Avec les enfants du Pivot culturel de Noisy-le-Grand, Dominique Lavaur s’emploie à mettre en avant les savoirs issus d’expériences pratiques, à être à l’écoute de leur approche intuitive et à prendre conscience des « leçons de la pleine nature ».
Explorateur dans l’âme, Dominique Lavaur ne cesse de« questionner les frontières » et de « chahuter les modèles tout faits ». Sa vie « n’a toujours été qu’un grand écart », estime-t-il. Ce décalage, il le vit notamment entre un savoir-faire d’artisan, « qui consiste à maintenir des gestes délicats et fastidieux », et le rapport de force permanent que suppose son travail de sous-traitant pour diverses industries.
Chef d’entreprise travaillant plus de 50 heures par semaine, il décide il y a trois ans de « s’offrir le luxe peu raisonnable, mais impérieux, de s’investir tous les mercredis après-midi dans ce Mouvement impliqué dans la grande réparation du monde » : ATD Quart Monde. Il choisit de s’engager dans les Bibliothèques de rue et rejoint la petite équipe mobilisée sur l’aire de voyage de Trappes-Elancourt, dans les Yvelines.
Questionner la primauté du livre
Il y découvre « les aléas de la météo, la résistance des enfants, leur grande variété de comportements face aux livres ». Lui qui a, « depuis toujours, un rapport difficile à l’école » a l’envie d’apporter aux enfants « une expérience tangible avec ce qui est autour d’eux ». Dès sa deuxième séance, il propose d’improviser une imprimerie de rue. De sa voiture, il extrait pochoirs, bois, outils et organise un chantier qui ravit les enfants. Tous révèlent des talents pour scier leur planche, composer leur œuvre, compter les lettres…
La semaine suivante, le vent aidant, c’est un atelier de fabrication d’éoliennes avec des bouteilles en plastique. « Le piège à éviter était de ne pas faire de ces ateliers un systématisme », affirme-t-il, d’autant plus que cela suscite dans l’équipe des questions sur le temps partagé avec les livres. Dominique Lavaur s’interroge alors sur « la nature des activités compatibles avec une Bibliothèque de rue : jusqu’où peut-on aller ? Qu’entendons-nous tous par ‘lire’ ? Comment attraper l’attention des enfants et que fait-on avec ceux qui échappent à la magie de la lecture ? ». Il comprend que ces questions ne sont pas forcément tranchées partout de la même manière dans le Mouvement. « J’ai tenté de répondre aux situations qui se présentaient avec des outils modestes et de les adapter à l’attente des enfants. C’est dans ces observations que des nuances sont apparues avec mes compagnons », constate-t-il.
Attentif à ne pas « projeter ses propres passions sur une mission plus vaste », il ne se laisse pas décourager et continue de participer à des réunions de la Dynamique Enfance d’ATD Quart Monde. C’est là qu’il découvre l’existence du Pivot culturel, à Noisy-le-Grand. « L’accueil m’a conquis et désarçonné à la fois », se souvient-il. Alors que les enfants se sont lancés dans un projet de construction de cabanes, il arrive « avec la volonté de leur proposer des trucs enthousiasmants », mais prend « une grande leçon ». Il comprend qu’il « n’est pas là pour apporter des projets, mais pour écouter ce que les enfants veulent, détecter ce qu’il est possible d’entreprendre avec eux, rebondir sur leurs intuitions ». Ainsi, la petite Sarah a l’idée d’une cabane « qui flotte dans les arbres ». Il ne s’agit donc pas « de lui imposer dès le départ un piquet pour que cela tienne, mais de réfléchir avec elle, d’arriver à concilier ses envies avec un minimum de méthode pour faire tenir la cabane debout ».
Un pas de côté
Dominique Lavaur est ensuite embarqué dans le projet de fabrication d’un trésor, souhaité par les enfants. Complice de l’équipe du Pivot culturel, il monte dans ce « navire, dont quarante enfants se sont saisis pour tracer une route qui leur était inconnue. Pas seulement dessinée sur du papier, mais en vrai, avec du fer, des machines, à condition d’en maîtriser les risques ». Il s’emploie à leur « faire entrevoir ce qu’est un savoir délicat », propose « un pas de côté, en introduisant des activités triviales, ordinaires, des savoirs qui reposent sur un système d’essai, d’erreur et de réajustement ». Pourquoi ne pas organiser un atelier d’épluchage de pommes ? « Ce n’est pas à première vue créatif, mais cela peut le devenir : observer et goûter différentes variétés de pommes, prendre soin de la finesse des pelures, varier la technique pour les couper, les organiser sur la tarte… Cela permet de construire un projet de A à Z en une seule séance, ce qui est très structurant », constate-t-il.
À ces enfants « engoncés entre les immeubles et le supermarché », il fait découvrir « les leçons de la pleine nature, qui sont autant de marchepieds vers des connaissances plus abstraites qui s’entremêlent avec les observations pratiques ». Il leur apprend le maniement de la lime, « ce qu’elle nous enseigne de la maîtrise de la géométrie, de la qualité des surfaces » et leur montre comment « ces activités, de mauvaise réputation, constituent des savoirs qui participent au soin des choses et par là, à notre humanité ».
Il estime aujourd’hui avoir trouvé sa place, même si le Pivot culturel est pour lui « une rude école qui déconstruit beaucoup la hiérarchie des valeurs ». Il reste cependant très vigilant à « ne pas trahir par méconnaissance les priorités d’ATD Quart Monde » et continue sans cesse de questionner son engagement et le monde qui l’entoure.