Selon l’Organisation Internationale du Travail, 2,5 milliards de personnes, soit 50 % de la population active mondiale, n’a pas accès à un travail décent : un travail convenablement rémunéré, qui s’exerce dans de bonnes conditions de sécurité, procure un minimum de protection sociale pour le travailleur et sa famille et laisse la possibilité d’entrevoir un avenir meilleur. Pourtant, des solutions existent. Pour les faire connaître, ATD Quart Monde a présenté le 7 février à l’ONU, à New York, deux expérimentations innovantes et inclusives, créatrices de travail décent : l’entreprise éco-sociale WALTER et le projet Territoires zéro chômeur de longue durée.
Les salariés de WALTER (Working and Learning Together Electronics Recycling) ne pensaient pas qu’un an, jour pour jour, après la signature du bail des locaux de leur entreprise, ils viendraient présenter leur expérience à l’Organisation des Nations Unies, dans le cadre d’un échange sur le travail décent. Installée à quelques kilomètres du siège de l’ONU, dans le quartier de Brooklyn, cette entreprise a été lancée par ATD Quart Monde en s’inspirant des conclusions de la recherche sur les dimensions de la pauvreté, publiée avec l’Université d’Oxford en 2019. Cette étude montrait que les emplois proposés aux personnes en situation de pauvreté avaient « très rarement un impact positif » sur leur vie. “À WALTER, nous voulons trouver des moyens pour permettre aux personnes de grandir sur le plan professionnel et personnel”, explique Guillaume Charvon, volontaire permanent d’ATD Quart Monde et fondateur de WALTER.
L’entreprise propose ses services de recyclage des déchets électroniques et emploie aujourd’hui dix personnes, dont cinq jeunes en situation d’exclusion. “Nous avons des attentes : l’entreprise doit pouvoir fonctionner, être autonome, mais nous sommes en même temps très souples. Si quelqu’un ne vient pas travailler un jour, il peut revenir le lendemain, la porte est toujours ouverte. WALTER crée donc un sentiment de stabilité”, détaille Guillaume Charvon. Grâce à cet emploi, plusieurs salariés ont pu trouver un logement, obtenir une carte d’identité et “se libérer du contrôle des services sociaux”, précise-il. Face aux membres de l’ONU et de l’Organisation Internationale du Travail, le fondateur de WALTER rappelle qu’un “travail digne ouvre la porte à un meilleur avenir pour les salariés, leur famille et la planète”.
Personne n’est inemployable
Pour Annick Vera, un emploi décent permet de “voir l’avenir, faire des crédits, avoir une maison. On peut penser à se former, à apprendre, on n’est plus des marginaux, on existe, on participe à la société”. Salariée de l’Entreprise à but d’emploi de Thiers, dans le cadre de l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée, elle a fait le déplacement à New York pour partager son expérience à l’ONU. Aujourd’hui médiatrice dans les bus scolaires, elle a connu “des emplois très précaires, très durs physiquement et sans respect des normes de sécurité”. Le fait d’être désormais en CDI, de pouvoir compter sur « l’écoute des chefs » et de payer ses impôts lui a redonné confiance en l’avenir et a changé le regard des autres sur elle.
L’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée « démontre que la mise en œuvre du droit à l’emploi n’est pas juste une utopie », explique Laure Descoubes, co-responsable du Comité local pour l’emploi de Thiers. Ce projet repose sur trois principes : personne n’est inemployable, ce n’est pas l’argent qui manque et ce n’est pas le travail qui fait défaut. Mais il se base surtout sur « une relation de confiance entre un employé et un employeur ». Laure Descoubes constate ainsi que “tous les employés sont désireux de travailler, mais le déni de leurs droits a détruit leur confiance en leur employeur, en eux-mêmes et leurs capacités à suivre des règles”.
Garantir un emploi à tous
Ces deux exemples concrets soulignent la nécessité de casser “le cercle vicieux de la pauvrophobie”, constate Olivier de Schutter, rapporteur spécial de l’ONU sur l’extrême pauvreté et les droits humains. Il estime en effet que “le chômage de longue durée entraîne une discrimination : un employeur suppose qu’une personne qui n’a pas trouvé un emploi pendant une longue période a un problème. Il fait donc confiance au jugement d’un autre employeur, et perpétue ainsi les préjugés concernant les pauvres”.
Pour mettre fin à ce cercle vicieux, il préconise de renforcer le cadre juridique interdisant la discrimination pour cause de pauvreté, mais aussi de renforcer la discrimination positive pour permettre aux personnes en situation de pauvreté d’accéder à certains emplois. Le rapporteur spécial suggère enfin d’imposer aux gouvernements une obligation de résultats, pour qu’ils garantissent un emploi à toutes les personnes souhaitant travailler. Un avis partagé par Simel Esim, membre de l’Organisation Internationale du Travail pour qui les expérimentations locales doivent être “soutenues, accentuées, régulées et financées par les gouvernements”, mais ne doivent pas se substituer aux obligations de ces derniers.
Cet article est extrait du Journal d’ATD Quart Monde de mars 2023.
Photo : Territoires zéro chômeur de longue durée, Mauléon-Laurie. © TZCLD / Témoignages d’Annick Vera et Laure Descoubes à l’ONU le 7 février. © Aria Ribieras