Trois membres d’ATD Quart Monde ont été auditionnés le 13 novembre à l’Assemblée nationale par la commission d’enquête parlementaire sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance.
Après quatre mois d’arrêt, suite à la dissolution de l’Assemblée nationale, la commission d’enquête parlementaire sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance a repris ses travaux. La rapporteure de la commission, la députée PS du Val-de-Marne Isabelle Santiago, avait en effet affirmé en octobre sa volonté de publier des conclusions dans six mois “pour produire un électrochoc et mettre l’État et les collectivités face à leurs responsabilités”.
Une quinzaine de députés ont ainsi auditionné mercredi 13 novembre Gaëlle Le Dins, militante Quart Monde de Bretagne, Céline Truong, volontaire permanente et responsable de l’équipe nationale Petite enfance et famille, et Isabelle Toulemonde, alliée et responsable de l’équipe nationale Droits de l’homme et justice. Passant après des professionnels de la protection de l’enfance, des enfants placés ou encore des institutionnels, comme la Défenseure des droits, elles ont choisi “d’apporter au tableau des dysfonctionnements de l’institution ceux qui sont vécus côté parents, dont la dénonciation est possible et nécessaire sans perdre de vue l’intérêt supérieur des enfants, au contraire”, a affirmé, en introduction, Céline Truong.
Invisibilisation de la pauvreté dans les politiques publiques
Elle a ainsi tenu à rappeler que “l’immense majorité des enfants protégés sont nés dans des familles qui connaissent la pauvreté, voire la grande pauvreté”. Pour de nombreux parents, il existe “un lien très fort entre la reproduction du placement, et la reproduction de la pauvreté de génération en génération”. Ils vivent ainsi “dans la terreur permanente” du placement de leurs enfants, ce qui peut les conduire à élever leurs enfants différemment des autres parents, à éviter parfois de s’exposer au regard des professionnels, y compris dans les lieux de prévention, de soin, de soutien”, a-t-elle détaillé. Aux yeux de ces professionnels, la pauvreté des parents, “qui est loin de n’être que monétaire, est un facteur aggravant” et peut conduire à des interventions pour cause de “carence éducative”, une notion floue qui peut comporter “de la subjectivité, de l’incompréhension mutuelle et la mise en jeu de biais de classe”.
La pauvreté est donc “invisibilisée” dans les politiques publiques de protection de l’enfance, a estimé Isabelle Toulemonde. “Dans un rapport de l’Aide sociale à l’enfance, on peut décrire tous les dysfonctionnements, les désordres familiaux dus à un logement indigne, on dira qu’un enfant manque de sommeil, na pas de lieu pour jouer ou faire ses devoirs, on dira les conséquences sur l’ambiance familiale quand on vit dans un appart surpeuplé, mais on ne dit jamais que cette famille vit en grande pauvreté et aurait besoin d’aide par exemple pour mieux se loger”, a-t-elle décrit.
« Des aides qui nous aident vraiment »
Pour expliquer les “incompréhensions réciproques, la violence sociale et le déni de droit”, Gaëlle Le Dins a partagé des éléments du travail européen sur la famille et la transmission de la pauvreté, mené par ATD Quart Monde en 2023. “Les parents ont dit qu’ils avaient besoin d’aide, mais des aides qui nous aident vraiment. Car nous constatons qu’on nous regarde de haut et que, quoiqu’on dise, quoiqu’on fasse, on a toujours tort”, a-t-elle expliqué.
Parmi les aides qui pourraient être utiles aux parents, elle a mentionné la mise en place d’un “projet de co-éducation des enfants” construit par les professionnels avec les parents et les enfants. La loi prévoit bien un “Projet pour l’Enfant”, mais il n’est toujours pas mis en place systématiquement dans tous les départements. Il est nécessaire que “l’Aide sociale à l’enfance comprenne qu’on ne peut rien faire sans les parents”, a ajouté Isabelle Toulemonde, rappelant que la Cour européenne des droits de l’Homme impose “une participation adéquate des parents au processus de décision”.
Gaëlle Le Dins a également évoqué l’idée de formations des professionnels avec des personnes qui ont l’expérience de la pauvreté, notamment afin “d’apporter des solutions qui prennent en compte les conséquences de la pauvreté sur notre famille”. Mais aussi de formation pour les personnes vivant dans des conditions précaires, “pour connaître le fonctionnement de la société et des institutions, savoir nos droits, savoir prendre la parole et garder un pouvoir d’agir”.
Présomption permanente de mensonge
Le rapport fait au juge des enfants par les services sociaux a également fait l’objet de préconisations. Il s’agit souvent d’un document qui arrive le matin même de l’audience, ce qui ne permet pas aux parents de réellement préparer une réponse constructive. “Dans l’idéal, on voudrait que ce rapport soit écrit ensemble. Nous, les parents souhaitons recevoir tous les écrits transmis au juge, avec un délai permettant de les lire, de les comprendre et de se faire un avis. Notre avis, notre version des choses, nos demandes et nos propositions, on voudrait pouvoir les écrire nous aussi et que notre écrit soit lu par le juge, avec celui des professionnels, avant l’audience, pour qu’il n’ait pas qu’une seule version”, a détaillé Gaëlle Le Dins.
“Les personnes en situation de pauvreté sont face à une présomption de mensonge permanente, une présomption d’incompétence et une présomption de culpabilité. Cela complique la possibilité qu’ont les parents de se faire écouter, de se faire comprendre, de faire la preuve de leur volonté d’être de bons parents”, a ajouté Céline Truong.
Droit à l’accompagnement
Gaëlle Le Dins a également insisté sur le “droit à l’accompagnement”. “On voudrait que soit écrit dans la convocation pour l‘audience qu’on a le droit d’être accompagné par une personne de notre choix après l’avoir demandé au juge des enfants. Ça nous donne de la force pour oser dire ce qu’on a à dire, et ça permet de pouvoir en discuter ensuite pour vérifier ce qu’on a compris. Ce n’est pas la même chose qu’un avocat”, a-t-elle expliqué. ATD Quart Monde travaille ainsi sur la notion de “tiers-taisant” : une personne choisie par le justiciable et formée pour “sécuriser le parcours, être présent à l’audience sans intervenir, mais aider dans la préparation et dans le fait d’assimiler les décisions ensuite”, a précisé Isabelle Toulemonde.
Elle a également insisté sur la nécessité d’apporter aux parents “une aide appropriée en qualité de premiers garants des droits de l’enfant”, définie par la Convention internationale relative aux droits de l’enfant. “On n’en parle jamais dans les dossiers. Des reproches sont faits à la famille. Quand on les lit, on voit bien qu’il faudrait régler le problème pour qu’elle soit mieux logée.” Pour Isabelle Toulemonde, les services de la protection de l’enfance doivent “être le coordinateur d’une politique globale dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Ils sont formés pour faire de l’éducatif, mais n’ont pas compris que leur rôle est de coordonner”.
Toutes trois ont insisté sur le fait que l’objectif n’est “pas de disqualifier l’ensemble d’une profession qui fait son boulot le mieux possible”, ni de nier “les situations qui imposent une mise à l’abri indispensable”. Mais professionnels et parents en situation de pauvreté peuvent mieux travailler ensemble. “La personne qui vient nous aider doit savoir placer le focus sur l’intérêt de l’enfant tout en voyant la famille dans sa globalité. Et alors on devrait arriver ensemble à éviter le placement, ou alors à ce qu’il ne dure pas si longtemps, et à ce que nos enfants aient une meilleure vie que la nôtre”, a conclu Gaëlle Le Dins.