ATD Quart Monde a organisé le 22 mai, à Rennes, un débat sur le thème “Remettre la pauvreté au cœur des luttes”, afin de parler de la maltraitance institutionnelle et d’évoquer les solutions à apporter.
Sous la grande halle du Grand Huit, lieu festif de Rennes consacré aux arts forains et à la fête populaire, une centaine de personnes ont découvert ou redécouvert ATD Quart Monde lors d’un événement organisé par le Mouvement. Grâce à la participation de la troupe de théâtre d’improvisation Les Bizh, le ton de la soirée est donné dès le départ : l’objectif est de déconstruire les idées fausses sur la pauvreté.
Le débat, animé par la journaliste Isabelle Motrot, alliée d’ATD Quart Monde, permet aux participants de tester leurs connaissances grâce au quiz sur la maltraitance institutionnelle. Ainsi, dans le public, la question sur le taux de non-recours interpelle et peu de bonnes réponses fusent : 30 à 40 % des personnes qui auraient droit à une aide ne la demandent pas. C’est l’occasion, pour Henri Simorre, allié du Mouvement, de rappeler “la vulnérabilité dans laquelle on peut se trouver pour aller vers un service pour demander quelque chose”. “On a un énorme paradoxe en France : on a beaucoup de services publics et pourtant un taux de non-recours très important. Souvent, on a peur de rencontrer ces services, peut-être parce que l’accès aux droits est très complexe, parce que les conditions pour accéder à ses droits sont nombreuses, les documents à remplir sont compliqués et aussi parce qu’on pense qu’on va vous juger”, détaille-t-il.
Pour lui, le fait de réfléchir à la maltraitance institutionnelle doit permettre de “créer du dialogue avec les personnes les plus en difficulté et les services de l’administration, de la santé” afin qu’ils et elles se comprennent mieux, car ce fléau touche aussi les professionnels, comme l’explique Eden Kuvula, chargée de mission pour l’association Reconnect. “Les professionnels sont assez démunis. De plus en plus de démarches sont dématérialisées, ils doivent donc passer une grande partie de leur temps sur ces démarches et ont moins de temps pour échanger avec les personnes qu’ils accompagnent”, souligne-t-elle. Elle constate par ailleurs que “certains professionnels sont eux-mêmes en difficulté avec le numérique, ce qui crée des freins supplémentaires à l’accompagnement”.
Membre d’ATD Quart Monde à Rennes, Ludivine Jolivel peut témoigner de la maltraitance institutionnelle vécue quasiment quotidiennement. Mère de quatre filles, elle doit sans cesse jongler entre les rendez-vous et les appels avec les “40 travailleurs sociaux” qui les accompagnent. “Je passe une trentaine d’heures par semaine pour répondre aux appels et essayer de gérer au mieux et d’accompagner mes filles. Quand je ne réponds pas, on me dit que je m’investis pas”, regrette-t-elle.
Les solutions face à la maltraitance institutionnelle
Face à ces constats, les trois personnes intervenants sur la scène tentent cependant de proposer des solutions. Henri Simorre évoque ainsi le Croisement des savoirs et des pratiques, mis en place par ATD Quart Monde, qui permet à des personnes en situation de pauvreté et à des professionnels de “dialoguer à égalité”. “Rien que ça, cela fait déjà avancer”, précise-t-il. Il détaille ensuite l’expérimentation OSEE, Osons les savoirs d’expérience de l’exclusion, qui vise à faire reconnaître et faire valoir auprès de la société et du travail social, l’expérience des personnes qui vivent la précarité. Développée d’abord au niveau national, l’expérimentation se poursuit actuellement à Lille et à Rennes. Ludivine Jolivel a pu y participer pendant neuf mois : “grâce à tous mes bénévolats, j’ai pu créer un portefeuille de compétences. Cela fait du bien, je me suis enfin dit ‘je sais faire ça’ et maintenant je sais que je veux devenir socio-esthéticienne”, précise-t-elle.
Elle met par ailleurs en avant l’aide que lui apporte la Maison des familles, développée par ATD Quart Monde, les Apprentis d’Auteuil et le Secours catholique à Saint-Jacques-de-la-Lande, à côté de Rennes. “Avec ma fille en situation de handicap, j’ai remis en cause ma posture parentale. A la maison des familles, j’ai pu réfléchir à ce que je voulais transmettre en tant que parent, à la manière de créer du lien avec les enfants en échangeant avec d’autres parents.”
Pour Eden Kuvula, la solution peut également passer par la dématérialisation, qui n’est pas que négative. “Le numérique peut être une vraie ressources pour les personnes qui ont des difficultés avec la langue. Cela permet de faire des démarches à la maison, d’avoir sa propre temporalité, de ne pas forcément dépendre des horaires d’ouverture des différentes structures. Mais c’est une ressource à condition que les personnes soient bien accompagnées”, explique-t-elle. L’association Reconnect peut ainsi assurer cet accompagnement des personnes en difficulté face aux démarches, mais aussi des professionnels. Elle développe notamment “un coffre-fort numérique, que les personnes peuvent avoir via une connexion internet. Il n’y a pas besoin de numéro de téléphone ou d’adresse mail pour créer un compte. C’est gratuit et cela leur permet de se réapproprier leur parcours administratif et leurs démarches, d’être vraiment partie prenante de leur accompagnement et de pouvoir gérer les choses comme elles l’entendent”, assure-t-elle. Pour les professionnels, un outil de “gestion de suivi d’accompagnement permet également aux équipes de centraliser les dossiers qu’elles suivent et d’avoir un même outil partagé”, ajoute-t-elle.
Après le débat, la chanteuse Sophia Tahi a su tisser des liens entre le thème de la soirée et ses reprises des chansons de l’artiste engagée Nina Simone. Cette soirée riche en échanges a donné au public rennais de nombreuses pistes de réflexion pour s’engager concrètement contre la pauvreté.