Journaliste, ancienne directrice de la rédaction du magazine Causette, Isabelle Motrot a rejoint ATD Quart Monde en tant qu’alliée en septembre 2023 et s’est rapidement plongée dans la rédaction de « En finir avec les idées fausses sur la pauvreté ». L’occasion pour elle de réfléchir aux conséquences concrètes de ces idées fausses et de donner « des arguments simples, mais imparables » pour les contrer.
Dès qu’elle a pris sa retraite, Isabelle Motrot a décidé de rejoindre ATD Quart Monde en tant qu’alliée. L’édition de 2020 du livre En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté l’avait passionnée, même si elle l’avait trouvée « très pointue ». Alors, avec son « travers de journaliste de chercher à vulgariser pour le grand public », elle a proposé aux Éditions Quart Monde de « lancer une collection plus courte, thématique et illustrée », reprenant chaque année une thématique forte développée par le Mouvement. Le lancement de la campagne sur la maltraitance institutionnelle, le 19 septembre dernier, fournissait un thème sur lequel les idées fausses ne manquaient pas.
« En repartant de l’édition originale, nous en avons choisi 20, parce qu’il fallait se limiter. Mais, malheureusement, il y en a des tas », constate-t-elle. Au départ, elle imagine que certaines idées fausses ont tendance à disparaître. Par exemple celle-ci : « Les pauvres ne savent pas gérer leur argent, ils sont responsables de leur pauvreté ». Mais, en regardant les statistiques, elle constate que l’idée selon laquelle « les pauvres dépensent mal leur argent, en achetant des écrans plats par exemple » reste encore très ancrée dans la société.
Diffuser des faits et des chiffres
Cela lui donne encore plus envie de faire « une espèce de livre-outil pour permettre à toutes et tous d’avoir des arguments simples, mais imparables à opposer la prochaine fois qu’une idée fausse est prononcée ». Comme dans les autres éditions, elle s’attache à « diffuser des faits et des chiffres actualisés, et non des opinions, tout en restant simple ». Une tâche pas toujours facile, comme pour l’idée fausse « Les pauvres ne paient pas de taxes et d’impôts ». « Comment expliquer qu’ils payent plus d’impôts que les riches proportionnellement ? Cela peut paraître contre-intuitif. Pour le comprendre, il faut passer par un certain nombre de calculs. Au final, il reste un chiffre simple à retenir : les plus démunis dépensent 12,5 % de leur maigre revenu en TVA, alors que les plus riches en dépensent seulement 4,7 %. Au bout du compte, les plus pauvres paient 68 % d’impôts et de taxes ; les riches… 54 % seulement », détaille-t-elle.
Isabelle Motrot se penche aussi sur ses propres idées reçues pour les décortiquer. Ainsi, pour elle, les personnes en situation de pauvreté accédaient relativement facilement aux logements sociaux. Elle découvre alors que ces logements sont de moins en moins abordables pour les plus pauvres. En s’appuyant sur des chiffres officiels, elle remarque même que « les personnes qui touchent les minima sociaux ont 30 % de chance en moins d’obtenir un HLM par rapport à une personne qui perçoit le Smic ».
Ses recherches l’amènent également à découvrir des réalités qui la stupéfient : « Par exemple, j’étais très loin d’imaginer la somme des aides que touchent les entreprises sans aucune contrepartie », explique-t-elle. Le montant global des aides publiques aux entreprises varie en effet, selon les sources, de 150 à 220 milliards d’euros par an. Leur impact global sur le chômage et la pauvreté est difficile à quantifier. « On ne sait pas où passe cet argent concrètement, mais, dans le même temps, on va imposer des contrôles poussés et 15h de travail par semaine aux allocataires du RSA pour 635 euros par mois. C’est scandaleux », s’insurge-t-elle.
Un impact concret sur la vie quotidienne
Après plusieurs mois de travail sur ce livre, Isabelle Motrot sait que ces idées fausses « contribuent largement à une forme de maltraitance institutionnelle ». « Elles aboutissent à des lois et à des mesures contraignantes, dont l’exemple type est la réforme du RSA conditionné. » Ces préjugés maltraitent aussi directement les personnes, parce que « c’est comme cela qu’elles-mêmes se voient dans les yeux d’un certain nombre de gens. Elles finissent par baisser les bras, car elles en ont marre d’être méprisées. C’est ainsi que de nombreuses personnes renoncent à faire valoir leurs droits, parce qu’elles savent qu’elles devront encore et encore montrer patte blanche, apporter des preuves de leur bonne foi », décrit-elle.
Elle souhaite aujourd’hui que ce livre soit largement diffusé et touche « celles et ceux qui ne sont pas forcément d’accord ». Elle aimerait également que cette lutte contre les idées fausses permette aux personnes en situation de pauvreté « de savoir qu’elles ne sont pas seules, que beaucoup de gens ont conscience que c’est le système qui est responsable de cette situation et se battent à leurs côtés ».
Retrouvez le livre En finir avec les idées fausses sur le site des Éditions Quart Monde.
Cet article est extrait du dossier du Journal d’ATD Quart Monde de janvier 2025.
Photo : Idée fausse n° 12 : « La mixité sociale nuit à la réussite scolaire » illustrée par Pancho.