Volontaire permanent, Lamine Sarr a connu ATD Quart Monde dans son pays, le Sénégal. Aujourd’hui en mission à Colmar, en Alsace, il veut « grandir encore dans le Mouvement » après plus de vingt ans d’engagement.
La nuit, Lamine Sarr écrit ou il marche dans les rues de Colmar ou de Strasbourg, pour aller à la rencontre de celles et ceux qui sont les plus exclus. Impossible pour lui de dormir plus de quatre ou cinq heures, alors il préfère « se mettre en mouvement et mener le combat ». C’est le sens de son engagement à ATD Quart Monde, d’abord en tant qu’allié pendant dix ans puis, depuis 2009, comme volontaire permanent. Enfant, il rêvait pourtant de livrer d’autres batailles. « Je me préparais dans ma tête à aller dans l’armée, pour faire la Légion étrangère. Je voulais protéger mon pays, le Sénégal », se souvient-il.
Élevé par ses grands-parents, il rejoint sa mère dans la banlieue de Dakar à la fin des années 1990. Elle est engagée dans le Mouvement et tente de lui en parler, d’abord sans succès. « J’étais passionné par les arts martiaux. ATD Quart Monde ne m’attirait pas trop à cette époque. » Des volontaires lui font découvrir la Bibliothèque de rue, mais il prend son temps avant de s’engager régulièrement. « Pour rentrer, nous marchions parfois plus de 10 km avec un volontaire permanent. C’était un temps d’échanges très riches qui me donnait le goût de continuer », explique-t-il. Il découvre « un autre combat, très noble, contre l’extrême pauvreté » et devient « un soldat au service du Mouvement ». Ses proches ne comprennent pas toujours son engouement. « Ils me disaient : tu t’engages, tu te donnes à fond. On ne te donne rien et pourtant tu continues », dit-il en riant aujourd’hui de leurs réactions.
« Ne pas essayer, c’est un échec »
Lamine Sarr se lance alors dans le volontariat permanent, prêt à accepter toutes les missions qu’on lui proposera. Rapidement, il devient délégué national d’ATD Quart Monde au Sénégal. « Les alliés et les militants Quart Monde m’ont déconseillé d’accepter cette mission, car le Mouvement était alors en difficulté dans le pays. Ma mère m’a dit : « Crois en toi, si tu penses que tu peux le faire, vas-y. J’ai suivi ses conseils et cela s’est très bien passé. Je n’ai pas peur de l’échec. Pour moi, ne pas essayer, c’est un échec, et le simple fait d’essayer, c’est une réussite. C’est ça ma philosophie. »
En 2014, il part pour Madagascar. L’un des premiers endroits où il se rend est Antohomadinika, l’un des quartiers les plus pauvres de la capitale, Antananarivo. « J’ai vu les eaux usées, les matières fécales partout. Je n’arrivais même pas à respirer. Je me suis demandé comment les gens pouvaient vivre dans ces conditions », décrit-il. Lamine Sarr ne parle pas malgache. Sa mission principale est d’accompagner vers des formations des jeunes souvent découragés par la situation de leur pays. Malgré les difficultés, il décide de foncer. « J’ai expliqué que je n’avais rien amené dans mes poches, que tout ce que je pouvais faire, nous allions le construire ensemble, travailler la co-responsabilité de chacun. » Petit à petit, des ateliers d’informatique, de théâtre, de cirque, de danse, de slam et des cours de français et d’anglais sont organisés avec succès.
Puis un grand chantier de nettoyage du quartier d’Antohomadinika est lancé. Armés seulement de fourches et de grands bidons, une équipe se forme autour de Lamine Sarr pour enlever les ordures qui empêchent l’évacuation des eaux usées. Le volontaire se démène également pour trouver des soutiens financiers auprès du Service de coopération et d’action culturelle de l’ambassade de France, de la Banque mondiale, de l’Agence française de développement… Des formations sont mises en place auprès de la population pour apprendre à recycler, mais aussi pour transformer les déchets plastiques en pavés écologiques. Pendant un peu plus de cinq ans, Lamine Sarr est sur le pont quasiment nuit et jour.
Une conviction profonde
Lorsque la délégation générale lui propose de retourner dans son pays, le Sénégal, il hésite. « J’aimerais grandir encore dans le Mouvement, découvrir comment ça se passe ailleurs dans le monde. Si je rentre aujourd’hui, qu’est-ce que je vais leur apporter ? J’aimerais avoir de la valeur ajoutée », explique-t-il alors. Sa destination est finalement la France : Dole, dans le Jura. Pendant un an, il se forme avec les jeunes de l’école de production Eccofor et accompagne le groupe jeunes d’ATD Quart Monde. Puis, il intègre « l’équipe chantier », chargée du fonctionnement et des réparations du Centre international du Mouvement à Méry-sur-Oise, tout en préparant une validation des acquis de l’expérience pour obtenir le diplôme d’animateur social. Il accompagne également la Bibliothèque de rue avec les familles du bidonville de la Butte de Montarcy, qui sont totalement isolées et régulièrement expulsées.
La rencontre avec son « âme sœur » repousse encore de quelques années son retour au Sénégal. Sa mission se poursuit donc à Colmar, en Alsace. « Être volontaire permanent est une conviction très profonde. C’est un choix de vie. Pour quitter mon pays, il m’a fallu du courage, du cœur, surtout de l’envie et cette petite graine de folie qui est toujours en moi », détaille-t-il. Lorsqu’il se retourne sur ses plus de 20 ans d’engagement avec ATD Quart Monde, il est satisfait. « Si on reste immobile dans un Mouvement qui bouge, cela devient le désordre. Alors, moi j’avance, la nuit, le jour, sous la neige, dans les eaux usées, partout où je peux, afin de mener ce combat pour ne laisser personne de côté. Et chacun peut le faire, à son échelle. »
Ce portrait est extrait du Journal d’ATD Quart Monde de mars 2025.