Entrez votre recherche ci-dessous :

Théâtre : les acteurs d’ATD Quart Monde et de la MPAA font résonner les « Voix du silence »

Plus de 250 spectateurs ont assisté, vendredi 20 mai à Paris, à la pièce de théâtre « Voix du silence » présentée par ATD Quart Monde, en partenariat avec la Maison des pratiques artistiques amateurs (MPAA). Incarnant chacun le rôle d’un « invisible », de toutes celles et ceux que l’on ne voit pas et que l’on n’écoute pas dans notre société, les vingt acteurs ont su montrer « la force de vie des personnes, dans un mélange de souffrances et d’espoirs ».

Dans les coulisses de la Maison des pratiques artistiques amateurs du 6e arrondissement de Paris, la tension monte, quelques minutes avant la répétition générale. Les vingt acteurs viennent d’apprendre que la salle devant laquelle ils joueront le soir même sera quasiment pleine. « Je suis ravie qu’il y ait pas mal de gens qui viennent nous voir », se réjouit Sonia Hamdaoui. Parmi les « voix du silence » qui résonneront sur scène, elle a le rôle de « la petite fille, qu’on choisit toujours en dernier pour jouer à la balle au prisonnier, dans la cour d’école ». « S’il vous plaît, je voudrais exister ! », s’exclame son personnage.

À ses côtés, Claudine Solvar regarde avec amusement le tourbillon des acteurs autour d’elle. Les uns vont sur scène, pour repérer une dernière fois un emplacement ou écouter les conseils du metteur en scène, Philippe Osmalin ; les autres tentent de se concentrer en écoutant de la musique, en grignotant ou en vérifiant, une fois encore, leur costume. Claudine a déjà joué à plusieurs reprises avec ATD Quart Monde et la MPAA et fait désormais partie des habitués de la troupe. « Ça me fait du bien le théâtre. Je sens que je suis en vie. Je suis débout. Ça m’a transformée, tout le monde dans mon entourage le dit. Quand je suis sur scène, je suis dedans, je ne pense pas aux soucis », explique-t-elle.

La troupe est composée de membres d’ATD Quart Monde, militants Quart Monde, alliés et volontaires permanents, mais aussi d’acteurs amateurs ne connaissant par forcément le Mouvement. Elle réunit ainsi des personnes de parcours et de milieux sociaux différents. Morgane Farce a été attirée par ce « projet de mixité sociale ». Conseillère en insertion professionnelle ayant fréquenté, il y a quelques années, le Cours Florent, une école de théâtre, elle y a vu l’occasion de « faire le lien entre [son] passé théâtral et [son] emploi ».

Elle estime que cette pièce « arrive au bon moment, après cette période de Covid durant laquelle les invisibles ont enfin été vus ». Elle espère désormais que ces « invisibles » connaîtront « un vrai changement dans la société ». Pour elle, l’écriture de la pièce a été « un travail d’introspection, avec plein de questions éthiques, philosophiques…. »

« Assez du gaspillage humain »

Les acteurs amateurs se sont en effet réunis à partir du mois d’octobre dernier pour un atelier d’écriture. Chacun devait avoir en tête le souvenir d’un moment où il s’était senti « vraiment invisible ». Tous ont ensuite patiemment construit leur personnage, à partir de leur histoire personnelle ou d’une thématique qui leur tenait à cœur. « Je raconte l’histoire de ma maman, migrante, qui a perdu ses papiers, son identité, en arrivant en France », souligne Manuella Lecanu. Femme de ménage, ouvrier, cantinière, mais aussi employé d’une grande entreprise, femme battue… Les parcours de ces « voix du silence » sont extrêmement variés. Mais tous en ont « assez du gaspillage humain », « d’être pris pour rien » et sont « debout », scandent-ils, avec force, tous ensemble à la fin de la pièce.

« L’objectif est de montrer les gens qui ne sont pas forcément ceux qu’on a l’habitude de voir dans la fiction, dans l’art de manière générale », explique Balthazar Masingue. « C’est une mosaïque de la société, qui montre un groupe de gens rarement représentés, ceux qui doivent d’abord survivre, dépasser les difficultés psychologiques, physiques ou matérielles », précise Hsun-Ya Wang. Elle joue un personnage souffrant de dyspraxie, un trouble du développement moteur touchant notamment la coordination et la planification des gestes. Elle a découvert l’atelier en 2020, sans connaître ATD Quart Monde, et estime que, depuis, elle a surtout appris « la patience ».

Stéphane Granado, lui, n’avait jamais fait de théâtre avant d’intégrer cette troupe. « C’est très intéressant de mélanger les publics. Ce sont des personnes qui ne se rencontreraient pas forcément ailleurs. C’est une expérience humaine et artistique incroyable », constate-t-il. « Chacun a apporté ce qu’il voulait, puis Philippe [Osmalin] a construit la pièce, comme un peintre, par petites touches. Il a le don d’utiliser les capacités de chacun. C’est un travail d’orfèvre. Ce n’est pas plombant, car cela ouvre sur des histoires qui font réfléchir, ça montre la force de vie des personnes, dans un mélange de souffrances et d’espoirs », précise-t-il.

Intervenant professionnel au nom de sa compagnie, le Théâtre de la fugue, et allié d’ATD Quart Monde, le metteur en scène Philippe Osmalin pense déjà à la suite, avec un « deuxième volet » sur cette thématique des invisibles. Après le succès rencontré par la pièce Chemins de traverse, jouée notamment  au festival C’est pas du luxe, en septembre 2021, à Avignon, les membres de la troupe d’ATD Quart Monde et de la MPAA ont accueilli avec fierté les applaudissements nourris du public, étonnés eux-mêmes, comme le dit Stéphane, « d‘avoir fait des choses dont on ne pensait pas être capables ».

 

Photos : Répétition générale de la pièce « Voix du silence », le vendredi 20 mai 2021 à la MPAA. © JCR, ATD Quart Monde