Le Conseil économique, social et environnemental a inauguré le 11 juin l’exposition « À la rencontre de Geneviève de Gaulle-Anthonioz ou le refus de l’inacceptable » réalisée par des militantes et militants Quart Monde des Hauts-de-France. Plus d’une centaine de personnes sont venues rendre hommage à la présidente d’ATD Quart Monde de 1964 à 1998 et dresser le bilan de trente ans de lutte contre la pauvreté.
Au pied des immenses colonnes de l’intérieur du Palais d’Iéna, l’exposition colorée consacrée à Geneviève de Gaulle-Anthonioz est bien visible. Les membres d’ATD Quart Monde venus des Hauts-de-France sont fiers de voir un public si nombreux se pencher sur les panneaux qu’ils et elles ont mis tant d’attention à créer. Pour en savoir plus sur la vie de cette « femme hors du commun », selon les mots du vice-président du CESE, Benoît Garcia, leurs recherches ont commencé à Lille, par la visite de la maison natale de Charles de Gaulle et de son frère aîné, Xavier, père de Geneviève de Gaulle-Anthonioz. Puis elles se sont poursuivies aux archives départementales du Nord et au Centre de mémoire et de recherche Joseph Wresinski.
Dans le cadre de l’atelier créatif mené à la Maison Quart Monde de Lille, les militantes et militants Quart Monde ont réfléchi à la manière de construire l’exposition. Ils et elles ont réalisé des « poèmes-portraits » et des textes autour des mots de la résistance. D’autres portraits de femmes résistantes les ont aussi inspirés.
Leur exposition, qui sera visible à partir du 16 juin sur les grilles du Conseil économique, social et environnemental, permet d’en savoir plus sur les combats de Geneviève de Gaulle-Anthonioz dans la Résistance, au sein du camp de concentration de Ravensbrück, puis pour l’égale dignité de toutes et tous.
Une période de recul des droits
« Ce n’est pas simplement un beau symbole, c’est vraiment important et même essentiel, dans la période de recul des droits dans laquelle nous nous trouvons, de présenter une telle exposition », souligne Marie-Aleth Grard, présidente d’ATD Quart Monde. Elle rappelle que Geneviève de Gaulle-Anthonioz a siégé au Conseil économique, social et environnemental de 1988 à 1998. « Elle a réalisé un travail considérable d’analyse et d’évaluation des politiques publiques en matière de lutte contre la pauvreté sur tous les territoires en France. » C’est sur ce travail que se base notamment l’avis adopté au CESE en juillet 1995 et la loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions adoptée en juillet 1998.
Les travaux menés par ATD Quart Monde au CESE ont par ailleurs conduit notamment à l’adoption en 1995 de l’avis « Evaluation des politiques publiques de lutte contre la grande pauvreté », puis en 2015 à celle de l’avis « Une école de la réussite pour tous » et en 2024 à celle de l’avis « Droits sociaux : accès et effectivité ». En 2007, une plaque a par ailleurs été posée à l’entrée du CESE avec une citation de Joseph Wresinski, fondateur d’ATD Quart Monde : « Considérer les progrès de la société à l’aune de la qualité de vie du plus démuni et du plus exclu est la dignité d’une Nation fondée sur les droits de l’Homme ».
« ATD Quart Monde et le CESE ont marqué durablement la lutte contre la grande pauvreté dans notre pays », rappelle ainsi Marie-Aleth Grard, en regrettant la suppression, en 2021, du siège occupé par le Mouvement depuis 1979. ATD Quart Monde porte, jusqu’en 2026, la voix du Collectif Alerte, par l’intermédiaire de sa vice-présidente Isabelle Doresse, au sein du CESE.
« Le droit se retourne contre les plus pauvres »
L’inauguration de l’exposition sur Geneviève de Gaulle-Anthonioz est donc également l’occasion de revenir sur trente ans de politiques publiques, avec des avancées, mais aussi un bilan assez négatif, selon Isabelle Doresse. « La lutte contre la pauvreté et les exclusions ne sont plus du tout reconnues comme un impératif national, ni une priorité. Notre démocratie est abîmée aujourd’hui, car les pouvoirs publics ont abandonné la solidarité nationale et oublient leurs devoirs de protéger et de sécuriser chacun, de respecter l’égale dignité de tous », affirme-t-elle.
La vice-présidente d’ATD Quart Monde souligne qu’on appelle aujourd’hui « politique d’accompagnement des politiques de contrôle. Le travail social perd aussi tout son sens. Au lieu de créer un droit émancipateur, le droit se retourne contre les plus pauvres, en en faisant des fraudeurs, des soi-disant assistés, des personnes qu’il faut sanctionner sur leur minimum vital parce qu’ils ne se comportent pas comme la société le souhaite ».
Elle regrette que la France soit « passée d’une perspective de politiques globales de lutte contre la grande pauvreté à une politique centrée exclusivement sur l’emploi, alors qu’il paraît essentiel de prendre en compte toutes les dimensions de la pauvreté. Les personnes qui la vivent ne l’ont pas choisi et aspirent tous à autre chose, surtout pour leurs enfants ». Pointant « le nombre de personnes privées d’emploi, le nombre de familles ne pouvant accéder à un logement décent, la dramatique augmentation des expulsions locatives ou encore les disparités en matière d’orientation scolaire, le placement d’enfant ou d’accès à la culture, aux loisirs et aux vacances selon l’origine sociale », Isabelle Doresse constate que nous sommes aujourd’hui « très loin de l’effectivité de l’accès de tous aux droits fondamentaux ».
« On a l’impression de demander le droit de vivre »
Face à l’exposition consacrée à Geneviève de Gaulle-Anthonioz et sous le haut plafond du Conseil économique, social et environnemental, c’est aussi le constat que dresse Fatiha, militante Quart Monde de Dunkerque. « Tu demandes de l’aide, mais tu dois rester derrière les décisions de la personne qui t’aide. Si tu t’opposes à elle, tu as peur qu’elle te refuse cette aide. Les personnes pauvres dépendent toujours des services sociaux. On s’introduit dans ta vie privée. Il faut prouver que l’on est pauvre. On a l’impression de demander le droit de vivre », explique-t-elle.
Pascale, militante Quart Monde de Perpignan, dénonce elle aussi la maltraitance institutionnelle subie, notamment dans le cadre de sa recherche d’emploi. « On nous oriente trois ou quatre fois vers des formations type ‘réaliser un CV’, mais jamais dans des formations pour apprendre un métier ou des savoirs utiles. Ils nous font croire que c’est parce qu’on ne sait pas faire de CV qu’on ne trouve pas de travail. On est souvent mal perçu par les employeurs, on nous fait comprendre que le travail n’est pas pour nous », dénonce-t-elle. Elle rappelle en outre que « le RSA est réduit dès qu’il y a la moindre rentrée d’argent. Le fait de travailler un peu aggrave la situation, car le RSA est réduit trois mois après, donc on ne peut plus payer les factures, on s’endette… Une fois qu’on est au RSA, on a l’impression qu’on ne pourra pas s’en sortir ».
Pascale évoque également sa crainte que « de nombreuses personnes soient radiées des listes » suite au décret qui instaure un nouveau régime de sanctions pour les allocataires du RSA. « Si on enlève le RSA aux gens, sans leur donner d’explication en plus, qu’est-ce qu’ils vont devenir ? Ce n’est pas parce qu’ils ne sont plus dans les statistiques ou les listes qu’ils n’existent pas. On fait comme s’ils n’existaient pas », souligne-t-elle. Devant les panneaux de l’exposition, toutes deux rappellent qu’une « société digne est une société dont les institutions n’humilient personne ».
Photos : Inauguration de l’exposition « À la rencontre de Geneviève de Gaulle-Anthonioz ou le refus de l’inacceptable » au Conseil économique, social et environnemental. © Carmen Martos