Dans le cadre du festival Paris Ciné contre les discri’, ATD Quart Monde a été invité à débattre avec le public après la diffusion du film Rosetta réalisé par Jean-Pierre et Luc Dardenne, le 6 octobre au cinéma UGC Lyon Bastille. Le parcours de l’héroïne de 18 ans qui se bat pour trouver du travail résonne avec celui des jeunes faisant partie de l’expérimentation Réussir ensemble menée par le Mouvement à Villeurbanne, près de Lyon.
La première scène donne le ton : Rosetta apprend son licenciement, elle tente de se rebeller contre cette décision et doit être évacuée par la police. Vivant dans une roulotte avec sa mère alcoolique, elle se bat ensuite pour retrouver du travail, mais surtout pour avoir « une vie normale, ne pas tomber dans le trou », selon ses mots. Le long métrage, récompensé par une Palme d’or au festival de Cannes en 1999, est l’un des 15 films choisis par la Ville de Paris pour la troisième édition du festival Paris Ciné contre les discri’ pour « combattre les discriminations, promouvoir la culture cinématographique et favoriser les échanges entre le public et des personnalités militantes ».
« C’est à cause de la galère »
Afin de débattre avec la cinquantaine de spectatrices et spectateurs présents, Paul Maréchal, volontaire permanent à Villeurbanne, a recueilli la parole des jeunes membres du projet Réussir ensemble pour connaître leurs avis sur le film et savoir comment le parcours de Rosetta fait écho au leur. « Ce film a beaucoup secoué les jeunes » , explique-t-il sur la scène de l’UGC Lyon Bastille suite à la projection. Ils y ont vu « quelques-uns des blocages qui leur tombent en permanence sur la tête : l’héroïne met toute son énergie pour essayer d’avoir des chaussures propres, pour pouvoir manger dignement… Il y a ce phénomène d’accumulation que l’on voit beaucoup dans la vie des jeunes : le logement qui s’effondre, les amendes dans les transports, la santé qui ne va pas bien…» , décrit-il.
La violence de Rosetta les a marqués. « Si elle dormait bien dans un appartement, elle ne ferait pas des choses comme ça. Elle ne dort pas bien, elle ne mange pas bien, elle voit sa mère qui ne va pas bien, elle ne peut pas être tranquille. C’est à cause de la galère », souligne Paul Maréchal en citant les mots d’un jeune membre du projet. « Pour moi, il dit l’évidence : quand les gens leur maintiennent la tête sous l’eau, cela devient l’enfer dans leur vie et parfois autour d’eux. Alors que, quand on voit Rosetta travailler et vendre ses gaufres, elle a l’air heureuse, épanouie. Tous les jeunes sont comme ça, ils ne demandent qu’une chose, avoir un travail où ils se sentent respectés », poursuit Paul Maréchal.
Vers un emploi digne et choisi
C’est de cette quête qu’est parti le projet expérimental Réussir ensemble : « essayer de mettre en place les conditions pour que toutes et tous les jeunes puissent accéder à un emploi digne et choisi », décrit-il. Le projet comporte « trois piliers : un groupe jeunes qui permet à ses membres de retrouver du lien avec d’autres, de prendre des responsabilités, de sortir, de reprendre confiance ; un travail d’accompagnement vers l’emploi avec un réseau d’entreprises ; une entreprise, L’Archipel des métiers, qui pour l’instant fait de la restauration et bientôt de la menuiserie. On se donne les conditions pour que le jeune puisse tenir dans l’emploi, qu’il puisse s’épanouir et se former pour pouvoir ensuite travailler dans d’autres lieux ».
La question d’un spectateur permet à Paul Maréchal d’expliquer ce qu’ATD Quart Monde entend par « emploi digne et choisi » : « Cela signifie d’abord un salaire décent, des conditions de travail respectueuses ». Pour les jeunes interrogés, « les emplois qui ne sont pas dignes sont ceux dans lesquels on se sent méprisés, on nous demande de faire des choses pour lesquelles on n’a pas été formés et finalement on se retrouve maltraités et on se sent incompétents ».
La question du choix pèse également sur les jeunes en situation de pauvreté, souvent dès l’école. « Quand ils arrivent en troisième, ils sont orientés en fonction de leurs notes. Un jeune qui voulait faire de la cuisine a été mis en carrosserie ; une jeune qui voulait s’occuper d’enfants a été mise en pressing. Dès le début, ils ont l’impression de ne rien pouvoir choisir, c’est hyper violent. Pour l’emploi ensuite, c’est pareil », décrit Paul Maréchal. Le projet Réussir ensemble s’engage donc auprès de ses membres à « partir de leurs aspirations, au moins d’essayer, parce que parfois ils ne savent pas exactement ce qu’ils veulent ».
« Se donner de la force »
Le volontaire permanent met ainsi en avant « l’impression de blocage dans la relation humaine » que l’on voit dans le film Rosetta, mais aussi au quotidien avec les jeunes : “Ils ne se sentent pas soutenus. Ils demandent simplement d’avoir des personnes à leurs côtés et qui ne les lâchent pas. Souvent, il leur manque juste la clé et le fait de savoir quelle porte ouvrir et comment tenir dans l’emploi ». Au sein de Réussir ensemble, certaines personnes ont un travail, leur quotidien semble s’améliorer, mais elles restent quand même soutenues par le groupe. « Le défi le plus important, c’est que ces jeunes soient bien traités dans les entreprises qui les embauchent. Parfois ça craque. C’est dans ces trous d’air qu’il faut être là, se donner de la force, ne pas lâcher la personne pour qu’elle rebondisse », précise-t-il.
Alors que l’espoir est parfois difficile à trouver dans le film Rosetta, Paul Maréchal tient à terminer sur une note d’espoir. Chaque jour, il voit ainsi « les cercles vicieux de l’extrême pauvreté, mais aussi les cercles vertueux, par exemple le lien entre le logement et le travail. Dès que les jeunes réussissent à décrocher même un CDD, cela leur permet de trouver une solution pour le logement ». Il invite donc chaque personne « à s’engager pour permettre à toutes et tous les jeunes d’arriver à être heureux et à avoir une vie normale ».
Photo : Paul Maréchal, volontaire permanent, lors de la présentation du film Rosetta le 6 octobre au cinéma UGC Lyon Bastille à Paris. © ATD Quart Monde
