La commission d’enquête sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance, pour laquelle des membres d’ATD Quart Monde avaient été auditionnés le 13 novembre dernier, a rendu son rapport le 8 avril. Céline Truong, responsable de l’équipe Petite enfance famille du Mouvement nous détaille le contenu de ce rapport et salue la prise en compte de certaines propositions d’ATD Quart Monde.
Quelles conclusions retenez-vous du rapport de la commission d’enquête sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance ?
Le monde de la protection de l’enfance attendait ce rapport depuis longtemps. Il a été rédigé par les députées Isabelle Santiago et Laure Miller suite à cette commission qui a commencé en avril 2024, a été interrompue par la dissolution de l’Assemblée nationale et a recommencé en septembre. Il s’agit donc du résultat d’un gros travail, mené par une trentaine de députés qui se sont déplacés sur le terrain et ont auditionné près de 130 personnes. Le 13 novembre, nous avons été reçues à l’Assemblée nationale, avec Isabelle Toulemonde, responsable de l’équipe nationale Droits de l’homme et justice et Gaëlle Le Dins, militante Quart Monde de Bretagne. Un militant Quart Monde de Normandie, Styven Andreu, devait également venir avec nous, mais cela n’a finalement pas été possible. Mais nous avons fait un important travail de préparation avec les groupes de militants et d’alliés de Normandie et de Bretagne.
Ce rapport affirme que la protection de l’enfance est en situation d’échec, que cette situation est grave pour les enfants, mais aussi pour la société en général. Il souligne que l’État et les départements n’arrivent pas bien à s’entendre pour piloter la politique d’aide sociale à l’enfance, qu’il n’y a pas assez de moyens pour mettre en œuvre cette politique et qu’il est nécessaire d’appliquer les lois qui existent déjà. Il s’agit de constats déjà formulés dans des rapports précédents, auxquels nous avions déjà participé, comme celui du Conseil économique, social et environnemental, ou celui du Défenseur des droits.
Mais c’est la première fois que je vois aussi clairement dit le lien entre protection de l’enfance et pauvreté. C’est écrit noir sur blanc. Les députées évoquent une « culture du placement », parlent de la « violence institutionnelle au sein de l’Aide sociale à l’enfance » et posent la question de l’indemnisation des personnes victimes de maltraitance institutionnelle au sein de l’Aide sociale à l’enfance. Il y a des phrases très fortes, comme « des travaux de pédopsychiatrie ont bien montré que les effets de la précarité sur les enfants et les adolescents sont comparables à ceux de la guerre », ou « si la majorité des familles pauvres ne sont pas maltraitantes, la majorité des enfants accompagnés au titre de l’aide sociale à l’enfance sont en situation de pauvreté ».
Les propositions faites par ATD Quart Monde ont-elles été entendues ?
Notre audition est citée à plusieurs reprises dans le rapport mais, surtout, ce que nous avons dit est crédibilisé par d’autres citations qui vont dans le même sens et par des recommandations faites par les députées.
Ainsi, on retrouve dans le rapport une citation de Gaëlle Le Dins, au sujet du PPE, le projet personnel pour l’enfant, qui est obligatoire depuis 2007, mais que très peu de départements mettent en place correctement. Il « permet aux parents de gagner en confiance, notamment dans leurs échanges avec les professionnels. Il permet de construire une relation plus équilibrée entre parents et professionnels, de mieux prendre en compte l’environnement familial, de se mettre d’accord ou, au moins, de mieux se comprendre », a-t-elle expliqué. La recommandation n° 68 des députées est de « garantir sans délai la généralisation des PPE à tous les enfants en en faisant une condition préalable à l’obtention des financements pouvant être obtenus dans le cadre de la contractualisation ». Nous avons donc bien été entendues et les députées lancent une sorte d’ultimatum aux départements, ce qui est important. Pour nous, le PPE est un outil qui peut vraiment permettre de faire en sorte que les situations de placement se passent mieux et durent moins longtemps, donc c’est un combat que nous menons depuis des années.
De même, Gaëlle Le Dins, avait pointé le fait qu’on « ne parle que très peu aux parents avant l’audience, et on ne […] leur transmet pas [le rapport]. Les parents peuvent prendre rendez-vous avec la greffière au tribunal et y avoir accès, mais ils n’ont le droit ni d’en faire des copies ni d’en prendre des photos. Pendant l’audience, sous le coup de l’émotion, et en découvrant les éléments négatifs que contiennent les rapports des professionnels, c’est difficile de s’exprimer. Nous nous sentons désespérés, dévalorisés ou révoltés, sans oser le montrer, car nous avons bien compris que tout pouvait se retourner contre nous ». Des faits constatés également par la Défenseure des droits, Claire Hédon, lors de son audition. La recommandation n°31 prévoit donc de « garantir le droit à la consultation du rapport des services de l’aide sociale à l’enfance aux parents avant l’audience ». Cela reste un peu vague, car nous demandions que le rapport soit disponible un mois avant pour être consulté, mais cela va dans le bon sens.
Ce rapport reprend donc de nombreuses propositions d’ATD Quart Monde. L’un des points sur lesquels nous pourrions être en désaccord est la solution préconisée pour soutenir les parents. Les députées recommandent de développer les instituts de la parentalité.Il s’agit de structures privées qui ne prennent pas forcément en compte les différences socio-culturelles dans la façon d’élever un enfant et où nous craignons que les plus pauvres ne sentent pas vraiment compris dans leur façon d’être parents.
Qu’attend maintenant ATD Quart Monde ?
La protection de l’enfance est aujourd’hui encadrée par de nombreuses lois, le problème est dans leur mise en œuvre à deux niveaux. Il y a d’abord le problème des moyens. Nous rejoignons complètement le combat et les revendications des travailleurs sociaux sur ce point et c’est ce que nous montrons notamment dans notre rapport sur la maltraitance institutionnelle. Mais il y a également un second niveau, tout n’est pas qu’une question de moyens. C’est aussi une question de considération portée aux bénéficiaires de cette politique publique. Trop souvent, les enfants ne sont pas écoutés ; trop souvent, les parents ne sont pas écoutés. Il y a une réelle présomption de mensonges, d’incompétence et de culpabilité envers ces derniers.
Donc au-delà d’éventuellement mettre en place une nouvelle loi, il y a un enjeu de formation. Pour cela, il faut aussi donner aux travailleurs sociaux suffisamment de moyens pour suivre 20 situations complexes, ce qui est déjà énorme, et non 55, comme c’est trop souvent le cas. Pour écouter les personnes, il faut avoir du temps et des moyens appropriés.
Voir que nos citations sont reprises fidèlement dans le rapport et que nous avons vraiment été écoutées est une fierté, car cela nous a demandé un travail de préparation très important. Maintenant, il faut que ce rapport change vraiment les choses sur le terrain et là, cela ne dépend plus de nous. Propos recueillis par Julie Clair-Robelet
Retrouvez également le communiqué de presse d’ATD Quart Monde suite à la publication de ce rapport parlementaire.