Sociologue au Centre d’études de l’emploi et du travail, Claire Vivès analyse notamment les politiques d’emploi en France et l’accompagnement des demandeurs d’emploi. Co-autrice du livre « Chômeurs, vos papiers ! Contrôler les chômeurs pour réduire le chômage ? », elle pointe l’inefficacité des contrôles sur le retour à l’emploi durable des personnes.
Vous affirmez dans votre livre que le contrôle des personnes sans-emploi n’est pas un phénomène nouveau. Comment a-t-il évolué ?
Le contrôle prend en effet des formes différentes selon les périodes. Dès la création des caisses de chômage financées par les organisations ouvrières, on a contrôlé la probité des personnes indemnisées et leurs recherches, ou non, du travail.
À partir de la fin des années 1970 et de l’augmentation du chômage, cela évolue. L’idée que les personnes sont responsables de leur situation prend de l’ampleur et elles sont obligées de prouver qu’elles sont « en recherche active », qu’elles font ce qu’il faut pour s’en sortir. Dans l’orientation générale des politiques d’emploi, le terreau de la maltraitance est alors déjà là. On ouvre la voie à tout ce qui relève de la stigmatisation et de la culpabilisation des personnes en leur disant que si elles agissaient différemment, elles pourraient avoir un sort différent.
Le contrôle s’intensifie ensuite à partir de 2014, puis en 2020, avec la volonté d’Emmanuel Macron de le renforcer pour lutter contre ce qu’il appelle « les pénuries de main-d’œuvre ».
D’où vient l’idée selon laquelle le contrôle améliorerait le retour à l’emploi ?
Cette idée ne vient pas des travaux scientifiques. Il n’y a aucune preuve montrant l’effet positif du contrôle sur le retour à l’emploi, et particulièrement sur le retour à l’emploi durable. Elle se base sur la fiction selon laquelle les gens sont rationnels, ne cessent de faire des arbitrages entre travail et loisirs et que, face à la crainte d’une sanction, ils vont chercher mieux ou davantage. C’est hyper simpliste, mais cela irrigue les politiques d’emploi.
Les frontières entre l’accompagnement et le contrôle se sont par ailleurs brouillées au fil des années. Aujourd’hui, le contrôle est présenté comme un droit des chômeurs. C’est parce que l’accompagnement a été fortement maltraité qu’il est possible de raconter cette histoire-là. Faute de moyens suffisants, Pôle Emploi était incapable de tenir ses promesses de suivi personnalisé. Donc, après un voire deux ans parfois sans contact avec l’institution, certaines personnes étaient relativement contentes d’être contrôlées, de se sentir à nouveau suivies, surtout que le contrôle s’accompagnait rarement d’une sanction. Ces contrôles étaient présentés comme un outil d’accompagnement. Avec la création de France Travail, l’objectif est désormais d’intensifier le contrôle et les sanctions.
Quel est l’impact de cette politique de contrôle sur les personnes les plus précaires ?
Cela peut pousser les personnes à prendre un emploi qu’elles n’auraient pas pris dans d’autres circonstances. La stigmatisation des demandeurs d’emploi est tellement forte que leur droit de choisir l’emploi vers lequel ils veulent aller est complètement nié. C’est particulièrement visible dans le contrôle extrêmement poussé sur les personnes inscrites pour les métiers dits « en tension », qui peinent plus que d’autres à trouver de la main-d’œuvre, comme la restauration. Ce sont principalement des emplois non-qualifiés, à temps partiel, avec des conditions de travail difficiles et des rémunérations basses. Cela précarise encore davantage les personnes au chômage.
Pourquoi les allocataires du RSA sont-ils plus sanctionnés que les autres ?
Un contrôle a aujourd’hui trois issues possibles : la sanction, la « remobilisation » car la personne est jugée « insuffisamment active », ou le constat qu’il existe bien une recherche d’emploi active. Dans les deux premiers cas, la recherche d’emploi est jugée insuffisante, mais la décision prise dépend des justifications apportées. On peut faire l’hypothèse que les allocataires du RSA ont plus de difficultés que d’autres à produire un discours de justifications attendu par l’institution, ou même à répondre. Une part importante des sanctions sont en effet prises alors que France Travail n’a pas réussi à entrer en contact avec la personne.
Je pense qu’il faut par ailleurs assumer l’hypothèse selon laquelle une personne au RSA cherche moins que les autres… Mais il faut alors reconnaître qu’elles ont de bonnes raisons de moins chercher. Le problème vient de cette fiction selon laquelle il faudrait chercher à tout prix, que l’on aurait tous et toutes les mêmes ressources et la même disponibilité pour chercher. Cela interroge donc cette politique du tout retour à l’emploi.
Les agents que vous avez pu rencontrer évoquent le « brouillage » entre l’activité d’accompagnement et de contrôle. Le ressentent-ils aussi comme une forme de maltraitance ?
Pour les agents de Pôle Emploi et France Travail, la maltraitance institutionnelle est plus générale. Ils ne sont pas assez nombreux et on leur demande toujours de mettre en place de nouveaux plans. Ils n’ont pas d’autonomie dans l’organisation de leur travail, ni dans son contenu. C’est une institution qui fonctionne beaucoup avec un pilotage par des indicateurs. Les conseillers et conseillères ont souvent le sentiment que ce qui fait sens dans leur travail n’est pas forcément ce qui est attendu, ou en tout cas ils ne peuvent pas en rendre compte dans les indicateurs existants.