Dans l’ouvrage Apprendre des scolarités abîmées, des membres d’ATD Quart Monde montrent comment l’expérience scolaire des plus pauvres met en lumière différentes sources de maltraitance dans notre système éducatif et donnent des pistes de réflexion pour « penser une école bien-traitante » pour tous les enfants.
« L’inégalité ça commence à partir de l’école, d’accord ? Si tu arrives avec deux parents qui ont des difficultés scolaires, là déjà tu es au feu rouge et les autres ils sont déjà passés. Voilà le freinage », explique Thierry, qui a connu un parcours scolaire chaotique. Comme Anne, Tony, Violaine ou encore Visar, qui témoignent dans ce livre, Thierry décrit des situations de maltraitance institutionnelle vécues au cours de sa scolarité.
Parler sans peur d’être jugé
Les auteurs et autrices de cet ouvrage, qui ont recueilli leurs témoignages, constatent que l’une des premières demandes des enfants et des parents qui vivent la grande pauvreté est d’être écoutés. « Combien de fois n’avons-nous pas entendu que, pour faire classe, il était nécessaire que chacun, enfant comme adulte, laisse son ‘sac à dos’ à la porte ? Comme si la classe pouvait être un lieu imperméable aux préoccupations extérieures. Certes, quand le sac à dos est léger, il glisse facilement des épaules. Mais quand il est lourd, une aide est nécessaire pour arriver à se débarrasser du fardeau sans se blesser », soulignent-ils. Personne ne demande à l’école de guérir toutes les souffrances, « mais les ignorer, n’est-ce pas rajouter une violence supplémentaire ? », s’interrogent-ils.
La maltraitance institutionnelle se manifeste aussi dans les décisions d’orientation. Stéphanie raconte : « J’ai un frère et quatre sœurs qui sont passés par la SEGPA (Section d’enseignement général et professionnel adapté). À mon avis les enseignants n’ont pas dû chercher à comprendre plus que ça. […]. Si je m’étais appelée Jacques Chirac, ou je ne sais pas qui d’autre, si ça se trouve je ne serais pas allée en SEGPA, parce qu’ils m’auraient trouvée normale. »
Jeter des ponts
À l’école, la maltraitance s’exerce aussi souvent sur les besoins de l’enfant. Dans la maison de David, il n’y a qu’une table, mais pas assez de chaises pour les dix enfants. Alors, « on vit debout, en mouvement », loin du silence et de l’ordre de la salle de classe. « Peut-on imaginer une école où l’on puisse aussi apprendre en bougeant ? Une école où le mouvement ne soit pas seulement toléré, mais utilisé comme un allié pour les apprentissages ? », s’interrogent les auteurs. « L’école est face un défi pédagogique : jeter des ponts entre des notions inscrites au programme et des élèves inscrits dans un vécu, une culture, un environnement donnés », affirment-ils.
Mais si l’école est trop souvent une institution maltraitante vis-à-vis des personnes en situation de grande pauvreté, ces dernières continuent de placer en elle en immense espoir pour assurer l’avenir de leurs enfants. Plusieurs citent d’ailleurs des exemples d’enseignants ayant posé un « regard différent » sur elles, leur ayant redonné confiance. Ainsi, si « l’échec de l’école est systémique », il est « urgent de poser tous ensemble la question de l’école que nous voulons », concluent les auteurs.
Cet article est extrait du Journal d’ATD Quart Monde de septembre-octobre 2024.
Apprendre des scolarités abîmées
Coordination par Régis Félix. Mireille Baurens, François Fisson, Frédérique Fisson, Vincent Massart, Éditions Quart Monde/Le Bord de l’eau, 271 p., 12 €, 13 septembre 2024 Retrouvez le livre sur le site des Éditions Quart Monde.