Militante Quart Monde à Laval, Marie-Josiane s’est peu à peu « libérée de la honte » par la parole.
Un flot de paroles, entrecoupées de quelques expressions en créole et de grands éclats de rire. Quand on rencontre Marie-Josiane pour la première fois, difficile d’imaginer qu’il y a une dizaine d’années, elle ne parlait quasiment pas, « la bouche scotchée par la peur et la souffrance, pour protéger les enfants ». Au début des années 2000, elle a quitté la Réunion où elle est née et quatre de ses neuf enfants, pour s’installer à Laval, chez l’un de ses fils.
Elle a surtout fui un ancien mari violent, qu’elle craint toujours de croiser. De la vie d’avant, elle décrit, seulement à demi-mot, la peur de sortir de chez elle, qui ne l’a pas encore vraiment quittée, et « les mauvais quart d’heure » qu’elle passait.
À Port-Brillet en Mayenne, elle arpente les rues, se rend à la mairie et fait les démarches pour obtenir un logement. « L’assistante sociale m’a conseillé d’aller dans une association d’insertion sociale, plutôt que de rester toute seule toute la journée. Alors j’y suis allée. » C’est là qu’elle entend parler d’ATD Quart Monde pour la première fois. Elle assiste à la préparation de la Journée mondiale du refus de la misère, le 17 octobre, observe, écoute, mais n’ose pas encore parler. « Au début, c’était dur pour moi. J’avais encore trop la tête dans le stress et les soucis. Et puis, je ne savais ni lire, ni écrire. J’avais trop honte. »
Déclic
Elle participe à plusieurs Universités populaires Quart Monde, et c’est là que le déclic a lieu. « Un beau jour, je suis allée à l’Université populaire, à Rennes. Dans la grande salle, je voyais des gens parler, cela m’a donné des frissons. Je me suis dit que, moi aussi, je pouvais le faire. J’avais des choses à dire. » Ce jour-là, ATD Quart Monde a représenté pour elle « une petite porte qui s’est ouverte de plus en plus ». En 2009, elle participe à la création du Grand livre de la dignité dans lequel plus de 140 personnes en situation d’exclusion témoignent.
Au cours des années suivantes, elle rencontre des militants de toute l’Europe lors d’un rassemblement organisé en Allemagne, participe à un théâtre-forum et ne passe pas une semaine sans venir au local d’ATD Quart Monde. Elle fait aujourd’hui partie de l’équipe régionale de préparation des Universités populaires Quart Monde.
S’affirmer face aux professionnels
Libérée de cette honte, qu’elle cite à de nombreuses reprises, elle se met peu à peu à la lecture et accepte même de lire son témoignage en public le 17 octobre 2017. « Si on ne parle pas, personne ne le fera. ATD Quart Monde ne peut rien faire sans les militants. Pourquoi cacherions-nous notre misère, notre souffrance ? Il faut les dire. » Elle apprend à s’affirmer aussi grâce aux co-formations en croisement des savoirs et des pratiques réunissant personnes en situation de précarité et professionnels. « Pour moi, c’était des gens dans des bureaux. Leur simple regard te rejette, te fait reculer et tu n’avances pas. Je suis passée par là. »
Bravant sa peur lors d’une co-formation, elle ose dire aux professionnels qu’ils « écoutent, mais n’entendent pas ». « Depuis ce jour, j’ai réussi à parler avec les gens dans les bureaux. La honte, la timidité, il n’y en a plus. » Ces rencontres lui permettent également de discuter avec les responsables de l’épicerie sociale et le dialogue entre eux s’améliore. « C’est humiliant de recevoir. Moi, je veux donner en échange. J’aime travailler, j’aime bouger, partout où je passe, je ne peux pas rester tranquille. »
La parole libère
Aujourd’hui, Marie-Josiane a un grand projet, dont elle n’ose pas encore vraiment parler. Elle aimerait publier son histoire aux Éditions Quart Monde, avec l’aide de Marie-Christine Degand, une alliée du Mouvement. « Je veux que mes enfants et mes petits-enfants sachent par où je suis passée. Le raconter à l’oral, c’est trop dur. Maintenant que je l’ai écrit, je suis plus légère. Je sais que cela ne va pas se perdre. » Marie-Christine a recueilli sa parole, patiemment, pendant plusieurs heures. Elle a été impressionnée par la force du récit que Marie-Josiane semblait avoir clairement dans la tête, mot pour mot, depuis des années. « C’est ça ATD Quart Monde, des gens qui nous écoutent, qui nous font confiance, qui nous aident et qui comprennent comment les gens vivent. La parole libère. »
Pour Marie-Josiane, cette parole a des effets concrets. Elle se souvient encore du temps où sa carte de CMU (Couverture maladie universelle) était systématiquement refusée par les médecins. « Il faut avoir de la patience, tout ne vient pas d’un coup. Mais aujourd’hui, je vais chez le docteur et il n’y a pas de problème. Avec ATD Quart Monde, tu parles pour quelque chose, tu luttes pour quelque chose, ça ne sert pas à rien. » Ses propres enfants ne reconnaissent plus cette femme qui parle, donne son avis et ne se laisse plus marcher sur les pieds. « Ils sont contents pour moi. Je leur dis que, maintenant, j’ai de la voix. Je suis vivante, j’ai le sourire et j’essaye de mettre de la gaîté partout. » Julie Clair-Robelet
Cet article est extrait du Journal d’ATD Quart Monde de janvier 2020.
Photo : Marie-Josiane Tiquao à la Maison Quart Monde de Laval, fin novembre 2019. © JCR, ATD Quart Monde