Avant de commencer leur mandat à la délégation nationale, le 15 novembre, Anne-Marie De Pasquale, Benoît Reboul-Salze et Geoffrey Renimel décrivent ce qui les motive dans leur engagement et les enjeux des prochains mois.
Quel a été votre déclic pour vous engager avec ATD Quart Monde ?
Anne-Marie De Pasquale : Quand je suis arrivée à Reims, en 2000, j’étais enseignante dans un collège et j’ai été frappée de voir les conditions de vie difficiles de certains enfants. J’ai poussé la porte de plusieurs associations pour comprendre. À ATD Quart Monde, on m’a dit qu’il fallait que je me forme, que j’apprenne et que j’écoute. Cela m’a semblé tellement original, que je suis restée. Après un temps de formation, on m’a proposé de faire de l’accompagnement scolaire pour une jeune fille qui vivait dans une caravane. C’était tout près de chez moi et du centre-ville de Reims. Pour moi, c’était impensable que deux mondes aussi proches ne se côtoient pas. Cela m’a donné vraiment l’envie de m’engager pour que ces personnes soient pleinement intégrées dans la ville, dans la société.
Benoît Reboul-Salze : Des déclics, il y en a en permanence. J’ai choisi de m’engager dans l’alliance en 1986. J’avais 21 ans, je venais de terminer mes études dans l’électronique et j’avais du temps. Mais l’un des déclics qui m’a fait rejoindre le volontariat a eu lieu deux ans plus tard. Dans une cité très pauvre de Paris, nous menions une action avec des jeunes du quartier. Un jour, une jeune fille nous a dit une phrase qui est restée dans ma mémoire : « c’est super que vous veniez chaque samedi après-midi, mais si vous voulez que notre vie change encore plus, c’est tous les jours qu’il faut venir ». Cette interpellation m’a fait réfléchir sur mes choix de vie.
Geoffrey Renimel : Je pense aussi qu’il existe une succession de déclics. Après mes études, j’ai eu envie de faire un service civique et ATD Quart Monde en proposait justement un. Quand je suis venu me présenter, je me suis immédiatement senti à ma place. Ce que proposait le Mouvement collait bien avec mes convictions personnelles, notamment l’idée de faire avec les gens et non pour eux. Cela m’a beaucoup frappé. Au début, les préjugés sur les personnes en situation de pauvreté, je ne les entendais pas. Après avoir passé un peu de temps à ATD Quart Monde, je n’entendais plus que ça, plus que l’injustice. Cela m’a amené à m’engager davantage, à réfléchir à mes propres préjugés.
Quel est votre souvenir le plus marquant avec ATD Quart Monde ?
Benoît Reboul-Salze : Il y en a des tonnes. Je pense au combat que nous avons mené en Bulgarie pour que tout le monde ait accès à un document d’identité. En octobre 2020, une maman est venue nous voir pour nous expliquer que son fils, sa compagne et leur nouveau-né n’avaient pas de carte d’identité. Elle nous a dit : « sans carte d’identité, nous n’existons pas en Bulgarie, nous sommes comme des personnes mortes ». De fil en aiguille, nous avons découvert que 43 jeunes et adultes de la Bibliothèque de rue n’en avaient pas non plus et que cela concernait 156 000 personnes dans le pays, selon les chiffres officiels. Nous avons travaillé avec d’autres associations et, aujourd’hui, les 43 personnes ont une carte d’identité. Mais beaucoup d’autres n’en ont toujours pas. Une campagne va se lancer sur cette question. Ce qui est marquant pour moi, c’est d’être passé d’une action très locale à un plaidoyer national, voire international, car cette question des « sans-identité » ne concerne pas que la Bulgarie.
Je pense aussi au 2 décembre 2002. Ce jour-là, avec des militants Quart Monde, nous avons assisté au vote de la loi de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale au parlement québecois. Cela représentait des années de travail et d’engagement. Avec un collectif d’organisations et de personnes, on avait réussi à inscrire dans la loi le principe de la participation des personnes en situation de pauvreté. Aujourd’hui, la loi n’est pas parfaite et il y a encore bien des défis à relever, mais elle a le mérite d’exister et de donner une ligne directrice qui, 20 ans après, se maintient.
Anne-Marie De Pasquale : Le 17 octobre 2010, c’était un dimanche et, à Reims, un événement sportif devait rassembler plus de 10 000 coureurs. Toute la ville était bloquée, ce n’était pas possible de se réunir en même temps pour la Journée mondiale du refus de la misère. En discutant avec les organisateurs de la course, nous avons réussi à avoir le logo de la Journée sur les t-shirts des participants. Nous avons aussi constitué une équipe d’une soixantaine de coureurs, avec des membres d’ATD Quart Monde, d’autres associations et d’un centre d’hébergement. C’était très festif. Nous avons terminé la course en nous donnant tous la main. Pour moi, nous avons renforcé le collectif et c’est vraiment un beau souvenir.
Geoffrey Renimel : Pendant mon service civique à ATD Quart Monde, j’ai participé à une journée familiale, à Lyon, et on m’a donné le micro pour que je parle, devant une centaine de personnes. Intimidé, j’ai expliqué à quel point j’avais découvert que les préjugés sur les pauvres étaient tenaces et qu’on ne faisait pas assez d’efforts pour éradiquer la pauvreté. Suite à ces mots, des militants Quart Monde sont venus me parler, j’ai senti qu’il y avait une compréhension mutuelle, et cela a beaucoup compté dans mon engagement.
Avez-vous rencontré des difficultés, des doutes dans votre engagement ?
Geoffrey Renimel : Parmi les difficultés, je pense parfois aux poids de l’histoire. ATD Quart Monde a remporté de grands combats et je me demande si nous sommes à la hauteur de cette histoire. Une question m’inquiète aussi parfois : comment arriver à prendre soin les uns des autres, à tous les niveaux, et à faire en sorte que personne ne s’épuise dans l’engagement.
Anne-Marie De Pasquale: J’ai souvent peur de me perdre dans des actions sans efficacité, de mobiliser des militants Quart Monde pour des rencontres avec des institutions et qu’au final ils ne soient que des faire-valoir. Il est aussi difficile d’être convaincue qu’une action est juste, mais de ne pas avoir les forces pour la mener.
Benoît Reboul-Salze : Il y a eu des difficultés, oui. Mais des doutes, non. Parfois, dans les équipes, des tensions naissent, on peut avoir des visions différentes et se confronter n’est pas toujours facile. Il y a aussi des difficultés dans l’action. J’ai vécu des échecs, des moments très durs où on ne peut que pleurer avec les gens parce que ce qu’ils vivent est intolérable. C’est difficile, mais cela me pousse à continuer, car les familles en situation de pauvreté, elles tiennent le coup, elles n’ont pas le choix.
Qu’est-ce qui vous a poussés à accepter de faire partie de la délégation nationale ?
Anne-Marie De Pasquale : Une des raisons pour moi est de faire équipe à trois. C’est rassurant. C’est aussi une chance, à titre personnel, qu’on me sollicite en tant que bénévole, pour contribuer à faire connaître les propositions du Mouvement. C’est audacieux de la part d’ATD Quart Monde.
Benoît Reboul-Salze: Je reviens de sept ans dans les pays du sud-est de l’Europe et je sentais que c’était le bon moment pour passer le relais dans la région, mais aussi pour redécouvrir le Mouvement dans mon propre pays. C’est l’occasion pour moi de réapprendre des uns et des autres, tout en puisant dans mon expérience pour la partager.
Geoffrey Renimel : Le cadre de fonctionnement collectif me semble assez rassurant. C’est vraiment l’esprit du Mouvement : ne pas être seul face aux responsabilités et chercher un chemin à plusieurs. ATD Quart Monde incite les jeunes à prendre des responsabilités, donc pour moi c’était aussi important de contribuer à montrer que c’était possible d’avoir 30 ans et d’être dans la délégation nationale, comme l’avait fait Guillaume Amorotti dans l’équipe précédente.
Benoît Reboul-Salze : Nous savons que le Mouvement a besoin de se renouveler, de rejoindre de nouvelles personnes, de tous horizons et dans tous les engagements possibles. Nous portons cette idée tous les trois.
Quels sont pour vous les enjeux des prochains mois ?
Geoffrey Renimel : Pour le début de notre mandat, nous avons envie de nous déplacer beaucoup. Nous voulons être un Mouvement ancré dans les territoires.
Anne-Marie De Pasquale : Nous avons trois connaissances différentes des facettes du Mouvement et elles se complètent bien. Mais nous ne voulons pas partir de ce que nous savons ou pensons savoir, mais de ce que les personnes rencontrées vont nous dire.
Benoît Reboul-Salze: Nous espérons présenter les priorités de notre mandat mi-janvier 2023. Nous ne voulons pas être une équipe nationale déconnectée du terrain, donc nous souhaitons avancer avec les membres du Mouvement partout en France. Ce qui m’a toujours fasciné et enthousiasmé, c’est la capacité d’ATD Quart Monde de partir des endroits les plus pauvres, que ce soit de la boue des bidonvilles – comme en Bulgarie, et d’aller avec les familles jusqu’à des hauts lieux de représentation. Ce que nous faisons en France a en outre un impact sur certaines dynamiques du Mouvement ailleurs dans le monde. C’est une richesse formidable qu’il faut mettre en avant.
Pour moi, la vision et les intuitions de Joseph Wresinski sont toujours aussi fortes. Mais notre société évolue et donc notre manière de vivre le Mouvement aussi. Par exemple, la conscience collective du changement climatique a considérablement changé. Mais il faut encore que la société prenne conscience que les familles les plus pauvres ont un savoir, une expérience, une pensée dont on ne peut pas se priver si on veut vraiment changer la société, pour un monde sans misère et respectueux de la terre. Propos recueillis par Julie Clair-Robelet
Cet article est extrait du Journal d’ATD Quart Monde de novembre 2022.
Photo : Anne-Marie De Pasquale, Benoît Reboul-Salze et Geoffrey Renimel, la nouvelle délégation nationale d’ATD Quart Monde. © Clémence Mahé