
“Un pas important”
Cette année de formation pré-qualifiante avait pour but de leur apprendre à valoriser leurs compétences acquises au cours de leurs expériences de vie et de leurs engagements associatifs. Il s’agissait aussi de leur permettre de se mettre à niveau et de mieux connaître les métiers qu’ils souhaitent exercer. Plusieurs d’entre eux ont trouvé un travail, pas forcément dans le domaine du social, d’autres sont en formation, cherchent encore leur voie ou doivent faire face à des difficultés au quotidien qui les empêchent pour l’instant d’envisager plus sereinement l’avenir.
Mais en prenant le temps, pendant ce week-end, de se retourner sur leur parcours, la plupart savent qu’ils ont fait “un pas important”. “J’ai appris à me connaître, j’ai avancé. Aujourd’hui, je sais que faire une formation ne me convient plus, mais j’ai trouvé du travail et un travail qui me porte, avec des enfants”, souligne une stagiaire. “Dès qu’il y a une difficulté, on se démotive très vite, c’est compliqué de remonter quand on subit un échec. Mais on ne sort pas non plus inutile d’une formation, on apprend à aller de l’avant et ça nous sert toujours dans notre quotidien”, précise une autre. “Je n’ai pas obtenu ce que je voulais, car la formation que je visais n’existait plus. Mais ça m’a fait rebondir”, affirme une troisième. “Cela a été une réussite pour moi. Elle m’a permis d’atteindre mon objectif, mon rêve”, conclut une dernière.
“Être acteur de ses droits”
Tous ont été invités à réfléchir à cette question : “en quoi la formation professionnelle ou l’exercice d’un métier choisi sont-ils indispensables pour construire sa vie, celle de sa famille, pour être plus libre ?”. Réunis en petits groupes pour élaborer leurs réponses, les stagiaires pointent l’importance du mot “choisi” pour eux qui n’ont souvent pas eu la possibilité d’opter pour la formation ou le métier dont ils rêvaient. “Le fait d’avoir choisi ce que tu veux faire te libère d’un poids”, “tu te sens plus épanoui, tu es acteur de tes droits et de tes envies, tu t’engages plus”, “c’est toujours mieux d’être acteur de sa vie, que spectateur”, “cela permet d’accéder à une indépendance, pas seulement financière, mais cela nous donne la possibilité de sortir de chez soi, de faire des connaissances”, “on n’est plus considéré comme un assisté, on prouve qu’on est capable”, témoignent-ils.
Ce week-end a également permis à certains stagiaires de mieux connaître ATD Quart Monde et de voir que cette expérimentation s’inscrivait dans une démarche déjà ancienne. Dès 1977, le fondateur du Mouvement, Joseph Wresinski, affirmait ainsi, lors d’un “appel à la solidarité” lancé au Palais de la Mutualité à Paris : “De votre libération, vous êtes les premiers garants, du changement de vos vies, vous serez les premiers responsables. Et être responsables, pour vous, ce sera d’abord continuer à vous former, à vous instruire, à vous regrouper, pour réfléchir sur votre condition, pour exiger une école adaptée à vos enfants, un travail qui vous rende indépendants et qui garantisse aux vôtres une vie décente, pour exiger aussi une formation professionnelle accessible à votre milieu”, rappelle ainsi Pascale Budin, co-pilote de l’expérimentation OSEE.
Elle constate qu’il y avait “une forte demande, même une revendication des militants Quart Monde” pour qui les différentes actions menées avec ATD Quart Monde, comme les Croisements des savoirs ou des pratiques ou les Universités populaires Quart Monde, permettaient de réelles transformations dans la société, mais qui regrettaient que cela “ne change rien dans leur vie personnelle, car ils n’avaient toujours pas accès à des formations professionnalisantes”, explique-t-elle.
Développer OSEE en Bretagne
Cette expérimentation a notamment été rendue possible grâce à un accompagnement global des stagiaires dans la durée, avec les “personnes ressources” tout au long de la formation et un “accompagnement administratif et financier renforcé”. Il s’agit aujourd’hui d’évaluer ce fonctionnement et de réfléchir à la meilleure manière de lui donner une suite. “Une région a été choisie pour développer OSEE sur un territoire. C’est la Bretagne et on est en train de travailler sur le choix de la seconde région. L’idée est de monter un groupe territorial, avec un organisme de formation, qui va porter le projet en co-pilotage avec nous, et tous les partenaires associatifs qui pourraient nous aider à trouver des stagiaires, et les organismes de formation en travail social, qui pourraient ensuite intégrer les stagiaires”, explique Eric Bourcier. De nombreux stagiaires ont envie de contribuer au développement de ce projet, pour permettre à d’autres de “profiter de ce booster qui permet d’aller plus haut”.
Photo : Rencontre des deux promotions de l’expérimentation OSEE à Pierrelaye, le 11 juin 2023. © Carmen Martos