La chronique de Bella Lehmann-Berdugo
Blue Sun Palace
Constance Tsang. Fiction. Chine, Corée sud. VOST (Mandarin). Sortie le 12 mars
À New-York dans le Queens, quatre amies travaillent au salon de massage le « Blue Sun Palace ». Elles y vivent, y rêvent, y dorment. Immigrées chinoises, elles recomposent une famille chaleureuse. Insouciantes, complices comme des sœurs dans une bulle protectrice, elles ignorent l’extérieur, la ville est éludée. Didi se laisse courtiser par le gentil Cheung. Des scènes en temps réel, des repas, de la poésie, des cadrages étudiés, des silences longs interrogatifs, une caméra charnelle. La réalisatrice exprime sa tendresse et sa connivence envers ses actrices. Le lieu baigne dans un halo bleu. Jusqu’à la mort brutale de Didi, un soir à la fermeture. L’ambiance s’assombrit, des secrets se dévoilent. Cheung, pivot du récit, privé de Didi, voudrait se consoler auprès d’Amy sa meilleure amie. Celle-ci est en proie à la culpabilité, à la dépression. Petit à petit, la consolation viendra, ailleurs. L’exil vu de l’intérieur, dans son intimité.
Covas do Barroso chronique d’une lutte collective
Paul Carneiro. Fiction d’après des faits réels. Portugal. VOST. Sortie le 26 mars.
À Barroso, des villageois connectés à la nature, aux chevaux qu’ils élèvent, aux cultures, jeunes ou âgés, attachés à ce monde traditionnel, s’opposent au projet d’une mine de lithium par une firme britannique. Ils défilent pacifiquement. Réexaminé, le projet reprend dans des conditions « propices à l’environnement ». Les paysans jouent leur propre rôle pour reconstituer le combat pour leur survie. Un récit ponctué en voix off de leurs chants traditionnels, non dénué d’humour, au rythme presque méditatif. Pour faire sentir la beauté et la nécessité d’un lieu pourtant inscrit depuis 2018 au Patrimoine Agricole Mondial pour l’alimentation et l’agriculture.
Flow, le chat qui n’avait plus peur de l’eau
Gints Zilbalodis. Fiction Animation. Lettonie/France/Belgique. César et Oscar du meilleur film d’animation. Prix du Jury et du Public Festival international d’animation d’Annecy. De 7 à 99 ans. Reprise le 5 mars.
Dans un monde vidé de tout humanoïde, une vaste jungle où les eaux montent, quelques animaux rescapés, très différents les uns des autres, se rencontrent. Un drôle de ragondin géant, un amical labrador blanc, un lémurien agile et malin, un grand rapace déroutant survivent sur une embarcation fragile. On est à hauteur des grands yeux étonnés d’un jeune chat noir porté à la solitude qui bat froid tout ce beau monde, observant tout à distance.
Que s’est-il passé ? Qu’est-ce qui les attend encore ? De maison abandonnée en ruines englouties, de bête marine préhistorique ou troupeau de biches en arbres flottés, il va pourtant falloir coopérer, s’apprivoiser pour la survie, plonger dans l’eau en territoire inconnu, pour pêcher du poisson, seule nourriture possible. La coopération naît petit à petit de la nécessité. Il n’y a donc ni mièvrerie ni anthropomorphisme dans le propos. On est captivé par la beauté des paysages qui défilent, suspendu minute après minute aux rebondissements, aux seuls bruitages des éléments, avec un effort de compréhension au-delà du langage verbal. Cela permet de laisser infuser des émotions pures, organiques, animales. Déployé ici dans son plus pur et son plus somptueux appareil, le message écologique agit en profondeur et pour longtemps.
Black Dog. Hu Guan
Fiction. Chine. VOST. Prix Un Certain regard, Cannes 2024. 5 mars
Aux confins du désert de Gobi, un immense bassin minier désaffecté, vidé de ses habitants poussés vers les villes, laissant leurs chiens en errance. Un zoo, un cirque, encore des animaux abandonnés. Quelques locaux trop démunis ou âgés sont restés , semblent végéter. On attend les JO imminents et la toute prochaine éclipse du soleil. Lang, ancien détenu assigné à résidence, revient au pays, où son père se meurt. Il est embauché par la police chargée de capturer les chiens errants, seuls êtres vraiment vivants dans un très cinématographique décor vaste et désolé. Taiseux, solitaire, il se lie pourtant d’amitié avec un grand lévrier noir et maigre, traqué car supposé atteint de la rage. Deux êtres laissés-pour-compte communiquent sans parole, s’apprivoisent. Un regard parfois teinté d’humour allège ce tableau de fin du monde. Le voyage est immobile, lent, méditatif, d’une beauté fascinante.
Magma
Cyprien Vial. Fiction. France. 19 mars
En Guadeloupe, le monde d’en bas : les bars de plage, la ville animée, les habitants proches les uns des autres. Ici, on vit plutôt sereinement en dépit de diverses menaces géologiques, économiques, sociales, politiques. Des situations parfois inflammables. Katia Reiter, venue de métropole, dirige l’Observatoire Vulcanologique de Guadeloupe, avec vocation et sang-froid, fruit d’une longue expérience. A ses côtés, Aimé, enfant du pays, vulcanologue thésard. L’équipe ausculte en permanence la Soufrière. En 1976 le réveil du volcan avait contraint des milliers de gens du sud à l’exode, sans ressources pendant des mois, un désastre social durable, finalement inutile. Le principe de précaution a prévalu. Trente ans plus tard, le magma de la Soufrière menace à nouveau d’exploser. Katia s’oppose à une évacuation précoce demandée par le préfet, ainsi qu’à l’affolement premier d’Aimé. « Est-ce scientifique d’envisager le pire ? » Il faut savoir attendre pour ne pas jeter la population sur les routes, tâter le terrain.
Le monde d’en haut : la brume, les vapeurs de souffre, la nature sauvage, l’imposant silence et deux silhouettes harnachées pour prendre le pouls du volcan, malaxer ses humeurs éjectées des entrailles de la terre.
L’originalité du récit vient de ce va-et-vient. Il y a l’agitation proche de l’émeute, la haute solitude d’une femme responsable, parfois énigmatique, soucieuse de transmettre, bousculée de partout, sous la coupe d’une hiérarchie. Et il y a le calme apparent, mystérieux d’une nature vivante, indifférente, souveraine.
On sent le réalisateur autant fasciné par les phénomènes naturels que concerné par les réalités humaines. Sa proximité -presque une connivence- avec des habitants, des témoins, des scientifiques locaux est palpable. Dédaignant le banal film catastrophe, c’est à travers l’attention portée à la vie des gens, une musique singulière, des dialogues précis, l’interprétation nuancée de Marina Foïs, une photographie comme un écrin loin du cliché, que la tension s’étire et grimpe jusqu’à son terme, glorieux et inattendu.