TAE (Travailler et Apprendre Ensemble), l’entreprise solidaire d’ATD Quart Monde, organise chaque année une formation sur le thème du management inclusif. L’objectif est de prendre conscience des dysfonctionnements de notre société qui ont pour conséquence de laisser des gens de côté, pour essayer ensuite de trouver des solutions concrètes, afin que tout le monde ait une place attitrée et digne en entreprise. Construite autour de cinq journées traitant d’un thème chacune, elle puise ses ressources dans les 20 ans d’expériences de TAE.
En 2002, ATD Quart Monde crée TAE, une entreprise solidaire conçue et pensée comme un laboratoire d’innovation sociale. Elle réunit en son sein des personnes que la société rejette complètement du cercle de l’emploi et d’autres qui sont très bien intégrés dans ce système mais qui veulent le combattre. Tous œuvrent à prouver que chacun a une place légitime. TAE remet en question le monde de l’emploi et les entreprises “classiques”. Au lieu de laisser le salarié se conformer à l’entreprise, l’entreprise va elle aussi s’efforcer de faire un bout de chemin vers ses salariés. Tout le monde est à égalité, la hiérarchie est horizontale. Les formes de managements n’ont pas été fixées. Elles se sont construites, et se construisent toujours. Rien n’est figé, tout peut-être discuté, débattu et expérimenté avec l’ensemble des salariés y compris les plus éloignés du monde de l’emploi.
La formation à ce management inclusif et évolutif a attiré cette année 14 participants, la majorité issus d’EBE (Entreprises à But d’Emploi) du projet Territoire zéro chômeur de longue durée. Certains venaient aussi d’autres horizons, comme Eccofor ou la fondation Falret, ou étaient présent dans l’optique d’une reconversion professionnelle. Le but de cette formation est de prouver que nul n’est inemployable, pour ensuite apporter des pistes et amener les participants à une réflexion autour d’un plan concret pour participer à changer ce système à leur échelle.
Cela se fait de manière progressive, en cinq journées sur quatre mois. Les intervenants sont des salariés de TAE qui témoignent à tour de rôle de leur réalité au travail, de manière transparente, en exposant leur vécu positif et négatif au sein de l’entreprise. “Il ne faut surtout pas croire que TAE est une entreprise parfaite ! Au contraire, si il n’y a pas de problèmes, le projet ne sert plus à rien”, précise le directeur adjoint.
Des alternatives au système classique
Chaque journée de formation se concentre sur un thème précis. La première porte par exemple sur l’organisation du travail : comment TAE organise le travail pour que chacun se sente digne et à sa place ? Une des idées phares d’ATD Quart Monde est en effet : “Ce qui rend libre, ce n’est pas le travail mais la dignité qu’il confère“.
Certains grands principes fondateurs de TAE sont énoncés, tel que le refus du licenciement ou la forte mixité sociale. Au fur et à mesure des années, de nouveaux principes sont venus se greffer, tels que le respect du rythme de chacun, la logique d’entraide, l’acceptation des retards, qui sont toutefois comptabilisés et peuvent entraîner une perte de salaire… Certains participants, curieux et étonnés de découvrir de telles alternatives au système classique d’entreprise, n’hésitent pas à participer activement à l’échange. “Mais du coup les activités et les fêtes sont organisées sur le temps de production ? Les salariés sont payés pour être ensemble ?“, s’interrogent certains.
Adapter ce management différent
Lors de la deuxième journée consacrée aux cadres et rituels à TAE, une participante fait part de sa situation en tant que directrice d’un groupe bien plus large que TAE. Elle aimerait bien mettre en place les rituels présentés, mais cela ne lui semble pas possible. Le directeur de TAE, prend alors la parole : “le but de cette formation n’est pas de reproduire à l’exact ce que l’on fait à TAE, c’est impossible. L’objectif est de vous transmettre notre expérience et notre manière de faire, pour que vous puissiez découvrir un management différent, ses avantages comme ses inconvénients. L’essentiel est d’apprendre que la meilleure solution est celle qui se construit avec tout le monde. L’étape suivante est donc de réfléchir à ce que vous pouvez appliquer dans votre cadre de travail et vous adaptez en conséquence“.
Ces journées sont rythmées par les temps de discussion et de réflexion en plénière et ceux en groupes plus restreints. Le thème de la troisième journée est la sécurité à TAE. Un des participants à très bien résumé lors de l’évaluation de fin de journée, l’idée principale que voulait véhiculer TAE : “la sécurité par la stabilité de l’emploi et du revenu”.
Les deux dernières journées sont différentes, car TAE fait appel au groupe PACE, afin d’apporter des connaissances théoriques plus neutres. La quatrième journée sur la gestion des conflits donne notamment lieu à un théâtre-forum. TAE a mis en place et répété une petite saynète d’une situation de conflit jouée par des salariés. Les participants peuvent à n’importe quel moment lever la main et remplacer une personne de la scène pour essayer d’en changer l’issue. Le reste est de l’improvisation de la part des acteurs.
Aménager des moyens différents de parole
Afin de vérifier si la formation est efficiente. Un QCM est à remplir au début et à la fin, tous deux identiques. L’objectif est d’apercevoir de nouvelles réponses et des changements dans la manière de penser des participants. Une des questions est “qu’est ce qui justifie une sanction ?“. Une des réponses unanimes des participants au début était “la violence verbale”. Suite à la quatrième journée, la majorité ne coche plus cette case. Ils sont allés au-delà de la première approche et se sont demandés si, finalement, la violence verbale n’est pas une forme de communication, certes dure, mais qu’on peut apprendre à gérer. Peut-on attendre de personnes à qui la société n’a jamais demandé son avis, de s’exprimer, argumenter et valoriser ses pensées de la “bonne manière” ? TAE est certain que non, et que le tort ne leur revient pas . À TAE ces personnes ont des noms, des visages, des histoires. Et ils ont besoin d’être écoutés.
“Beaucoup ont juste besoin d‘écoute, plus que de conseils, ils veulent se décharger de leur poids. […] D’autres veulent parler, pour exister, ils n’ont jamais été écoutés ailleurs. Chez TAE, on a la capacité d’écouter, on aménage des moyens différents de parole. Certains n’arrivent pas à parler en groupe, le papier aide certains à s’exprimer. Certains ont peur de parler”, explique une salariée de TAE lors de la cinquième journée consacrée à l’écoute en vérité.
À la fin de chaque journée, un questionnaire de satisfaction est distribué. L’avis de tous les participants est pris en compte pour améliorer la formation pour les années à venir. L’objectif, année après année, reste cependant le même : convaincre la société que nul n’est inemployable si tant est que la société s’en donne les moyens. Elorn Truong
Photo : TAE, 2023. © Carmen Martos