Du 25 au 28 septembre, le séminaire des Universités populaires Quart Monde a réuni des membres d’ATD Quart Monde, du centre socio-culturel des Trois Cités, à Poitiers, et du centre social de Fougères autour de deux thèmes : l’alimentation et le lieu de vie.
« Le climat est détraqué. Les catastrophes naturelles s’amplifient et rendent malade nos esprits. La maltraitance planétaire se répercute dans cette nouvelle ère où l’air demeure impur. Nos humeurs s’embrouillent au gré des saisons qui se brouillent. » C’est en déclamant ce texte écrit par une militante Quart Monde que les participantes et participants venus de Lorraine ont choisi de présenter leur travail. D’autres ont organisé une fausse manifestation au sein du centre international d’ATD Quart Monde à Pierrelaye, ou ont proposé des sketchs. Les dix délégations des Universités populaires Quart Monde présentes ont fait preuve de créativité pour exposer leurs réflexions autour de l’une des priorités du Mouvement, « Se mettre ensemble face aux défis climatiques et environnementaux », en se concentrant principalement sur deux thèmes : l’alimentation et le lieu de vie.
Des problématiques quotidiennes pour les plus précaires
Plus de 80 personnes ont ainsi pu partager leurs constats, mesurer les conséquences de ces défis, notamment pour les plus précaires, et élaborer ensemble des propositions. Pour les personnes en situation de pauvreté, la problématique de l’alimentation est souvent quotidienne : « On sait ce qui est bon pour nous, c’est juste qu’on n’a pas le choix. On se prive, ce qui est moins cher, ce n’est pas très bon et c’est mauvais pour notre santé. […] Il faut choisir entre payer ses factures et acheter de la nourriture de bonne qualité […] Manger, normalement, c’est un moment de plaisir, de partage. Pour nous c’est souvent une somme de contraintes », ont expliqué les personnes présentes.
Pour parler de leurs lieux de vie, elles ont par ailleurs décrit leurs quartiers « bétonnés », à côté desquels sont souvent installées « des activités économiques polluantes », la mauvaise isolation des appartements… « Vivre dans un environnement dégradé renforce le sentiment d’abandon. On n’ose pas inviter des gens chez nous, on a honte, peur du jugement. Cela crée de l’isolement », ont détaillé les trois personnes venues de Poitiers et membres des Arpenteurs, dont la mission est d’aller à la rencontre des habitants pour lutter contre les incivilités liées aux déchets.
Au-delà de l’impact de ces difficultés sur leur santé physique, les participantes et les participants ont décrit le stress que cela suscite. « Des fois, j’ai la trouille, ça me fait peur. Ça va être quoi l’après pour mes enfants ? », s’est ainsi interrogée une militante Quart Monde. C’est aussi « un sentiment de fatigue, qui peut être un frein pour le combat et le changement », ont constaté plusieurs personnes.
Des solutions existantes ou à inventer
Et pourtant, pendant ces trois jours, l’énergie du groupe s’est démultipliée pour partager les solutions déjà mises en place localement ou pour en imaginer de nouvelles. Plusieurs groupes d’ATD Quart Monde ont par exemple créé des jardins partagés, des ateliers de cuisine, un marché solidaire, comme à Nogent-le-Rotrou, ou réfléchissent, près d’Alès, à « un habitat durable et solidaire », avec le projet Aujourd’hui Tissons Demain.
Mais ces actions ne permettent pas toujours de toucher l’ensemble de la population. Toutes les personnes présentes se sont donc remises autour de la table, en petits groupes puis en séance plénière, pour envisager ensemble des solutions. Les propositions ont été nombreuses et ont suscité de vifs débats : ne serait-il pas possible d’imposer aux collectivités la création de jardins partagés ; de développer davantage d’épiceries mobiles et de lieux où cuisiner à plusieurs, accessibles à toutes et tous ; d’enlever les taxes sur les produits bios et locaux ; d’augmenter les obligations pesant sur les entreprises polluantes pour qu’elles réparent, dédommagent et dépolluent ?…
La réflexion doit désormais se poursuivre dans chaque groupe et aboutir à un premier changement concret : faire en sorte que l’ensemble de la société « reconnaisse la part active des personnes en situation de pauvreté dans les défis écologiques ». Les propositions seront affinées jusqu’au rassemblement, intitulé Respire, organisé par ATD Quart Monde du 11 au 14 juillet 2026. Construit comme une « nouvelle étape de la réflexion », l’objectif de cette rencontre sera « d’aboutir à des solutions qui changent durablement la vie localement et nationalement », selon les membres de la délégation nationale.
Inverser la spirale de la pauvreté
Pour les membres de la délégation nationale d’ATD Quart Monde présents au séminaire, Anne-Marie De Pasquale, Benoît Reboul-Salze et Geoffrey Renimel, les réflexions menées autour des défis climatiques et environnementaux illustrent la recherche participative sur les dimensions de la pauvreté présentée par ATD Quart Monde et l’Université d’Oxford en 2019. Visant à montrer que la pauvreté n’est pas qu’une question d’argent et à mettre en avant son caractère multidimensionnel, le rapport issu de cette recherche a déterminé pour la France huit dimensions de la pauvreté : les privations matérielles et de droits, les peurs et souffrances, la dégradation de la santé physique et mentale, la maltraitance sociale, la maltraitance institutionnelle, l’isolement, les contraintes de temps et d’espace, les compétences acquises et non reconnues par la société. Toutes ces dimensions sont marquées par deux expériences transversales : la dépendance et le combat.
Les réflexions exposées pendant ces trois jours ont ainsi montré qu’ « en permanence, les personnes en situation de pauvreté sont dans le combat, et elles sont dépendantes des banques alimentaires, des épiceries solidaires, des associations, des bailleurs… », a souligné Benoît Reboul-Salze. Il a également tenu à relever des témoignages illustrant l’absence de prise en compte des savoirs des personnes vivant en situation de pauvreté : « On sait ce qui est bon pour nous, c’est juste que nous n’avons pas le choix ». La question de l’isolement est par ailleurs revenue à plusieurs reprises pour souligner « l’importance de la convivialité autour de l’alimentation », a constaté Geoffrey Renimel. La recherche participative a en outre mis en évidence le fait que toutes les dimensions de la pauvreté sont liées entre elles et ne doivent pas être prises en compte séparément. Mais elle affirme également que « rien n’est figé ». « Il est possible d’inverser la spirale de la pauvreté », en prenant notamment en compte les propositions avancées lors de ce séminaire, a précisé Anne-Marie De Pasquale. « On s’est vraiment donné de la force aujourd’hui. On peut inverser cette spirale pour en faire une spirale vertueuse », où l’action menée sur chaque dimension de la pauvreté aurait des conséquences positives sur les autres dimensions, a-t-elle conclu.
Photo : Séminaire des Universités populaires Quart Monde, septembre 2025. © ATD Quart Monde
