Dans toute la France, des dizaines de jeunes d’horizon très différents sont engagés au sein d’ATD Quart Monde. Six d’entre eux détaillent les raisons de leur engagement, mais aussi les difficultés que rencontrent les jeunes aujourd’hui.
Zaccaria*, 28 ans, Lyon
« Persévérer et ne jamais lâcher »
Je suis engagé à ATD Quart Monde depuis deux ou trois ans. Pour moi, c’est une association qui a de bonnes valeurs et qui mérite des compliments. Les discussions qu’on peut avoir ouvrent les yeux aux jeunes, cela les aide à s’insérer dans la société. J’ai par exemple compris que, malgré la discrimination que l’on peut subir, la maltraitance institutionnelle, il faut persévérer et ne jamais lâcher.
Je trouve que les jeunes se sentent mal compris dans le monde du travail. On nous demande toujours d’avoir de l’expérience, mais on ne nous donne pas l’occasion de l’avoir. J’ai par exemple fait une immersion en entreprise. Au bout de deux semaines, le responsable m’a convoqué pour me dire que je n’étais pas assez impliqué dans mon travail, et à la fin de l’entretien, il m’a demandé mon prénom. Il ne savait même pas qui j’étais et il me faisait des reproches… À ATD Quart Monde, on partage nos expériences lors des soirées pizzas, c’est sympa.
Iris Lecapitaine, 27 ans, Brest
« Il faut laisser une chance aux jeunes »
J’ai découvert le Mouvement à l’âge de 11 ans, avec ma mère. Je participais aux sorties familiales, à la Journée mondiale du refus de la misère le 17 octobre et souvent je gardais les enfants lors des réunions. Maintenant, je suis dans le groupe jeunes. Cela me permet de rencontrer des personnes que je n’aurais pas forcément l’occasion de rencontrer ailleurs, de ne pas rester chez moi, d’être moins timide envers les autres.
On se donne des conseils, on noue de nouvelles amitiés. On apprend des choses qu’on ne connaît pas sur nos droits et on comprend que ce n’est pas la honte de demander des conseils quand on ne sait pas faire. Ici, on peut parler librement sans avoir peur d’être jugé.
J’ai participé à la rencontre des jeunes en juin 2024 à Méry-sur-Oise, autour de la maltraitance institutionnelle. J’ai vu que c’est un peu partout pareil, qu’on avait un peu tous les mêmes problématiques. D’autres jeunes ont pu nous apporter leurs connaissances.
Moi, j’aimerais que tout le monde ait un travail et, encore mieux, un travail qu’il ou elle aime. Mais c’est la galère. Il faut de l’expérience, mais quand on sort de l’école, on n’en a pas. Il faut laisser une chance aux jeunes. Certaines personnes disent que, comme on est jeune, on ne veut pas aller au travail, que c’est un peu de notre faute si on ne trouve pas, qu’on ne fait pas d’effort. Mais c’est faux.
Benjamin Legleux, 24 ans, Bourgogne-Franche-Comté
« Parler pour changer l’avenir »
Cela fait cinq ans que je suis à ATD Quart Monde, grâce à ma mère et à ma grand-mère. J’ai participé à des rencontres de jeunes, à des chantiers jeunes… J’ai connu d’autres jeunes que je n’oublierai jamais. Mon meilleur souvenir est notre voyage à Hambourg, en Allemagne, avec le groupe jeunes.
Depuis que je suis engagé, j’ai vu de nombreux changements dans ma vie. Maintenant, j’arrive à m’en sortir. J’ai eu du soutien pour des démarches au niveau du travail.
Pendant les Universités populaires Quart Monde, on aborde des thèmes souvent très forts. Pour moi, c’est à la fois une occasion de retrouver des amis et de parler pour changer l’avenir, la société et aider les autres. Il n’y a pas beaucoup d’associations qui traitent les sujets autour de la pauvreté, de la maltraitance institutionnelle, et qui parviennent à apporter autant de changements.
Avant, je ne faisais pas forcément attention aux personnes autour de moi, je n’y pensais pas vraiment. Maintenant, quand je vois une personne qui vit dans la rue, si je peux lui donner quelque chose, je le fais. ATD Quart Monde m’a apporté beaucoup de choses depuis que j’y suis, donc moi aussi j’ai envie d’aider maintenant.
Isoline, 27 ans, Colmar
« Grandir dans le partage »
Depuis 2020, je connais ATD Quart Monde et j’aime beaucoup tout ce que le Mouvement propose et prône. J’ai fait un chantier jeunes à Méry-sur-Oise, puis je me suis engagée dans le groupe jeunes de Colmar. Avec plusieurs alliés, nous proposons chaque semaine un cours d’informatique pour celles et ceux qui le souhaitent dans le groupe jeunes. Il y a aussi, une fois par mois, une soirée autour du pays ou de la région d’origine de l’un ou l’une de ses membres. Ce sont toujours des moments forts qui créent de la solidarité et de la cohésion dans le groupe.
J’aime particulièrement le fait de grandir dans le partage, de confronter ses idées à d’autres. On crée les conditions pour pouvoir écouter des personnes qui ne sont pas écoutées dans d’autres cadres. C’est pour cela que j’accroche bien avec ce Mouvement : ce n’est pas juste un slogan dans le vide, c’est mis en acte.
Les échanges sur la maltraitance institutionnelle étaient poignants. Ce sont des faits qu’on peut savoir, mais on comprend vraiment ce que cela veut dire quand les gens l’expriment. Beaucoup de jeunes ont la sensation d’être un peu laissés de côté, oubliés, parfois moqués. Je vois toutes les embûches qu’il peut y avoir sur le chemin des personnes en situation de pauvreté, notamment pour les personnes en situation de migration. Quand une personne fait face à un obstacle, c’est un peu comme un iceberg : on voit la face découverte, mais quand on creuse, il y a tout un tas de soucis en dessous et ça fait comme une pyramide de problèmes.
Grâce à cet engagement, je fais beaucoup plus attention à vraiment prendre en compte ce que la personne en face de moi pense et vit, peu importe son origine. ATD Quart Monde m’a appris à mieux écouter ce que les gens ont à dire, à les écouter activement et à réellement entendre ce qu’ils ont à dire.
Sébastien, 26 ans, Dunkerque
« Briser les clichés »
J’ai découvert ATD Quart Monde il y a cinq ans et je participe souvent aux Universités populaires Quart Monde. Ce que j’apprécie le plus, c’est qu’il y a un débat et un vrai temps d’échanges.
Cela rassemble des personnes qui ne sont pas forcément concernées par la pauvreté et d’autres qui la vivent. C’est un très bon principe. Je préfère écouter les opinions des autres, je note tout dans un petit cahier que je relis de temps en temps.
Moi, ça m’a permis de briser de nombreux clichés que j’avais sur la pauvreté et que je n’ai plus.
Cela a vraiment changé mon regard, je fais plus attention surtout aux personnes qui n’ont pas la chance d’avoir un logement. Ce sont des petites actions au niveau local qui permettent de faire par moment de grandes choses.
Mélina Marcoux, 24 ans, Montreuil
« Vivre de son engagement »
C’est en master « gestion de projet de solidarité internationale » que j’ai découvert ATD Quart Monde, lors de l’intervention d’une volontaire permanente. Elle insistait sur le fait que les projets sont construits avec les personnes. Cela a fait tout de suite sens pour moi alors j’ai postulé pour un stage, puis je me suis engagée moi aussi dans le volontariat permanent. Je sentais vraiment que le Mouvement était en accord avec mes valeurs. Pour moi, c’est beau de se dire qu’on peut vivre de son engagement, qu’on peut choisir une alternative à ce système qui crée des inégalités pour bâtir un nouveau mode de société. On n’est pas obligé de nourrir une société capitaliste qui valorise le toujours plus, on peut faire quelque chose qui a du sens pour nous et en vivre, tester un autre modèle de vie et de travail afin de réduire la pauvreté, mais aussi de penser le changement climatique. Aujourd’hui, je m’occupe du Pôle politique d’ATD Quart Monde et je passe une journée par semaine à la Maison Quart Monde de Paris. L’ancrage avec les personnes sur le terrain est très important.
Mais je n’avais pas envie d’être engagée pour une seule cause, j’aime bien avoir d’autres engagements à côté, notamment au sein du réseau Engagé·e·s et Déterminé·e·s et de l’association Techo. Mon engagement à ATD Quart Monde nourrit ma façon d’être partout ailleurs. Cela me pousse à réfléchir à la manière de mener des actions plus inclusives, de faire attention à toutes et tous dans tous les espaces.
« L’élément déclencheur de l’engagement est aujourd’hui souvent un événement mobilisateur suscitant une émotion »
Chargé d’études et de recherches à l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire, Laurent Lardeux analyse les évolutions de l’engagement des jeunes.
Comment ont évolué les formes d’engagement des jeunes ces dernières années ?
De nombreux travaux en sciences sociales ont montré un changement au cours des années 1980-1990 : on est passé d’un engagement respectueux à l’égard des organisations politiques traditionnelles et des associations, inscrit sur le long terme, avec un fort investissement pour la cause à défendre, à un engagement plus critique, qui passe davantage par des collectifs, moins idéologisé, voire non politisé, plus pragmatique et plus volatile aussi.
Cette lecture reste quand même assez réductrice : on ne s’engage pas dans une ZAD (Zone à défendre) ou dans des actions de désobéissance civile, qui peuvent avoir des conséquences sur son intégrité physique et des risques judiciaires, sans un haut degré d’intensité dans l’engagement.
L’élément déclencheur de l’engagement est aujourd’hui souvent un événement mobilisateur suscitant une émotion. Les anciennes générations se mobilisaient davantage sur les questions du pouvoir d’achat, de l’emploi, qui relevaient plutôt des valeurs matérialistes. On est passé à des valeurs davantage humanistes, altruistes, tournées vers la défense des droits : les droits des minorités, la lutte contre les discriminations…
Les engagements des jeunes sont-ils différents selon leurs origines sociales ?
De façon générale et encore plus pour les jeunes, il y a de profondes inégalités d’accès à l’engagement. Cela est lié au sentiment de légitimité à intervenir dans l’espace public. L’écart s’est même accru entre la jeunesse étudiante et la jeunesse issue des milieux populaires, qui avaient tendance, jusqu’aux années 80, à se politiser et à s’engager essentiellement par les syndicats, les collectifs de travailleurs… Aujourd’hui, cette même jeunesse populaire, quand elle a du travail, a essentiellement un travail précaire. La socialisation militante qui était liée au monde du travail a disparu. Le rapport à l’engagement est devenu plus individualisé.
Comment les associations s’adaptent-elles à ces évolutions ?
L’espace associatif reste assez clivé entre des structures qui fonctionnent encore sur des schémas d’organisation assez verticaux et hiérarchisés, et des collectifs ou mouvements qui sont plus horizontaux. L’organisation des collectifs plus récents ne dépend pas d’une personne ou d’un groupe de quelques individus, mais de l’ensemble de ses membres qui ont tous un rôle à jouer. Les personnes engagées sont beaucoup plus interchangeables. Cela correspond davantage au cycle de vie particulier des jeunes, qui doivent parfois partir pour leurs études, commencer un premier emploi… Il est alors difficile de pérenniser son engagement. Les collectifs permettent ces fluctuations dans l’engagement, et séduisent donc plus les jeunes.
Ce dossier est extrait du Journal d’ATD Quart Monde de juin 2025.
* Certains jeunes ont préféré n’indiquer que leur prénom.