Militante Quart Monde à Armentières, Béatrice Dierendonck trouve « un sens à sa vie » en aidant les autres.
Sur la table de la cuisine, Béatrice Dierendonck a installé un classeur vert qui contient toutes les photos et les articles de presse évoquant les actions d’ATD Quart Monde dans la région. Chaque page lui rappelle une anecdote qui la fait sourire et des liens d’amitié indéfectibles. Elle revoit le chemin parcouru depuis sa première rencontre avec le Mouvement, en 1993. Des amis l’avaient invitée à participer à une fête de Noël, alors qu’elle ne sortait quasiment plus de chez elle. « En 1992, mon mari a fait un infarctus et, l’année suivante, j’ai subi un licenciement économique. J’ai alors eu des angoisses qui m’empêchaient de prendre les transports », se remémore-t-elle.
Impossible pour elle de retrouver un emploi en tant que dessinatrice industrielle dans le bâtiment, un métier dont elle était fière et qui lui a permis de « participer à de belles réalisations » comme le tunnel sous la Manche. « ATD Quart Monde m’a permis de rebouger petit à petit », explique-t-elle. Elle participe à des réunions, puis à des Universités populaires Quart Monde et retrouve à la Maison Quart Monde de Lille une ambiance qu’elle connaît bien : celle de son enfance avec la Croix-Rouge. « Ma grand-mère maternelle faisait partie des gens du voyage, j’ai grandi à Lille dans une courée, avec toute ma famille. La Croix-Rouge s’occupait de nous, nous proposait des ateliers, des sorties, des vacances… », se souvient-elle.
Plus de quarante ans plus tard, elle ressent l’envie de partager à nouveau de bons moments avec d’autres personnes. « Ce que j’ai eu en étant plus jeune, j’ai eu envie de le donner. Moi, j’avais galéré pour mes études, mais j’avais réussi à m’en sortir. Cela a été difficile pour que les gens me regardent autrement, parce que nous étions une famille pauvre. Il y a des gens qui n’ont pas cette possibilité, donc je voulais les aider, avec mes petits moyens », explique-t-elle.
Faire remonter la parole
Béatrice Dierendonck devient assistante maternelle en 1998. Elle s’investit de plus en plus à ATD Quart Monde et se démène pour faire connaître le Mouvement autour d’elle. Repas partagés, forums associatifs, Journée mondiale du refus de la misère, expositions de photographies, réalisation d’un petit film, Festival des savoirs et des arts, Bibliothèque de rue… Elle est de toutes les activités. « Dès que je peux être quelque part, si je suis libre, j’y vais », dit-elle en riant. Elle se revendique fièrement « militante Quart Monde ». Cela signifie pour elle « faire partie des gens qui ont connu des difficultés, qui savent faire remonter les problèmes, se prennent en main, et bougent les autres ».
Elle raconte souvent autour d’elle que le Mouvement a contribué à de nombreuses lois, comme la création du Revenu minimum d’insertion (RMI) ou encore la loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions, en 1998. « Certains me disent qu’on ne fait que parler, que ce n’est que du blabla. Mais tout ce qu’on dit, cela remonte aux instances du pouvoir », souligne-t-elle, en prenant l’exemple de l’audition à l’Assemblée nationale le 13 novembre dernier de trois membres d’ATD Quart Monde sur la protection de l’enfance, dont une militante Quart Monde. « Ce qu’elles ont dit, c’est tout ce qu’elles avaient travaillé avec les familles, donc c’est utile. »
« Laissez la place aux militants »
En 2001, un cancer l’éloigne pendant quelque temps des activités du Mouvement, mais les liens d’amitié sont toujours là. Elle s’occupe du groupe local d’Armentières de 2010 à 2012 et ne cesse de gérer les démarches administratives pour ses proches ou ses voisins, qui n’ont pas forcément d’ordinateur ou de téléphone… « Pour moi, c’est normal, mes parents étaient comme cela, toujours présents pour les autres. Je trouve un sens à ma vie, encore plus depuis que mon mari est décédé en 2016. Cela me fait du bien d’aider, j’en ai besoin », affirme-t-elle. Elle décide de rejoindre le groupe « Accès aux droits fondamentaux » d’ATD Quart Monde, pour mieux comprendre les démarches à mener.
Pour souffler un peu, elle passe une semaine dans la maison de vacances familiales du Mouvement, La Bise, dans le Jura, en septembre 2023. « C’est un moment pendant lequel on sort du temps réel. On ne parle plus de tous nos soucis, sauf si on le souhaite, parce qu’il y a toujours des gens qui sont là pour nous écouter. On décompresse, on repart carrément requinqué », affirme-t-elle.
Aujourd’hui, Béatrice Dierendonck s’inquiète un peu de voir que les militants Quart Monde de la région vieillissent et craint parfois qu’ils soient peu à peu « mis de côté » par des alliés qui sont en plus grand nombre. Elle invite donc ces derniers à « laisser de la place, et la parole, aux militants Quart Monde. Toujours dire qu’on est là pour ‘faire avec’, c’est bien, mais le faire vraiment, c’est mieux ». Elle aimerait par ailleurs que d’autres personnes en situation de pauvreté poussent la porte d’ATD Quart Monde. « Elles verront qu’elles peuvent toujours être utiles. Même si elles pensent qu’elles ne peuvent rien apporter, c’est faux et, en échange, nous pourrons leur apporter quelque chose. Ensemble, nous sommes plus forts », conclut-elle.
Photo : Béatrice Dierendonck, décembre 2024. © ATD Quart Monde