Volontaire permanente espagnole actuellement en France, Gracia Valiente De Santis se donne notamment pour mission “d’ouvrir les fenêtres” avec les personnes qu’elle rencontre et de rendre l’art accessible à toutes et tous.
Gracia Valiente De Santis a vécu plusieurs vies, qui s’entremêlent aujourd’hui. Mais ce qui la motive depuis toujours est de “se libérer des standards, des façons de penser toutes faites, des manières de regarder les pauvres…”, détaille-t-elle.
Elle a d’abord eu “de bons boulots” en travaillant dans les théâtres et à l’opéra pour le ministère de la Culture espagnol. Comédienne, metteuse en scène et technicienne, notamment dans des troupes de théâtre itinérantes, elle côtoie alors régulièrement sur les routes “des gitans, des gens du Quart Monde”, embauchées pour quelques jours sur les spectacles. “Pour moi, ils étaient les meilleurs critiques. Je leur demandais toujours ce qu’ils avaient pensé de la pièce après avoir joué. Ils savaient me dire si ça sonnait juste ou pas.” Gracia en est alors persuadée, le théâtre et l’art en général doivent être accessibles à toutes et tous.
Poussée par son envie “d’insérer la culture dans un cadre plus social”, elle décide de reprendre des études. C’est là qu’elle rencontre un volontaire permanent d’ATD Quart Monde, Mickaël Michel, venu présenter les Universités populaires Quart Monde. C’est alors comme une illumination pour elle. Tout en commençant une deuxième vie professionnelle dans le secteur social, elle participe à la fondation d’une école de théâtre social à Madrid, et commence à s’engager en tant qu’alliée avec l’équipe d’ATD Quart Monde. L’idée de s’engager dans le volontariat, aux côtés de Mickaël Michel devenu son mari, fait peu à peu son chemin et, en 2010, elle se lance dans sa troisième vie professionnelle.
“Garer ses objectifs et ses projections”
Le couple s’installe à Séville, la ville de naissance de Gracia, dans le sud de l’Espagne. Pendant plusieurs mois, ils mènent des activités dans le quartier des Tres Mil Viviendas, l’un des plus pauvres d’Europe, pour apprendre à connaître les habitants, leurs combats et leurs envies. Les institutions rencontrées recommandent de mettre en place la Bibliothèque de rue les après-midi et en semaine, car sinon “ce serait trop dangereux”. Pourtant, après de nombreuses discussions, les habitants disent que la Bibliothèque de rue serait plus utile le samedi matin, justement parce que tout est fermé à ce moment-là. “Nous les avons écoutés. L’endroit était tellement sale que nous ne pouvions pas mettre de bâche par terre. Mais, petit à petit, les liens se sont tissés”, constate Gracia.
S’imaginant déjà faire du théâtre avec les habitants, elle se rend rapidement compte que ce n’est pas possible. Elle comprend alors que “pour être volontaire, il faut avoir un parking pour garer ses envies, ses objectifs, ses projections et d’abord aller vraiment écouter les gens”. Lorsque ses projets ne progressent pas, elle se dit parfois qu’elle n’a “pas la bonne méthode”, puis se ressaisit et voit que cette méthode, “ce sont les familles du quartier qui l’ont”. Cela prend des années, mais elle parvient à monter une pièce de théâtre avec les enfants, “à la façon dont le quartier en a besoin”. Cette création collective parle de la vie du quartier et s’intitule : “Il était une fois un quartier très pauvre, ou Quand quelqu’un en avait, tous en mangeaient”, qui parle de détresse et de solidarité en même temps.
Acquérir la confiance
Lorsqu’elle propose un jour de planter des tomates, elle se rend compte que la confiance est acquise et le dialogue possible. Les habitants la regardent avec amusement et lui répondent : “tu crois que nous n’y avons pas déjà pensé ? Mais tu vois les rats qu’il y a partout ici, est-ce que tu mangerais les légumes mordus par ces rats ?”. Un peu honteuse de sa proposition, elle constate que les habitants ne se sont pas contentés d’approuver sans rien dire, comme souvent. «“Ils disent oui à tous les gens qui n’y connaissent rien et viennent leur donner des leçons, sinon ils exploseraient et ils savent que cela ne servirait à rien. Souvent, on pense que les personnes du Quart Monde sont des incapables, parce qu’elles ne se révèlent pas, mais il y a beaucoup de sagesse dans leur façon d’agir”, constate-t-elle.
En écoutant chacun, elle se rend compte que la question du manque de travail revient très fréquemment dans la bouche des habitants. Les deux volontaires proposent alors de créer un atelier de fabrication de savon. “C’est une activité qui ne coûte rien, pour laquelle il faut seulement récupérer de l’huile déjà utilisée, des briques de lait vides que l’on coupe pour faire les moules et de la soude caustique. Nous étions tous au même niveau et nous avons appris ensemble”, se souvient Gracia. L’atelier connaît un grand succès, les participants font preuve de beaucoup de créativité et parviennent à vendre leur production à des associations, ou pour des événements et créent leur propre association appelée “Trois mille idées”.
Des effets sur le corps et l’esprit
Après huit ans passés à Séville, Gracia commence une nouvelle mission au centre international d’ATD Quart Monde, à Méry-sur-Oise. Elle suit des formations de médiation culturelle et s’investit notamment dans un hôtel social de la ville. “Comme à Séville, les gens me demandaient de sortir pour faire des jolies choses.” Elle les emmène alors régulièrement au musée du Louvre, où, ensemble, ils réalisent une œuvre créative après avoir admiré quelques tableaux ou sculptures. “La culture devient alors quelque chose de dynamique et ce partage nous donne de l’élan pour réfléchir, grandir avec les autres”, affirme-t-elle.
Elle travaille aujourd’hui au département Vacances d’ATD Quart Monde et trouve beaucoup de similitudes entre les deux thématiques. “On entend toujours que les vacances comme la culture ne sont pas nécessaires, pas vitales. Et pourtant cela produit des effets réels sur le corps et l’esprit”, constate-t-elle. Elle voudrait aujourd’hui “ouvrir des fenêtres” entre les gens, pour permettre davantage d’échanges entre eux, afin que chacun se sente écouté “pour avancer ensemble pacifiquement”. Julie Clair-Robelet
Ce portrait est extrait du Journal d’ATD Quart Monde de juillet-août 2024.
Photo : Gracia Valiente De Santis à Montreuil en juin 2024. © J. Clair-Robelet