Avec 16 autres associations et organisations, ATD Quart Monde a présenté mardi 25 mars 2025 des propositions pour rendre le droit à l’emploi effectif. L’objectif est que leurs préconisations soient désormais reprises dans une proposition de loi pour garantir un travail à toutes les personnes qui en sont durablement privées.
Après une concertation menée avec près de 1000 personnes pendant toute l’année 2024 et cinq réunions régionales, le constat est clair : « les personnes concernées veulent participer à l’élaboration de la solution. Elles ne veulent pas seulement être des bénéficiaires d’un dispositif, mais participer, être entendues, et pas seulement écoutées, pour contribuer à la solution », explique Laurent Grandguillaume, président de l’association Territoires zéro chômeur de longue durée en introduction de la présentation des propositions pour un droit à l’emploi. « Qu’est ce qu’on peut faire tous ensemble dans les territoires ? », s’interroge-t-il, en pointant « la pluralité de solutions » déjà existantes, comme Territoires zéro chômeur de longue durée, l’insertion par l’activité économique, ou encore le secteur adapté et protégé. Pour rendre effectif le droit à l’emploi, « on mobilise toutes les solutions possibles, voire on en construit des nouvelles, là où c’est possible, pour apporter des solutions avec les personnes », précise-t-il.
Les 17 organisations impliquées demandent désormais « une grande loi pour rendre effectif le droit d’obtenir un emploi conformément au préambule de la Constitution », souligne la présidente d’ATD Quart Monde. Marie-Aleth Grard rappelle ainsi qu’un emploi décent est « un bien de première nécessité dont beaucoup trop de personnes sont aujourd’hui privées ». Alors que près de 4 millions de personnes sont en effet privées durablement d’emploi, « le rapport entre le nombre d’offres d’emploi non pourvues et le nombre de personnes sans emploi est au moins de 1 à 10, une seule place pour 10 personnes », rappelle-t-elle.
“Une chance unique d’éradiquer la pauvreté”
« Derrière les chiffres du chômage, il y a des personnes humaines et beaucoup de souffrance pour elles et pour leurs proches : course à la survie, angoisse permanente de ne pas pouvoir payer ses factures, de ne pas arriver à nourrir ses enfants, humiliation d’avoir à demander de l’aide, culpabilité de ne pouvoir offrir à ses proches la vie qu’on voudrait, perte d’estime de soi, découragement, dépression… », énumère la présidente du Mouvement, qui dénonce « le discours politique stigmatisant ».
Le vote d’une loi pour le droit à l’emploi, et l’effectivité de ce dernier, serait « une chance pour notre pays de se donner enfin une chance unique d’éradiquer la grande pauvreté, en mettant fin au cercle infernal de sa reproduction de génération en génération. C’est redonner à notre cohésion sociale, tellement mise à mal aujourd’hui, le socle indispensable dont elle a besoin pour se reconstruire », poursuit-elle.
“Un projet de société”
Alors que la question du coût d’une telle mesure se pose, Marie-Aleth Grard souligne que « mettre en œuvre le droit à l’emploi ne coûte pas cher, d’autant moins si on compte toutes les économies et recettes pour les finances publiques qu’entraînent, à court, moyen et long terme, la reprise d’emploi ». « Ce n’est pas la mise en œuvre du droit à l’emploi qui est un coût pour la collectivité, mais bien la privation durable d’emploi. Il n’y a donc aucun obstacle à ce que notre pays investisse pour rendre effectif le droit à l’emploi pour tous », affirme-t-elle, précisant que des expérimentations comme Travailler et Apprendre Ensemble ou Territoires zéro chômeur de longue durée, et toute l’expérience de l’Insertion par l’activité économique et du travail protégé et adapté, montrent depuis des décennies que c’est possible pourvu que l’on en fasse une priorité et qu’on s’en donne les moyens humains et financiers ».
Au-delà de la question des moyens, « c’est un projet de société », ajoute Jean-Baptiste de Foucauld, cofondateur du Pacte civique. « La société doit s’organiser de manière différente, vouloir être plus inclusive, et mettre en place une sorte de pacte civique pour l’emploi », précise-t-il.
Le droit à l’emploi souhaité par les 17 organisations s’adresserait « à toute personne volontaire et en droit d’occuper un emploi en France, sans distinction d’aucune sorte, qu’elle soit de genre, d’appartenance sociale, de religion, d’origine, de nationalité, de handicap ou d’âge ». Détaillant ce qui pourrait constituer l’article 1 de la future proposition de loi, Hélène Vallantin-Dulac, vice-présidente d’APF France Handicap, précise que ce droit inclurait « la possibilité pour toute personne privée durablement d’emploi, inscrite ou non auprès de France Travail, et volontaire pour travailler, d’accéder à un emploi durable, décent et adapté à sa situation. »
Des emplois “supplémentaires” en CDI
La mise en œuvre concrète du droit à l’emploi reposerait en outre sur la création « d’emplois supplémentaires », des activités répondant à des besoins non ou mal couverts pour l’instant. « Le volume d’emplois à créer est fonction du nombre de personnes privées durablement d’emplois identifiées sur un territoire, pas en fonction des aléas budgétaires ou des choix politiques. Ces emplois ne sont pas un coût, mais un investissement pour la société dans son ensemble, pour son avenir », précise Laurent Pinet, président du Coorace. Cela passera notamment par le développement d’activités écologiques, « puisque ce sont des besoins criants dans les territoires, pas développés parce que pas suffisamment rentables pour le marché tel qu’il fonctionne », ajoute Laurent Grandguillaume.
Pour être réellement effectif, le droit à l’emploi pourrait être adossé au niveau national à une commission « légitime, pérenne, installée et pertinente, qui pourrait être le Comité national pour l’emploi », décrit Tarek Daher, délégué général d’Emmaüs France.
Marie-Aleth Grard insiste en outre sur la nécessité que ce droit à l’emploi garantisse un emploi en CDI. « Les 4 000 embauchées jusqu’à maintenant par Territoires zéro chômeur de longue durée ont en moyenne 5 ans de chômage derrière elles. Nous voyons bien que les personnes tiennent dans cet emploi aussi parce que c’est un CDI. Cela change tout, pour le logement, pour les enfants et les jeunes, qui osent apprendre à l’école, regarder demain, se projeter dans un avenir, une formation. Quand on a été cassé durablement, il faut pouvoir voir plus loin », détaille-t-elle.
Les 17 organisations espèrent que les parlementaires vont désormais s’emparer de ces propositions et déposer une proposition de loi « avant l’été ». « Vous nous invitez à renverser le paradigme, on ne parle plus du plein emploi mais du droit à l’emploi, c’est un big bang. […] C’est important de prendre de la hauteur et de ramener un vrai message politique, se sentir inspiré par un nouveau projet de société. La lutte contre la pauvreté par le travail doit être remise au cœur du pacte républicain», estime le député des Vosges Stéphane Viry, qui pourrait porter le texte à l’Assemblée nationale. « Votre concertation ouvre de très belles perspectives politiques, au sens le plus puissant du terme », souligne-t-il. la proposition de loi comprendrait également la pérennisation du projet Territoires zéro chômeur de longue durée, développé aujourd’hui dans 83 territoires.