À l’occasion du centenaire de la naissance de Geneviève de Gaulle-Anthonioz, présidente d’ATD Quart Monde de 1964 à 1998, Gérard Lecointe, militant Quart Monde du Val-d’Oise, livre ses souvenirs avec “cette grande dame”.
Dans son petit appartement de Saint-Ouen-l’Aumône, en évidence sur sa table, Gérard Lecointe a un album photos qu’il regarde régulièrement. Il retrace les nombreux événements auxquels il a participé avec ATD Quart Monde depuis une trentaine d’années. Gérard le montre avec fierté et, pour chaque cliché, cite une anecdote. Dans cet album, il manque cependant une photo, prise avec la personne qui, selon lui, a “changé sa vie”, Geneviève de Gaulle-Anthonioz.
Chaque détail des moments passés avec elle semble être gravé dans sa mémoire. Il a donc préféré que les photos soient conservées au Centre international d’archive et de recherche Joseph Wresinski, à Baillet-en-France. “Je l’ai rencontrée lors d’une Université populaire Quart Monde. Cela a été une libération pour moi, l’ouverture d’un chemin pour avancer, ne plus regarder derrière et pour faire avancer les autres”, se souvient-il.
Relever la tête et avancer
C’était en 1988. L’année précédente, à 38 ans, Gérard s’est installé pour la première fois de sa vie dans son propre logement. Il a commencé à se reconstruire physiquement et moralement, après une longue période d’errance, qui l’a conduit pendant quelques années à vivre dans les bois, dans le dénuement le plus total. Geneviève de Gaulle-Anthonioz est alors présidente d’ATD Quart Monde. Depuis sa rencontre, en 1958, avec Joseph Wresisnki et les familles du “camp des sans-logis” de Noisy-le-Grand, elle se bat pour le respect de l’égale dignité de tous les êtres humains. « En côtoyant cette dame, j’ai pris conscience que j’existais. Quand on n’est respecté de personne, et même pas de soi, on se demande pourquoi on vit. Elle ne regardait pas ‘le pauvre’, mais l’être humain qui était en face d’elle. »
Il se souvient d’une parole de la présidente du Mouvement qui l’a profondément touché et lui a “permis de relever la tête et d’avancer” : “Dans la vie, il ne faut jamais se poser de questions, mais il faut répondre aux questions qui se posent.” Lui qui avait connu, enfant, le « regard cruel des autres gamins », comme il le raconte dans son livre De pierre en pierre. Récit d’une venue au monde, s’ouvre peu à peu aux autres. Il apprend aussi à écouter, à accompagner “les gens qui viennent de partout et de nulle part, à les regarder avec respect, sans les juger, et à ne plus avoir peur”.
En parlant de Geneviève de Gaulle-Anthonioz, les souvenirs affluent. “Elle m’a fait aimer l’écriture et la lecture. Lors d’une Université populaire Quart Monde, elle avait fait venir des livres et nous pouvions en choisir un. Moi, j’ai pris un dictionnaire, car je n’en avais jamais eu dans ma vie. Je le serrais contre moi comme un trésor, parce que j’ai longtemps souffert d’un manque de savoir, de culture et d’éducation. Je voudrais que tout le monde ait la chance que j’ai eu de rencontrer Mme de Gaulle et tous les volontaires permanents comme Claude et Françoise Ferrand, Jean-Michel Defromont…” Gérard Lecointe se souvient aussi du jour où, hospitalisé, il reçoit un appel de la présidente du Mouvement. “‘Revenez vite, on a besoin de vous’, a-t-elle dit et j’avais les larmes aux yeux. Je savais que je n’étais pas tout seul.”
Faire tomber les barrières
Gérard Lecointe travaille par ailleurs pendant plusieurs mois avec la nièce du général de Gaulle sur la Loi d’orientation contre l’exclusion, promulguée en juillet 1998, un combat qu’elle retrace dans son livre Le secret de l’espérance. Il l’accompagne à l’Assemblée nationale, au Conseil économique et social et même à Matignon. Dans la salle de réception de l’Élysée, il est aussi au premier rang lorsqu’elle est décorée de la Grand-croix de la Légion d’honneur, en 1997. Une distinction qu’il juge amplement méritée pour cette femme qui “s’est employée toute sa vie, en France et en Europe, à faire tomber les barrières entre les peuples”.
Il se souvient aussi que “Geneviève de Gaulle-Anthonioz souffrait de voir la misère des autres. Elle avait vécu elle-même bien des souffrances, mais n’en parlait jamais“. Ce n’est qu’en 1998 qu’elle parviendra à trouver la force et les mots pour décrire sa captivité dans le camp de concentration de Ravensbrück, dans l’ouvrage La Traversée de la nuit. Le 27 mai 2015, il assiste, en pleurs, à l’entrée au Panthéon de « cette grande dame » qu’il considère comme sa “deuxième mère”. Aujourd’hui, elle l’accompagne “encore chaque jour” et, même s’il ne peut plus se déplacer pour aller aux Universités populaires, il estime que, grâce à elle et à tous les volontaires permanents, il a “eu une belle vie dans le Mouvement”. Julie Clair-Robelet
Photo : Gérard Lecointe chez lui en septembre 2020 © JCR, ATD Quart Monde