Catherine Le Pécheur découvre le volontariat permanent depuis un peu plus d’un an à Caen, après avoir travaillé pendant près de 20 ans dans des structures d’accueil de la petite enfance.
C’est un changement de vie radical que Catherine raconte d’une voix posée. Il y a deux ans, elle a décidé de quitter ses proches, son emploi et sa ville pour s’engager dans le volontariat. Dans ses mots, ce choix semble pourtant être la suite logique de ce qui l’anime depuis toujours et elle l’assume donc sereinement. Pour elle qui a “appris à marcher à la Fête de l’Humanité”, l’engagement est une affaire de famille. “Ma mère était très impliquée dans la vie associative de notre commune et engagée politiquement. J’ai toujours connu cette vie de militante”, se souvient-elle.
Devenue adulte, Catherine n’imagine pas travailler ailleurs que dans le service public. Auxiliaire de puériculture pendant 17 ans à Cergy, dans le Val-d’Oise, elle obtient ensuite un diplôme d’éducatrice de jeunes enfants. Parallèlement, elle s’engage dans plusieurs associations locales, avec cette conviction que “chacun doit faire sa part dans la collectivité”.
En 2015, elle prend la direction d’une crèche associative. Commencent alors quatre années compliquées pour elle. “Je ne reconnaissais plus mon travail d’éducatrice. Je devais faire de la gestion d’équipes, des plannings, remplir des tableaux. Au bout de deux ans, c’est devenu vraiment difficile”, explique-t-elle. Pendant cette période, elle s’engage également dans une association assurant des distributions alimentaires. Sa voix tremble encore de colère lorsqu’elle pense aux humiliations subies par les personnes venant chercher de la nourriture. Ses difficultés au travail, cette expérience associative, dans laquelle elle ne parvient pas à faire changer les comportements maltraitants de certains bénévoles, ainsi que sa séparation déclenchent en elle de grands questionnements. “Je m’interrogeais sur mon utilité, tant professionnellement qu’humainement, sur mes convictions et la manière d’être en accord avec moi-même.”
Participer à quelque chose d’utile
L’envie encore vague de travailler “dans l’humanitaire”, dont elle parle depuis longtemps, se fait de plus en plus pressante. Les associations qu’elle contacte lui proposent des missions en lien avec le soin, mais, pour elle, la coupure avec son activité professionnelle doit être plus nette. Adhérente à ATD Quart Monde depuis près de 20 ans, elle n’a jusqu’alors jamais pensé au volontariat qu’elle ne connaît pas trop. Mais une campagne sur l’engagement l’interpelle à ce moment-là. En septembre 2019, elle se lance et s’inscrit à un week-end de découverte du volontariat. Et subit un choc. “C’était incroyable, je ne savais même pas que des gens comme ça pouvaient exister ! Il y avait surtout des jeunes. Alors que je baignais dans un discours selon lequel les jeunes sont des moutons et n’ont pas de projet, je rencontrais des jeunes très ouverts, soucieux des autres et d’eux-mêmes, qui avaient les mêmes questionnements que moi.”
Un second week-end de découverte du volontariat, en janvier 2020, finit de la convaincre. Elle n’a alors qu’une seule idée en tête : “je ne veux pas être du côté de ceux qui écrasent ou qui ferment les yeux et se disent qu’on ne peut rien faire. Je ne veux pas participer à faire se creuser ce fossé qui est déjà énorme. Je veux avoir l’impression de participer à quelque chose d’utile.”
Déconstruire les préjugés
Quelques mois plus tard, elle devient volontaire en découverte du volontariat à Caen, soulagée de pouvoir “se détacher des idées de plan de carrière, d’augmentation de salaire, de résultats à présenter, de cases à remplir…”. Catherine découvre aussi le travail en équipe, avec les autres volontaires permanents. “Il n’y a pas de hiérarchie, mais un sentiment de liberté, qui permet de dire quand c’est trop dur. On sait qu’il y aura toujours une personne pour prendre le relais.” Elle participe notamment à la Bibliothèque de rue, aux préparations des Universités populaires Quart Monde, aux co-formations en Croisement des savoirs et des pratiques et à l’accompagnement des militants Quart Monde sur l’accès aux droits.
Avec étonnement, elle découvre que, malgré ses années d’engagement militant, elle a aussi des préjugés sur les personnes en situation de grande pauvreté. “Ce que j’aime, c’est de les déconstruire. J’apprends à écouter, sans me dire que je sais mieux que la personne en face de moi, à ne pas juger.”
Elle découvre aussi de nouveaux rapports humains. “Les militants Quart Monde ne prennent pas de gants avec moi, mais du coup ils m’autorisent à ne pas en prendre avec eux. J’adore cette simplicité. Ils sont aussi extrêmement sensibles et tout le temps inquiets pour nous. Quand ils demandent si ça va, ce n’est pas une simple formule de politesse, c’est hyper sincère et la relation est très forte.”
Catherine constate aussi le décalage entre les discours entendus à la tête des administrations et des institutions et la réalité sur le terrain. “On nous dit souvent que ce que nous faisons à ATD Quart Monde est génial. Mais, concrètement, rien n’est fait pour que les procédures changent ni pour augmenter les moyens et permettre par exemple un meilleur accueil des personnes en situation de pauvreté”, regrette-t-elle. Elle garde pourtant espoir, car son expérience personnelle lui montre que le changement passe parfois par un long chemin.
Cet article est extrait du Journal d’ATD Quart Monde de janvier 2022.
Photo : Catherine Le Pécheur à Montreuil, fin 2021. © JCR, ATD Quart Monde