C’est devenu un vrai marronnier des débats électoraux. La fraude sociale représenterait un « pognon de dingue » : cinq, dix, quinze et même jusqu’à 50 milliards selon certains candidats. Sauf que…
La fraude des pauvres est une pauvre fraude
Les chiffres avancés par ceux qui veulent s’attaquer à la fraude sociale pour renflouer les caisses de l’État s’appuient sur des estimations non-officielles. Pour l’heure, il est impossible de chiffrer précisément le montant des fraudes aux prestations sociales, faute de données suffisantes fournies par les organismes sociaux. Ce que l’on sait, c’est que la fraude sociale reste faible par rapport aux autres types de fraudes – notamment la fraude fiscale.
Dans un rapport, la Cour des comptes estimait à un milliard d’euros le montant de la fraude aux organismes sociaux – tous confondus – détectée en 2019. Le taux de fraude estimée sur le RSA, la prime d’activité et les aides au logement tourne autour de 6 %. Ces montants ne sont pas négligeables, mais restent minimes par rapport à la totalité des bénéficiaires, soit 2,1 millions d’allocataires du RSA.
La fraude des pauvres est finalement une « pauvre fraude » quand on la compare à l’ampleur estimée de la fraude fiscale (estimée par le Ministère des finances à plus de 70 milliards d’euros par an). C’est également bien plus faible que le montant des aides non distribuées du fait du non recours au droit, qui permet à l’Etat de faire près de 10 milliards d’économie, selon un rapport de l’Odenore.
Des extrapolations contestables et contestées
Pour alimenter leurs discours, les candidats citent essentiellement le rapport parlementaire de Pascal Brindeau et des chiffres avancés par Charles Prat qui parle de 50 milliards d’euros de fraudes aux prestations sociales chaque année.
Or, concernant le rapport parlementaire de Pascal Brindeau, le document de 215 pages ne comporte aucune estimation du montant global de ces fraudes. La commission d’enquête cite bien une étude de l’université anglaise de Portsmouth, datée de 2015 et réalisée à partir des données de sept pays selon laquelle « il est clair que le taux de fraudes dans n’importe quelle organisation devrait être d’au moins 3% (…) et possiblement plus de 10 % ». C’est en appliquant cette fourchette aux quelques 470 milliards d’euros de prestations sociales versées par la Sécurité sociale, que le député Pascal Brindeau a estimé que la fraude non détectée pouvait être chiffrée « entre 14 et 45 milliards d’euros » par an. Cependant, de l’aveu même des auteurs de l’étude britannique, leurs travaux recouvrent à la fois des fraudes intentionnelles et des erreurs, difficiles à dissocier. De plus, les résultats de l’étude découlent, dans le cas de la France, seules des données de 2004 de la Caisse nationale de l’Assurance maladie (Cnam) sur les arrêts maladie.
En ce qui concerne les calculs de Charles Prat, ils sont basés sur une extrapolation des chiffres d’un audit partiel et contesté par la Direction de la Sécurité sociale (DSS). En effet, l’audit réalisé en 2011 sur lequel se base l’extrapolation ne distinguait pas le taux de documents peu lisibles ou non conformes du taux de fraude avéré. Par ailleurs les contrôles, depuis cette date, se sont considérablement renforcés.
Un contrôle légitime mais insupportable lorsqu’il est vécu comme une suspicion obstinée
Bien sûr, le contrôle est légitime et il ne s’agit de nier ni la fraude aux prestations sociales, ni la nécessité de lutter contre elle. Mais le contrôle devient insupportable lorsqu’il est vécu comme une suspicion obstinée. Or, les procédures très normées du RSA amènent à aller vers plus de contrôle grâce à un traitement de masse des problématiques et non vers un accompagnement renforcé : l’absence aux réunions d’information, la non-signature de la lettre d’engagement, la non-contractualisation, etc., sont autant d’indicateurs qui permettent d’identifier les allocataires ne se conformant pas à la procédure. Aussi, depuis quelques années, l’activité de contrôle a pris une dimension industrielle. En 2020, on dénombre 32 millions de vérifications automatiques, 4,3 millions de contrôles sur pièces, 234 000 et 106 000 contrôles sur rendez-vous ou au domicile pour 36 917 erreurs et fraudes aux allocations repérées, équivalant à 255 millions d’euros(1).
Certains bénéficiaires se voient sanctionner pour n’avoir pas déclaré les revenus que leurs enfants ont gagnés en stage. Dans certains cas, des agents de la CAF se rendent, sans prévenir, au domicile, interrogent les voisins, traquent le moindre indice. Certains départements procèdent même à des contrôles de masse en convoquant simultanément 500 à 800 personnes, et les absents non excusés sont sanctionnés. En 2019, 115 000 foyers auraient subi ce sort, selon une enquête d’Aequitaz et du Secours catholique publiée en octobre 2020.
Ce contrôle accru et insistant est d’autant plus insupportable que dans le même temps, l’Etat ne remplit pas son rôle d’accompagnement des bénéficiaires. Selon la dernière étude de la Drees sur l’accompagnement des bénéficiaires du RSA (2019), en 20 ans, les dépenses d’accompagnement sont passées de 20 % à 7 % du budget dédié ! Selon ce même rapport, seul 25 % des bénéficiaires du RSA bénéficient d’un accompagnement renforcé et 5 % d’entre eux font l’objet d’un accompagnement global. 12 % des bénéficiaires du RSA n’avaient même eu aucune orientation vers un « parcours d’insertion » au bout d’un an.
(1) La politique de prévention et de lutte contre la fraude des CAF en 2020 – Rapport de la CNAF – Juin 2021