Croisement des savoirs 8 juillet 2024

Formation en travail social : les enjeux de la participation des personnes concernées

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Début juillet, Claire Heijboer, Elsa Lagier et Anna Rurka, sociologues, sont venues présenter au Centre national d’ATD Quart Monde, à Montreuil, les premiers résultats d’une recherche sur la participation des personnes concernées aux formations initiales et continues en travail social.

La vingtaine de formateurs et formatrices de travail social venus au Centre national d’ATD Quart Monde, à Montreuil, le 8 juillet dernier, sont repartis en fin de journée avec l’envie de continuer à « planter des graines » pour faire évoluer le travail social et la société dans son ensemble. Habités par les mêmes envies et préoccupations, ils et elles souhaitent désormais « dépasser les volontés individuelles » pour développer une « culture commune » de la participation dans leurs pratiques.

Les premiers éléments issus de la recherche FACE, « Formation Avec : Caractéristiques et Effets », présentés par Claire Heijboer, Elsa Lagier et Anna Rurka, leur ont permis de mieux discerner les caractéristiques et les effets des co-formations. Les chercheuses ont en effet travaillé ces dernières années avec ATD Quart Monde et avec le Collectif Soif de connaissance pour analyser les enjeux de la participation des personnes en situation de pauvreté aux formations initiales et continues proposées par les Instituts de travail social. Elles présenteront les résultats définitifs avant la fin de l’année 2024.

Pendant deux ans, elles ont ainsi observé des temps de « Croisement des savoirs », méthode initiée par ATD Quart Monde, et « de dialogue des savoirs », terme préféré par Soif de connaissances. Elles ont mené des entretiens avec des participants, des formatrices et formateurs et des partenaires.

En présentant les premiers résultats de leur recherche au cours de cette journée, elles souhaitaient « soulever des pistes de réflexion ». Elles ont pour cela présenté les caractéristiques et les effets des co-formations qu’elles ont pu identifier, et des premières analyses au niveau des leviers et des freins pour développer ces co-formations.

Favoriser des prises de conscience individuelles pour un changement collectif

Sur les deux terrains d’analyse, les chercheuses observent que les modules de co-formation sont « un dispositif d’égalité de statut entre les différents participants, avec l’objectif global de construire une société plus juste ». Tous les participants, étudiants, professionnels ou personnes en situation de pauvreté, sont ainsi considérés comme des « producteurs légitimes de savoirs ».

L’objectif partagé est de « former des travailleurs sociaux à l’écoute des personnes accompagnées, dans une démarche humaniste et respectueuse », de « favoriser des prises de conscience individuelles pour un changement collectif dans les institutions ». « Il y a l’idée de planter une graine qui va germer ailleurs dans différents espaces, une visée transformatrice des représentations des institutions, de la société, qui repose sur le partage d’une expérience, des savoirs », expliquent les chercheuses.

Un impact encore limité sur les institutions

L’impact des co-formations est ainsi multiple. Les étudiants peuvent ainsi mieux prendre conscience du rapport de pouvoir entretenu entre les professionnels et les personnes accompagnées et “se mettre en jeu, en tant que futurs professionnels de manière plus conscientisée, plus lucide” . Les professionnels « s’autorisent davantage à venir discuter de la relation entretenue, directement avec la personne accompagnée » et prennent le temps, au cours de ces co-formations, de s’interroger sur leur travail au quotidien. Les personnes accompagnées « font l’expérience d’être écoutées », apprennent à prendre la parole au nom du collectif. Les formateurs apprennent à « lâcher prise » sur le déroulé de la formation. Des questions émergent, par exemple sur la finalité et le sens du travail social lui-même, ou encore sur la participation des étudiants dans les dispositifs de formation.

Les chercheuses pointent des effets « de nature relationnelle, émotionnelle, assez radicaux. Ce sont des moments qui marquent l’esprit, au-delà d’un cours théorique classique, ouvrent un espace de réflexion, de conscientisation. Le Croisement des savoirs permet de créer quelque chose de commun entre les différents acteurs ».

Les conséquences sur les institutions sont quant à elles plus difficiles à observer. « La formation de futurs étudiants, de professionnels va ouvrir des petites fenêtres pour que cela se diffuse ensuite », constatent les chercheuses. Certains participants aux co-formations peuvent ainsi se sentir déçus que ces actions « n’infusent pas plus ». « Comment faire évoluer les choses si on ne s’attaque pas aux institutions qui sont maltraitantes avec les personnes ? Elles ne sont pas en capacité d’entendre ce que je leur propose », souligne l’un d’entre eux.

S’ouvrir aux autres acteurs

Parmi les pistes de réflexion avancées, les chercheuses préconisent de « penser l’environnement dans lequel la personne et l’institution fonctionnent ». Elles prennent l’exemple du département des Pyrénées Orientales où différents acteurs se retrouvent autour d’une même démarche de formation des travailleurs sociaux. Mais ces expériences, qui visent à transformer le travail social et, plus généralement, la société, n’aboutissent pas encore à des effets systémiques.

« Le fonctionnement des services fait que les travailleurs sociaux eux-mêmes s’éloignent de plus en plus de leur mission. On peut être formé, sortir motivé de l’école, mais l’institution a une force d’alignement, d’absorption », expliquent les chercheuses.

Ce constat est également formulé par les formateurs et formatrices en travail social présents lors de cette restitution. « Parfois, les moyens, les ressources, la gouvernance ne permettent pas d’avoir une marge de manœuvre. Cela fait perdre un peu l’accompagnement humain pour lequel on choisit ce travail. On est pris par des injonctions administratives, de rentabilité, de démarche de qualité… », regrette ainsi une formatrice. « Comment les étudiants peuvent-ils étudier la question du pouvoir d’agir des personnes si eux-mêmes n’ont pas le pouvoir d’agir dans leur formation ? Beaucoup de cours sont faits de manière très descendante, très magistrale. Il n’y a pas d’espace pour pouvoir expérimenter », souligne une autre.

Certains formateurs déplorent « l’entre-soi » de beaucoup de centres de formation. « On travaille ensemble, mais on a encore beaucoup à gagner. Si on s’ouvrait aux acteurs locaux de chaque territoire, si on regardait comment faire participer les personnes qui ont d’autres expertises, des visions et des objectifs de travail que nous pourrions compléter avec les nôtres, cela serait mieux », affirme l’un d’entre eux.

Même si toutes et tous sont conscients que beaucoup reste encore à faire, les participants à cette journée repartent avec « l’envie de saisir les espaces dont ils disposent aujourd’hui, sans attendre que des murs soient déplacés », en construisant des collectifs organisés autour de cette question de la participation et en agissant, à leur niveau.

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