Travail social : “pour être partenaires, il faut faire chacun la moitié du chemin”

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L’association pour la formation, la recherche et l’intervention sociale, Afris-France, a organisé le 18 janvier une table ronde pour réfléchir aux évolutions du travail social. L’occasion pour ATD Quart Monde de rappeler la nécessité de reconnaître l’expertise des personnes en situation de pauvreté, afin de construire un véritable partenariat avec les travailleurs sociaux.

Trop souvent, la relation entre les personnes en situation de pauvreté et les professionnels censés les aider est une relation biaisée, piégée, tendue, pleine de malentendus et de méconnaissances, chacun étant sur ses gardes, chacun interprétant souvent de travers l’intention de l’autre. Cela engendre des souffrances de part et d’autres.” Ce constat est formulé par Isabelle Bouyer, membre de l’équipe nationale du Croisement des savoirs et des pratiques d’ATD Quart Monde, lors de la table ronde “D’hier à aujourd’hui, qu’en est-il du travail social ?”, organisée le 18 janvier par l’Afris-France.

Elle rappelle ainsi qu’ATD Quart Monde est “dans la recherche de nouvelles pratiques qui consistent à établir un équilibre des pouvoirs dans la relation intervenants-personnes en grande pauvreté, à renforcer les conditions d’une inter-compréhension, ouvrant sur un réel partenariat entre les parties en présence”.

Des propos à mettre “au cœur de la formation”

Afin d’illustrer son propos, l’ancienne membre de la délégation nationale d’ATD Quart Monde cite ainsi des militants Quart Monde ayant participé à des réflexions et travaux sur l’accompagnement social au cours des quatre dernières années. “Je n’avais pas besoin qu’on fasse à ma place, mais j’aurais eu besoin d’un soutien pour ne pas perdre pieds. Le soutien des professionnels, c’est important. Il est nécessaire de respecter l’autonomie, la vie privée des gens et d’avoir de la bienveillance envers eux, pour qu’ils se sentent reconnus à part entière”, constatait ainsi l’une de ces personnes.

Être partenaire, c’est être à égalité, car pour être partenaires, il faut faire chacun la moitié du chemin. Pour se comprendre, il ne faut pas de supériorité, qu’il n’y ait pas des personnes qui ne savent rien et des professionnels qui savent tout. Les étudiants et les professionnels doivent avoir conscience qu’il faut une volonté des deux côtés pour s’entendre sur les mots, dans le respect, prendre le temps d’une écoute compréhensive, sans position de supériorité et de jugement, sans abus de pouvoir, ni d’empathie (personne ne peut se mettre à notre place), ni de décider à notre place. La honte et la peur doivent disparaître de nos vies, surtout quand on a besoin d’un travailleur social, dont la mission première est de permettre l’accès aux droits”, expliquait une autre.

On s’est dit qu’un professionnel qui nous aide vraiment, finalement, c’est une personne qui nous aide à faire ce qu’on veut faire, mais en mieux. Comment les professionnels peuvent arriver à faire ça ?”, interrogeait une troisième. “Le domicile, c’est notre intimité, il faut trouver la façon de faire, expliquer ce qu’ils font, demander la permission de regarder partout, il y a des façons de faire qui font peur”, constatait enfin une militante Quart Monde ayant participé à un projet entre professionnels, institutionnels et parents en situation de pauvreté dans le Nord.

Ces propos de personnes en situation de pauvreté “devraient être le cœur de la formation en première année des travailleurs sociaux”, estime Patrick Lechaux, chercheur en sciences de l’éducation. Pourtant, face à une “hausse des contrôles sociaux, avec une attitude systématique de suspicion qui est une maltraitance institutionnelle”, Isabelle Bouyer constate que “les savoirs de vie que détiennent les personnes en grande pauvreté sont peu reconnus”. “Au mieux, elles participent à une consultation, sont sollicitées pour donner un avis. Sans moyen de faire valoir leurs propres réflexions, leurs questionnements, elles sont dépendantes de ce que d’autres interprètent et décident. Ce rapport inégal et dissymétrique au pouvoir, génère des conflits stériles, des malentendus, voire des réactions empreintes de violence. Il entraîne souvent une rupture de lien, les personnes en grande pauvreté préférant très souvent s’isoler, rester silencieuses, pour protéger le peu de sécurités qu’elles ont”, précise-t-elle.

Des politiques envisagées “loin des réalités”

Cette situation pèse également sur les travailleurs sociaux qui subissent trop souvent des “injonctions contradictoires”.  Ils n’ont souvent le temps “que d’appréhender les manques et les difficultés, et doivent mettre en œuvre des politiques publiques qui ne permettent pas de sortir de la pauvreté, voire qui la renforcent”, souligne Isabelle Bouyer. “Des politiques publiques semblent aller dans le bon sens quand elles financent des places fléchées pour les très pauvres, mais sans aller vers eux, sans formation spécifique, et sans compréhension de ce qui se joue pour ces parents-là dans leur vie si difficile, ces politiques ne les atteignent pas”, remarque-t-elle.

Ce constat est partagé par Jonathan Challier, rédacteur en chef adjoint de la revue Esprit, qui a consacré trois numéros à cette thématique en 1972, 1998 et 2022. Il note aujourd’hui “une vraie crise du travail social, miné notamment par les discours de dénonciation sur l’assistanat et les assistés”. Pour Ingrid Dromard, docteure en philosophie, “de plus en plus de travailleurs sociaux tentent d’agir sans disposer véritablement de moyens d’agir. Certains estiment que les besoins concrets des familles sont de moins en moins entendus, ils constatent qu’ils y a de moins en moins d’espace pour rendre visible ce qu’ils font, l’exprimer, porter à la connaissance et soumettre à la reconnaissance. Les politiques d’actions sociales sont envisagées loin des réalités”. Elle précise notamment que le travailleurs sociaux sont contraints de “rendre compte davantage des secours mobilisés, sans pouvoir valoriser l’essentiel de leur travail, c’est-à-dire le soutien qui relève d’un construit relationnel immatériel et donc invisible. La technique exige une exécution, alors que la relation d’aide exige une inventivité face à la pluralité des réalités”.

Le travail social est ainsi géré selon “un modèle économique marqué par des critères de gestion et souvent présenté au moyen de chiffres qui ne rendent compte que du secours et font fi de l’accompagnement, qui différencie le travail social de l’assistance et de la charité”, précise Ingrid Dromard. “Il est difficile de faire son travail quand on est soi-même précarisé dans son institution. Il y a une invisibilisation du métier”, abonde le philosophe Guillaume Le Blanc.

Le développement par ATD Quart Monde de co-formations en Croisement des savoirs et des pratiques, durant lesquelles des professionnels et des personnes en situation de pauvreté se forment ensemble, permet cependant peu à peu “des changements de pratique pour les professionnels et un changement de représentation et de compréhension des personnes en situation de pauvreté vis-à-vis du travail social”, affirme Isabelle Bouyer. Elle rappelle que la finalité du travail social devrait être “l’accès de tous à l’ensemble des droits fondamentaux et à une pleine citoyenneté, par la reconnaissance des personnes dans leur rôle d’acteurs de la vie sociale”. Cela implique “un processus émancipateur de transformation sociale mobilisant tous les acteurs et garantissant la place et la réelle participation collective des personnes en situation de pauvreté. Un processus qui doit être soutenu par une volonté politique”, conclut-elle. Julie Clair-Robelet

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