Quinze comédiens amateurs, membres d’ATD Quart Monde et de la Maison des pratiques artistiques amateurs, ont présenté vendredi 2 juin la pièce de théâtre Clair-Obscur. L’aventure théâtrale de cette troupe permet à chacun de “retrouver une certaine assurance et aussi la fierté de réussir”.
“Quand le rideau s’ouvre, la magie opère parce qu’on voit qu’il y a beaucoup de gens qui sont là pour nous voir jouer”, affirme Manuella Lecanu, militante Quart Monde. Le 2 juin dernier, la salle de la Maison des pratiques artistiques amateurs (MPAA) Saint-Germain, à Paris, était pleine pour voir jouer la troupe composée de 15 comédiens et comédiennes d’ATD Quart Monde et de la MPAA, et la magie a effectivement opéré.
Les spectateurs se sont plongés dans les tableaux de Vincent Van Gogh, Frida Kahlo ou encore Jean-Michel Basquiat que les comédiens font vivre sur scène, en s’appropriant les univers picturaux, en les transformant et en dévoilant aussi ce qui se cache, hors du cadre. L’idée est venue du metteur en scène, Philippe Osmalin, mais tous les comédiens ont participé à l’écriture de la pièce. “Comme les peintres, nous avons travaillé par petites touches successives. Au début, on ne savait pas trop où on allait, puis, petit à petit, la pièce a pris forme. Chacun a apporté sa pierre à l’édifice et tout s’est enchaîné d’une manière assez incroyable”, explique Stéphane Granado, allié d’ATD Quart Monde.
Cette troupe, dont il fait partie, est “une alchimie incroyable : on se soutient, on s’encourage. Philippe Osmalin est très attentif à chacun et chacune d’entre nous, tire le meilleur de nous-mêmes et nous fait faire des choses incroyables. Nous sommes tous portés par cette énergie collective”, constate-t-il.
Sur scène, les comédiens semblent prendre un réel plaisir à donner vie aux personnages des tableaux. Les marionnettes virevoltent entre leurs mains pour représenter le tableau de James Ensor, L’intrigue, et les visages montrent tour à tour la peur du jugement, l’envie d’être dans la lumière, la surprise… “Quand on voit les peintures, on ressent souvent des émotions, parce qu’elles font appel à des choses très profondes en nous. Chacun a pu s’emparer de ces œuvres et a voulu les incarner”, explique Stéphane Granado.
Aller chercher des talents
Ces derniers mois, les comédiens ont été accompagnés par Kathy Mépuis, danseuse-chorégraphe et fondatrice de l’association La possible Échappée et Nancy Rusek, également danseuse-chorégraphe. “Nous avons d’abord fait des improvisations, mené un travail sur le corps, sous la forme de jeux, car le jeu désinhibe”, explique Kathy Mépuis. Elle a souhaité collaborer avec la troupe notamment après avoir vu la pièce jouée en 2022, Chemins de traverse. Les comédiens, dont certains sont très éloignés du monde de la culture, “ont énormément de générosité, d’authenticité. Il y a des talents chez eux et je trouve qu’aller chercher ces talents au cœur de ces personnes paraît essentiel, parce que, souvent elles sont cachées, n’osent pas aller vers la culture, ne montent pas sur scène… Pour moi, c’est vraiment important qu’elles puissent avoir accès à la scène pour montrer leurs talents”, détaille-t-elle.
La chorégraphe estime que le fait de monter sur scène peut faire évoluer la vie des comédiens de la troupe, et en particuliers de ceux qui ont vécu ou vivent encore dans des situations de grande pauvreté. “À partir du moment où ils ont senti qu’ils pouvaient dire un texte, faire des gestes, s’élancer dans l’espace, ils deviennent beaucoup plus mobiles dans leur quotidien. Ils vont peut-être aller plus vers les autres, être plus sûrs d’eux, et c’est très important pour moi”, souligne-t-elle.
Stéphane Granado a ainsi remarqué ces évolutions depuis 6 ans. Lui qui ne s’imaginait pas un jour monter sur scène devant plus de 200 spectateurs est aujourd’hui très à l’aise et il a vu aussi les autres comédiens changer. “Certains ont des qualités extraordinaires que personne ne soupçonnerait, des talents d’écriture, des univers. Cette expérience leur a donné une ouverture aux autres, une confiance en eux qui est incroyable. Ça ouvre le champ des possibles”, précise-t-il. “Je suis fière que les gens viennent me voir, ça m’a donné de la confiance” confirme Sonia Hamdaoui, militante Quart Monde, qui a invité beaucoup de connaissances à venir assister à la pièce.
“Nous sommes des personnes qui ont été un peu bousculées par la vie. Le théâtre nous permet de reprendre confiance en nous et de retrouver une certaine assurance et aussi la fierté de réussir, même si le travail est très long, dur et fatigant. On est très content quand on réussit ce spectacle”, ajoute Manuella Lecanu. Après une heure de représentation, les applaudissements nourris des spectateurs ne laissent aucun doute : le spectacle est réussi et chacun en ressort enrichi. Julie Clair-Robelet
Retrouvez le metteur en scène Philippe Osmalin vendredi 9 juin à 19h, à la médiathèque La Canopée à Paris, dans le cadre de la table ronde autour de la Revue Quart Monde “Peindre et dépeindre”. Il est aussi possible de suivre cette table ronde en direct sur notre chaîne Youtube
Photo : Répétition générale de Clair-Obscur à la MPAA Saint-Germain le 2 juin. © JCR, ATD Quart Monde