À l’occasion d’une journée spéciale “Confinés, mais solidaires”, jeudi 19 novembre, France Inter a donné la parole aux membres de plusieurs associations, dont ATD Quart Monde. Des militants Quart Monde du groupe local de Caen et la présidente du Mouvement, Marie-Aleth Grard, ont ainsi pu exprimer leurs difficultés et leurs propositions.
Témoignages, débats, reportages… Pendant une journée, la radio France Inter a choisi de donner la parole dans ses programmes à toutes les personnes en situation de pauvreté et aux associations qui luttent à leurs côtés. Avec quatre autre associations, le Secours populaire, les Restos du cœur, la Banque alimentaire et le Secours Catholique, ATD Quart Monde a ainsi participé à cette journée pour faire entendre la voix des plus démunis.
Dans le journal de 8h, les journalistes sont allés interroger Angélique et Joseph, militants Quart Monde de Caen. Tous deux soulignent les difficultés rencontrées au quotidien. “La liberté qu’on nous a enlevée lors du premier confinement, pour nous ça n’a pas été un énorme choc. Je ne vais pas au cinéma, pas à la piscine, pas au théâtre… On est pauvre, on doit se serrer la ceinture de toute façon”, explique Angélique.
“Il y a d’abord eu la difficulté de ne pas voir mes enfants, parce qu’ils sont placés. Je l’ai très mal vécu. Et puis la fermeture des centres socio-culturels, l’atelier écriture de mon quartier s’est arrêté… C’est un sentiment d’inutilité qui vous prend à la gorge. Il faut arriver à se lever le matin”, explique Angélique. À mesure que le pays s’enfonce dans la crise sanitaire, ce sont aussi les perspectives de retour à l’emploi, déjà minces, qui s’éloignent un peu plus. Et le budget devient encore plus serré”, poursuit-elle, avant d’ajouter : “Je me suis rendue compte que le prix de la nourriture avait augmenté. Pourtant je fais mes courses dans les magasins discount. J’ai dû acheter moins. À un moment, je ne mangeais qu’une fois par jour. On ne peut pas se projeter dans l’avenir, on est trop occupés à survivre !”
Risque d’une société qui s’oppose
Pour Joseph, le plus dur, ce sont les insultes et les remarques malveillantes. “On nous traite de fainéants, de bons à rien, de ‘cassos’, qui touchent de l’argent sans rien faire, alors que d’autres travaillent. C’est dur et ça atteint nos enfants, alors qu’on fait tout pour qu’eux aient une vie différente de la nôtre”, témoigne-t-il, regrettant que les aides proposées par le gouvernement ne soit que “des primes exceptionnelles“, qui ne permettent pas de s’en sortir sur la durée.
Cette question des humiliations subies, notamment sur les réseaux sociaux, a été mise en avant lors du séminaire des Universités populaires Quart Monde, en septembre dernier. “Il n’y a pas les bons pauvres et les mauvais pauvres, les travailleurs en difficulté d’un côté et les personnes qui touchent les aides sociales de l’autre. Il y a des gens qui veulent s’en sortir. Ce risque d’une société qui s’oppose a toujours existé, mais là c’est en train de devenir plus fort“, précise Maggy Tournaille, volontaire permanente d’ATD Quart Monde à Caen, au micro de France Inter.
“Les jeunes sont les grands oubliés”
Invitée du journal de 13h aux côtés de Michelle Méry, responsable du centre des Restos du cœur à Saint-Thibaut-les-Vignes en Seine et Marne, la présidente d’ATD Quart Monde, Marie-Aleth Grard, rappelle pour sa part que “les jeunes sont les grands oubliés de cette crise“. Répondant aux questions du journaliste Bruno Duvic, elle souligne que “chaque année, il y plus de 100 000 jeunes qui sortent du système scolaire avec aucun diplôme, aucun avenir, sans aucune formation en vue. Avec cette crise, nous avons pu constater, hélas, qu’ils sont encore plus nombreux que jamais à être complètement oubliés. Et les mesures du gouvernement ne vont actuellement pas du tout dans le sens d’aider, de soutenir ces jeunes pour qu’ils accèdent à une formation“.
Pour les jeunes de 18 à 25 ans, “ce que nous demandons c’est le RSA, mais assorti d’une formation et d’un accompagnement dans la durée et individuelle. C’est à dire pouvoir vraiment bâtir un avenir pour ces jeunes et pas simplement une petite formation qui va durer six ou huit mois et pour laquelle on les abandonne très rapidement“, précise-t-elle. Elle rappelle également qu’ATD Quart Monde, comme d’autres associations, demande ” un RSA à 850 euros, parce qu’actuellement, avec le RSA à 500 euros, les gens ne vivent pas, ils sont en mode survie“.
La présidente d’ATD Quart Monde affirme par ailleurs que “la question du logement est cruciale dans notre pays” et détaille quelques chiffres : “Plus de 4 millions de personnes sont mal logées ou à la rue. Chaque soir, il y a 140 000 personnes qui dorment dans des chambres d’hôtel à Paris, pour un coût de plus de 4 millions d’euros. Chaque département dépense des millions et des millions d’euros chaque année en nuits d’hôtel. Ce qui ravage leur finance, mais aussi la vie des personnes, parce que vivre de chambre d’hôtel en chambre d’hôtel, ce n’est pas une vie.” Elle demande donc au gouvernement de prendre “des mesures structurelles, c’est à dire de construire des logements sociaux, très sociaux qui soient vraiment accessibles à tous“.
Pour Marie-Aleth Grard, “non seulement le logement permet aux personnes d’aller chercher un emploi, mais cela permet aussi aux enfants, aux jeunes de la famille de sentir une stabilité et du coup d’oser rentrer dans les apprentissages qui leur sont proposés à l’école. C’est ça aussi ce cercle infernal qui fait que les jeunes, les enfants ne réussissent pas à l’école“.
Des préconisations pas toujours entendues
Interrogée sur son rôle au sein du Conseil scientifique, elle précise que “la question de la pauvreté et de la grande pauvreté est aussi au cœur” de cette instance, créée pour conseiller l’Élysée dans sa gestion de la crise sanitaire. Elle rappelle cependant que c’est bien le gouvernement qui décide ensuite des mesures prises, sans toujours écouter le Conseil scientifique.
Elle donne ainsi l’exemple de l’évacuation d’un campement à Saint-Denis, le 17 novembre. “Il y avait plus de 2 500 personnes dans ce campement, il n’y en a eu que 1 000 qui ont été relogées dans des gymnases, ce qui n’es pas du tout ce qui est préconisé par le Conseil scientifique. Les autres, entre 850 et plus de 1 000 personnes sont restées à la rue, on les a dispersées et elles restent à la rue”, regrette-t-elle. Cette journée a permis d’entendre différents points de vue, de manière constructive, il est désormais nécessaire que la parole des personnes en situation de précarité soit entendue au-delà de journées spéciales et que les médias s’interrogent sur la manière de faciliter leur parole pour aller au-delà du simple témoignage et faire avancer la société.
Retrouvez dans son intégralité le reportage avec les militants Quart Monde de Caen et l’interview de Marie-Aleth Grard.
Photo : Une du Journal d’ATD Quart Monde de mai 2020. © JCR, ATD Quart Monde