Construire le monde de demain

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Un an après la rencontre nationale organisée par ATD Quart Monde en Bourgogne-Franche-Comté sur le thème « Construisons une société idéale qui ne laisse personne de côté », Le Journal d’ATD Quart Monde donne une nouvelle fois la parole aux jeunes adultes. Âgés de 16 à 31 ans, dix jeunes, proches ou membres d’ATD Quart Monde, confient leurs espoirs et leurs attentes. Quelles sont aujourd’hui leurs difficultés ? Comment voient-ils l’avenir ? Quels gestes font-ils, au quotidien, pour améliorer le monde ? Et s’ils avaient le pouvoir, quelles mesures prendraient-ils pour les jeunes ? Ils évoquent ici leurs espoirs et leurs doutes et avancent des propositions concrètes pour construire le monde de demain.

Dounia, 21 ans, Pierrelaye

Je suis étudiante en première année de droit. Je vis dans une colocation solidaire mise en place par ATD Quart Monde, avec quatre autres jeunes. Je me pose des questions sur mon avenir et sur celui des générations futures. Est-ce qu’il y aura assez de ressources naturelles, assez d’emplois pour permettre à tous d’avoir une situation stable ? Mais je garde espoir, car je vois que certaines voix se lèvent et n’ont peur ni des politiques, ni des lobbys. Nous sommes une génération plus connectée, ce qui rend peut-être la dénonciation plus facile et qui permet de rencontrer davantage des personnes d’horizons différents. Pendant le confinement, j’ai participé à des actions pour les femmes victimes de violences ou pour appeler des personnes âgées isolées. Pour moi, ce n’était pas vraiment un engagement, mais un échange, pendant lequel j’ai beaucoup appris. Si j’avais le pouvoir, je donnerais davantage la parole aux jeunes. Je ferais également en sorte qu’ils puissent tous aller au théâtre, visiter des musées, rencontrer des personnalités politiques… Cela leur permettrait d’avoir plus confiance en eux pour parler et de sentir qu’ils appartiennent vraiment à la société.

Damien, 21 ans, Quetigny

Je travaille dans une brasserie en tant que cuisinier. En quittant l’école, je me suis rendu compte que c’était difficile de trouver du travail, de gérer une vie sans avoir d’argent, d’avoir un logement, de prendre son indépendance. Au quotidien, j’essaye d’aider d’autres jeunes à être plus gentils, plus respectueux envers leurs parents, plus à l’écoute, à améliorer leur comportement, à respecter les consignes de tri…. J’aimerais que les gens vivent en paix, qu’ils arrêtent de se faire la guerre pour n’importe quoi. Beaucoup de jeunes passent leur temps sur leur console par exemple et oublient de voir leur famille. Pourtant, la famille, c’est le plus important, il ne faut jamais la lâcher. Je pense que tous les jeunes devraient avoir une assistante sociale pour les aider à gérer leurs papiers, à trouver un logement, à voler de leurs propres ailes.

Ariane, 26 ans, Paris

Je fais de la recherche académique, j’ai un CDD à l’université. Je dois régulièrement trouver un nouvel emploi, et, même si je suis assez diplômée, ce n’est pas évident dans mon secteur professionnel. L’université fait partie des services publics qui se dégradent de plus en plus et cela me rend inquiète. Je suis aussi un peu pessimiste pour le monde de demain, notamment en raison des problèmes liés au réchauffement climatique. Même si je pense que je ne ferai pas partie des premières personnes durement touchées, cela va beaucoup modifier la vie de tout le monde. Au quotidien, je parle beaucoup avec les gens qui m’entourent de ce qu’il faudrait changer. De simples discussions peuvent redonner à certaines personnes confiance en elles et l’envie de changer les choses pour elles et pour les autres. L’une des mesures essentielles à prendre pour les jeunes est de donner plus de moyens aux universités publiques. L’université est un passage très important pour les jeunes, il faut y mettre les moyens.

Naomie, 16 ans, Lyon

Je suis en classe de 3e. Quand j’étais en CP, on a dit à mes parents que j’avais un handicap et que je n’arriverais pas au collège. J’aimerais dire à ces professeurs que je me suis battue et que, même si c’était dur, j’ai parcouru beaucoup de chemin pour en arriver là. Je vais intégrer en septembre une école pour faire un métier en lien avec les chevaux et c’était mon rêve. Trois choses m’ont beaucoup aidée : la musique, mon amour pour les chevaux et la Bibliothèque de rue, qui m’apporte de la joie et m’a permis de m’épanouir et de trouver du réconfort. J’ai aussi intégré le groupe jeunes pendant le confinement et, alors que j’avais la crainte des groupes, ils m’ont mis en confiance. Si j’avais le pouvoir, je prendrais des mesures pour empêcher le harcèlement scolaire, en parlant davantage de ses dangers, de l’effet de groupe dans une classe, en demandant aux parents de mieux vérifier le téléphone de leurs enfants… Il faudrait également que le temps d’attente pour les élèves souhaitant entrer dans une classe spécialisée soit moins long. J’aimerais enfin que les gens fassent plus attention à ce qu’ils jettent, que des mesures soient prises pour réduire les déchets et augmenter le recyclage.

Thomas, 28 ans, Méry-sur-Oise

Je suis volontaire permanent à ATD Quart Monde. Nous sommes une génération qui s’engage beaucoup, mais qui doit faire face à de nombreux problèmes : l’environnement, le repli sur soi, l’indifférence… Nous sommes dans une société qui nous fait dépendre de l’autre pour tout, sans pour autant créer du lien, ou alors ce lien se fait à travers l’argent. Le confinement a été un moment révélateur des excès de notre société, a exacerbé l’hypersécurisation, l’hyper-asceptisation, a démultiplié certains comportements égoïstes, même s’il y a eu aussi des élans de solidarité formidables. Au quotidien, je veux continuer à garder le lien avec des personnes partout dans le monde, à donner le meilleur de moi-même aux gens qui m’entourent et à faire en sorte de mettre en avant le partage. C’est un engagement constant. Pour la planète, j’essaye aussi de faire des gestes : je suis végétarien, je n’achète plus de cuir, je réduis ma consommation. Je pense que les jeunes aujourd’hui font preuve de lucidité, ils ne se bercent pas d’illusions, mais ont la volonté d’agir. Pour moi, la seule façon de changer notre rapport au monde est de réformer le système scolaire, fondé sur la compétition. Si, au contraire, on apprend dans un système qui repose sur la solidarité, le partage, ce sont ces valeurs que nous allons intérioriser. Les enfants finiraient pas conscientiser que ce qui compte, c’est le fait de se montrer généreux, d’avoir partagé avec les autres. On aboutirait à une société totalement différente.

Mouloud, 31 ans, Marseille

J’ai repris des études l’année dernière et je suis maintenant étudiant en licence. Mais je suis sans-papiers et je ne peux pas chercher du travail, faire une formation, avoir un logement, tout est compliqué. Ma famille en Algérie ne connaît pas ma situation, j’ai peur de leur réaction, je ressens beaucoup de pression. Aujourd’hui, je me suis engagé dans plusieurs associations et je pense qu’il ne faut pas perdre espoir, il y a toujours des bonnes personnes quelque part. Il faudrait simplifier les conditions pour accéder à un travail ou à une formation pour les jeunes. C’est peut-être utopique, mais j’aimerais aussi qu’il n’y ait plus de frontières. Cela réglerait beaucoup de problèmes. Ma vision de la démocratie est aussi différente de celle que l’on connaît aujourd’hui. Pour élire notre « chef », il faut commencer d’en bas : chaque famille doit désigner le plus apte à la représenter, puis la même chose dans chaque quartier, chaque ville, chaque région… jusqu’en haut. Aujourd’hui, la partie dirigeante du pays vit dans un monde et le peuple vit dans un autre monde. Il faudrait laisser la main aux jeunes maintenant et leur donner l’occasion de s’exprimer.

Morgane, 27 ans, Lille

Je suis maman d’un petit garçon de 2 ans et je ne travaille pas pour m’occuper de lui. J’ai pas mal de difficultés à concilier ma vie sociale et ma vie de mère de famille, parce que je suis seule à élever mon fils. Je vis pour l’instant chez ma maman, mais pendant le confinement, j’ai été hébergée chez différentes personnes et cela a été compliqué d’être ballottée comme cela avec le petit. J’ai fait une demande de logement social il y a un an, mais il ne se passe rien. Aujourd’hui, seul mon fils me donne de l’espoir. J’essaye de tout faire pour qu’il ait un avenir correct, mais je suis assez pessimiste. C’est déjà compliqué pour nos parents de s’en sortir, pour nous encore plus, donc je n’imagine même pas quel monde on va laisser pour les générations futures. Il est nécessaire aujourd’hui de donner plus de travail aux jeunes, d’arrêter de supprimer des postes en automatisant les emplois. Il faut aider les jeunes à avoir un logement et à prendre leur indépendance plus facilement. Il faut aussi plus de tolérance. Mais je n’ai pas trop d’espoir. Je pense que, depuis le confinement, beaucoup de gens sont devenus méfiants et cela rend certains liens sociaux plus difficiles.

Vincent, 23 ans, Brest

Je travaille dans l’entretien des espaces verts. J’ai connu des périodes compliquées, mais maintenant ça va un peu mieux. Les jeunes qui sortent de l’école n’ont pas beaucoup d’expérience et ils ont du mal à trouver du travail. C’est dommage, mais les employés ne leur font pas confiance. Après l’école, on ne sait pas vers où aller pour trouver un travail, un logement, le monde est dur. Heureusement, moi j’ai été accompagné par la Mission locale, mais beaucoup de jeunes ne le sont pas. J’ai envie de changer les choses, je voudrais que des mesures soient prises pour pousser les employeurs à donner leur chance aux jeunes et peut-être obliger les entreprises à embaucher des jeunes qui sortent de l’école. Pour moi, le monde de demain est assez flou, mais je garde espoir. J’ai été soutenu pas mon grand frère, c’est important la famille. Je pense qu’il faut s’entraider entre jeunes et que nous devons apprendre de ceux qui ont de l’expérience. C’est grâce aux essais qu’on peut rebondir, même si tout ne fonctionne pas.

Vassanthi, 19 ans, Tremblay-en-France

Je suis étudiante en histoire de l’art. J’ai longtemps été engagée avec les Scouts et j’ai connu ATD Quart Monde lors de la rencontre nationale des jeunes en août 2019. Aujourd’hui, je suis un peu inquiète par rapport aux opportunités d’emplois, qui se resserrent. Les enjeux de gaspillage me préoccupent aussi. J’essaye de diminuer ma consommation, d’acheter des produits plus sains et je suis devenue végétarienne. C’est un changement personnel qui nécessite beaucoup d’entraide avec des gens qui ont les mêmes convictions. J’essaye de rencontrer des profils différents pour déterminer quel est le mode de vie qui me convient. Mais ce qui me rend optimiste, c’est le changement des mentalités que je constate sur des problèmes comme le racisme, le sexisme, les différences sociales… C’est rassurant de voir qu’il y a des tabous qui sont levés, que les plus jeunes remettent en question le modèle de société. Si j’avais le pouvoir, je favoriserais un meilleur accès à la culture pour les jeunes, car cela ouvre l’esprit, permet de lutter contre l’intolérance, l’ignorance.

Mamadou, 30 ans, Paris

J’habite dans un foyer à Paris. Je suis arrivé en France en 2018, du Sénégal, et je suis sans-papiers. Je suis venu pour aider ma famille. C’est difficile de trouver un travail, de faire les démarches administratives. Mais je reste optimiste, j’espère que ma vie sera meilleure demain, que je vais réussir à travailler pour gagner un peu d’argent. J’aimerais que tout le monde soit uni et qu’il n’y ait plus de pauvreté. Si j’étais président, je créerais du travail pour les jeunes, je leur permettrais de construire leur vie. Il faut plus de soutien pour les jeunes, parce que l’avenir c’est la jeunesse. Moi, j’aimerais être cuisinier, puis avoir mon restaurant. Je pourrais alors aider ceux qui n’ont pas de moyens, ceux qui sont pauvres, isolés. Si je m’en sors après ce que je suis en train de traverser, j’aimerais aider les autres.

Cet article est extrait du Journal d’ATD Quart Monde de juillet-août 2020.

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