Lors d’une conférence de presse avec une dizaine de journalistes, ATD Quart Monde a exposé, mardi 26 mars 2025, ses inquiétudes vis-à-vis des nouvelles obligations et sanctions imposées aux allocataires du RSA et présenté la pétition « Non aux sanctions sur le RSA ».
ATD Quart Monde a lancé le 26 mars « une nouvelle étape dans son plaidoyer pour dénoncer la maltraitance institutionnelle », affirme la présidente du Mouvement, Marie-Aleth Grard, à l’occasion de la conférence de presse annonçant la publication d’une pétition pour dire « Non aux sanctions sur le RSA ». Ce texte appelle à la non-publication du décret prévoyant des sanctions accrues contre les allocataires du RSA, dont l’application est annoncée pour juin 2025, et à la mise en place d’un accompagnement « digne, bienveillant et adapté aux aspirations et besoins des personnes en situation de pauvreté ».
« Nous souhaitons mobiliser toutes les personnes concernées par les sanctions : les allocataires du RSA en premier lieu, mais également toutes les personnes dans notre société qui défendent le fait que c’est impossible de vivre, de survivre, avec un tel revenu », souligne-t-elle. Vice-présidente d’ATD Quart Monde, Isabelle Doresse rappelle en effet que le montant du RSA est de 635,70 € pour une personne (646,52 € à compter du 1er avril). « Cela répond à un droit fondamental, qui est constitutionnel : celui d’avoir accès à des moyens convenables d’existence pour tous », précise-t-elle.
Des conditions d’obtention toujours plus compliquées
Les conditions pour obtenir le RSA sont déjà nombreuses. L’allocataire doit faire « une déclaration, tous les trimestres, de l’ensemble de ses revenus et doit déclarer toutes ses autres ressources, qui sont déduites du montant du RSA trois mois après. On ne sait jamais ce qu’on va toucher le mois suivant. C’est en fait un maximum social, et non pas un minimum social, parce qu’on est en général en dessous des 635,70 € , puisque la moindre ressource est enlevée », détaille-t-elle.
Une situation que connaît très bien Pascale(1), également présente à la conférence de presse. « En septembre 2024, j’ai travaillé trois semaines. J’ai touché 900 €. À partir de janvier, pendant trois mois, on m’a enlevé 300 € sur le RSA. Donc je vis avec moins de 300 € par mois », décrit la militante Quart Monde des Pyrénées-Orientales. Elle constate que « pour remplir la déclaration, c’est hyper compliqué. On a toujours peur de se tromper et, si on se trompe, cela a des conséquences assez compliquées pour nous. [..] Moins on en a, plus on nous en enlève ».
Une « marginalisation » des plus pauvres
La Loi Plein Emploi du 18 décembre 2023 complexifie encore les conditions d’obtention du RSA et prévoit de nouvelles sanctions. Depuis le 1er janvier 2025, les allocataires doivent en effet effectuer 15 à 20 heures obligatoires d’activité par semaine sous peine d’être sanctionnés. Les sanctions doivent être précisées dans un décret, qui doit être publié prochainement, mais le gouvernement a déjà fait savoir qu’elles pourraient aller jusqu’à une suspension de 30 % à 100 % du RSA. Ces mesures sont appelées « suspension-remobilisation », un terme qui scandalise la présidente d’ATD Quart Monde. « Il n’y a que pour les plus pauvres qu’on ose un vocabulaire pareil. C’est d’une violence inouïe. Quand on vous coupe les vivres, ce n’est pas une remobilisation. C’est une marginalisation », s’insurge-t-elle. « Je ne comprends pas comment sanctionner les gens va permettre de les remobiliser. Ce sera plutôt la déprime d’abord. Quelqu’un à qui on supprime une moitié de ses ‘revenus’, comment voulez-vous qu’il soit motivé pour aller chercher du travail ? Est-ce qu’il va y avoir plus de travail proposé ? Il y a moins de travail que de chômeurs de toute façon », ajoute Pascale.
« Ces nouvelles conditions vont renforcer un mécanisme de radiation qui est déjà en route aujourd’hui », dénonce Isabelle Doresse, qui rappelle qu’une « société digne, c’est une société dont les institutions n’oublient personnes, alors qu’aujourd’hui les gens sont vraiment stigmatisés et humiliés ». Pour la vice-présidente du Mouvement, « les politiques sont axées sur cette responsabilité des personnes en oubliant complètement la solidarité nationale. On a de moins en moins d’accompagnement, et on constate une grosse perte de sens pour l’ensemble des travailleurs sociaux à qui on demande essentiellement de contrôler ».
« On trie globalement les ‘bons’ et les ‘mauvais’ pauvres. Les personnes aujourd’hui doivent mériter leur RSA en acceptant de signer un contrat d’engagement et les conditions qu’on leur demande. Si cela n’est pas réalisé, les personnes sont sanctionnées », affirme Isabelle Doresse.
Un manque d’informations claires
Ce manque d’accompagnement réel est aussi pointé du doigt par Pascale. « Je suis à France Travail depuis plusieurs années et, au niveau de l’accompagnement, ce n’est pas forcément efficace. On change de conseiller régulièrement sans même être au courant. On a l’habitude de parler avec quelqu’un et, finalement, cela s’arrête », décrit-elle. Les allocataires peuvent être convoqués à des réunions ou des formations, sans en connaître le contenu à l’avance et sans pouvoir se prononcer sur leurs réels besoins. « J’ai été convoquée deux fois pour la même réunion en deux mois. Et cela ne m’a rien apporté. J’ai juste dû me déplacer dans les bureaux de France Travail, qui sont loin. C’est coûteux. Il faut que je paye les bus à 1,50 € aller-retour. Si c’est en fin de mois, les 1,50 € je ne les ai plus, alors, la plupart du temps, j’y vais à pied », explique-t-elle.
Elle constate également le « flou » qui entoure les 15 à 20 heures d’activité obligatoires prévues par la loi. « On ne sait pas si c’est du bénévolat, à qui on on doit s’adresser pour faire ces heures, on ne sait rien du tout. S’il y a du travail à pourvoir, qu’on nous paye pour le travail qu’on fournit. On a vraiment l’impression d’être des profiteurs, de se la couler douce, d’être en vacances. Comme si, avec 500 ou 600 euros par mois, c’était la joie. On est discriminé, tout le monde pense qu’on est au RSA parce qu’on est fainéant, parce qu’on ne veut pas travailler, parce qu’on n’est pas capable de travailler. Il y a tellement de préjugés sur les pauvres », regrette Pascale.
« Une perturbation sur du très long terme »
La militante Quart Monde s’interroge par ailleurs : « Quand les bénéficiaires du RSA sont sanctionnés, rayés de la liste, que deviennent ces gens ? Est-ce qu’on a calculé le taux de suicide par exemple ? Ils sont rayés des listes de la citoyenneté et on ne sait pas ce qu’ils deviennent et tout le monde s’en fout un peu ».
Une crainte partagée par Marie-Aleth Grard. « Avec ces sanctions, nous allons encore mettre des gens sur le bord du chemin. Est-ce que c’est cela que nous voulons dans notre pays ? Nous ne voulons abandonner personne. Cela ne peut pas durer », affirme la présidente d’ATD Quart Monde. « Une sanction, ce n’est pas pénaliser seulement un allocataire, c’est pénaliser toute une famille, des gens qui risquent de perdre leur logement, leurs quelques sécurités, c’est des enfants qui vont être très mal à l’école, c’est vraiment une perturbation pour toute une famille sur du très long terme », ajoute Isabelle Doresse.
Elle pointe en outre le risque d’arbitraire dans la mise en œuvre des sanctions. « Avant, lorsqu’une sanction était prononcée, une commission pluridisciplinaire était saisie. C’était plutôt un organe de validation, mais elle existait. La ‘suspension-remobilisation’ prévue dans le nouveau texte pourrait être décidée uniquement par le travailleur social de France Travail si le département délègue ses pouvoirs à France Travail », explique-t-elle.
Maltraitance institutionnelle pour les professionnels
Ces évolutions ont des conséquences importantes pour les allocataires et leurs familles, mais aussi pour les travailleurs sociaux. « En général, c’est une vocation, ils ont envie d’aider leur prochain. Mais le problème, c’est qu’on ne leur en donne pas les moyens. Et si on leur donne des moyens, c’est pour sanctionner, surveiller, pas vraiment pour aider la personne qu’elles accompagnent. J’en connais qui sont en dépression », souligne Pascale. « Ils n’ont pas fait ces formations pour sanctionner les personnes, mais pour pouvoir dialoguer avec elles et que leur vie avance », abonde Marie-Aleth Grard, pointant la maltraitance institutionnelle qui vise aussi ces professionnels, qui ont « de moins en moins d’autonomie et de possibilités d’action ». Elle préconise ainsi de faire en sorte que « les travailleurs sociaux puissent faire leur travail d’accompagnement des personnes dans la confiance et dans la durée ».
Parmi les premiers signataires de cette pétition lancée le 26 mars, ATD Quart Monde annonce le soutien notamment de Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, Axelle Brodiez-Dolino, historienne, Tarek Daher, délégué général d’Emmaüs France, Daniel Lenoir, ancien directeur général de la Cnaf, Christophe Robert, délégué général de la Fondation pour le logement des défavorisés ou encore Claire Thoury, présidente du Mouvement associatif. Le Mouvement invite toutes les organisations, les syndicats, associations et citoyens et citoyennes à signer et à relayer ce texte.
(1) Pascale n’a pas souhaité donner son nom de famille.