Travailler et Apprendre Ensemble : un laboratoire du travail décent

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Créée à Noisy-le-Grand en 2002 par ATD Quart Monde, Travailler et Apprendre Ensemble (TAE) a pour ambition de repenser l’entreprise en partenariat avec des personnes exclues et très éloignées de l’emploi.

À côté du grand hangar froid où des centaines d’ordinateurs sont empilés sur des palettes, dans l’attente d’une réparation, Myriam Abadi et Antoine Lopez préparent les repas du jour en musique. Tous deux salariés de TAE, ils se sont portés volontaires pour faire la cuisine cette semaine. Après le déjeuner, partagé sur place avec la plupart des employés, ils reprennent leurs postes : l’une s’attaque au démontage d’un ordinateur portable, tandis que l’autre s’occupe du tri des déchets informatiques. Chacun sait ce qu’il a à faire, le programme a été défini collectivement. TAE propose quatre activités à ses 23 salariés : le reconditionnement informatique, la rénovation de locaux, l’entretien d’espaces extérieurs, et le nettoyage de bureaux.

L’entreprise se donne également une mission : inspirer d’autres expérimentations, comme Territoires zéro chômeur de longue durée, et faire bénéficier de son expérience à des salariés dans le cadre d’une formation au management. TAE est en effet un “laboratoire” dans sa façon de fonctionner, comme le dit son co-directeur, Laurent Godin. Convaincue que personne n’est inemployable, elle réunit des salariés “associés”, ayant vécu l’exclusion et la précarité, et des salariés « compagnons », diplômés souvent de grandes écoles. Tous sont en CDI, ont le même statut, les mêmes responsabilités. Qu’ils soient employés ou directeurs, tous acceptent une échelle de rémunération réduite, entre une et deux fois le Smic. Mais surtout, tous apprennent les uns des autres et s’entraident dans la construction d’un collectif humain respectueux.

Une parole libre

À TAE, il y a 200 % d’humanité en plus que dans d’autres entreprises”, s’exclame ainsi Myriam Abadi. Elle qui a longtemps travaillé dans la restauration a connu “des chefs sadiques, du sexisme et une pression incessante”. Elle regrette le manque d’empathie et d’écoute rencontré dans de trop nombreux emplois. “On ne peut pas laisser nos problèmes à la porte. Si une salariée doit faire face à des violences conjugales ou gérer des proches malades, cela a des impacts sur son travail. Les chefs ont une famille, comment font-ils pour ne pas être touchés par ces questions, pour ne pas réagir avant que le salarié soit à bout, pour ne pas essayer d’écouter et de s’adapter  avant que cela n’ait des répercussions sur leur propre entreprise ?”, s’interroge-t-elle. Pour elle, “plus les chefs sont soudés avec ‘les gens d’en bas’, plus l’entreprise a des chances de progresser. Il suffit de voir comment les employés disent bonjour aux femmes de ménage pour connaître l’ambiance dans une entreprise”.

Salarié “compagnon” depuis trois ans et demi, Antoine Lopez a vu arriver à TAE “des gens abîmés par le travail”. Chacun à leur rythme, ils se reconstruisent peu à peu, “sans avoir la productivité comme mot d’ordre”. “Ici, si on est en retard ou absent, il n’y a pas d’avertissement, pas de licenciement. Ce travail permet à certains d’avoir un lien social. Pour d’autres, c’est la possibilité de s’évader un peu de ce qui se passe à la maison, de se rendre utile dans la société”, détaille-t-il. Travailler à TAE, c’est avant tout “un salaire et donc un logement”, explique Cathy*, qui n’a pas toujours eu “un toit sur la tête” dans sa vie. Mais c’est aussi “faire des sorties, fêter des anniversaires, avoir une parole libre, sans avoir peur de se faire virer, être accepté comme on est”, ajoute-t-elle. Une “enquête d’ambiance”, anonyme, est ainsi proposée chaque semaine aux salariés, pour permettre à chacun de s’exprimer.

Salvatore Buonincontri a commencé à travailler dans la restauration à l’âge de 13 ans, s’est levé à 4h du matin pendant de longues années et a connu le chômage à 50 ans. Arrivé à TAE sans connaître l’informatique, il est fier aujourd’hui de savoir “démonter et remonter un ordinateur et de former les autres”. “Je gagne peut-être un peu moins qu’avant, mais il n’y a pas de pression. Si j’ai un problème, on essaye de m’aider. Alors, il faut savoir ce qu’on veut dans la vie…”, dit-il en souriant. Roselyne* égrène pour sa part les “petits boulots” qu’elle a enchaînés : femme de chambre, standardiste, auxiliaire de vie à domicile… Depuis 9 ans, elle est heureuse d’avoir enfin “un emploi stable et un équilibre de vie”.

Des capacités d’adaptation

Tout n’est cependant pas toujours simple au quotidien. Les parcours scolaires et de vie des salariés sont extrêmement variés, ce qui peut entraîner des écarts de compréhension très importants. “Les problèmes viennent d’abord du fait qu’on ne s’est pas bien compris. Alors il faut laisser la colère s’exprimer. Cela ne se fait pas toujours sans cri, sans perte de temps et d’énergie. Mais au bout du compte, une fois que tout le monde a bien appris à se respecter, on finit toujours par trouver des solutions”, détaille Laurent Godin. Il faut aussi faire avec les différences de rythme de chacun, et “prendre la responsabilité que ça peut être bancal, mais que ça mérite d’être vécu”, souligne Antoine Lopez.

Malgré les difficultés, TAE parvient à vivre de son activité. Elle vend chaque année entre 800 et 1 000 ordinateurs reconditionnés et obtient de nombreux contrats, avec des collectivités, des entreprises ou encore des particuliers, que ce soit pour des chantiers ou le renouvellement d’un parc informatique. Elle apprend, pas à pas. “On ne cherche pas à obtenir une entreprise parfaite. On cherche à être une entreprise qui continue à avoir des capacités d’adaptation exceptionnelles et, si on les a, c’est parce qu’on se censure très peu. On ne se dit jamais que quelque chose est impossible, alors on essaye et il en ressort toujours du positif”, conclut Laurent Godin.

* Certains salariés n’ont pas souhaité donner leur nom de famille.

Pour en savoir plus sur TAE et retrouver leur boutique en ligne : ecosolidaire.org

Cet article est extrait du Journal d’ATD Quart Monde de mars 2023.

Photo : L’entreprise Travailler et Apprendre Ensemnle, à Noisy-le-Grand, janvier 2023. © Carmen Martos

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