Deux militants Quart Monde de Brest, Vincent et Angelina, ont participé en mars dernier à une présentation de la campagne sur la maltraitance institutionnelle devant des étudiantes de l’Université-Paris-Est Créteil.
“La maltraitance institutionnelle, ça touche tout le monde, les pauvres ou les riches, et ça démoralise. Mais il y a des personnes que cela met dans une plus grande détresse. Participer à cette campagne, cela donne envie de faire bouger les choses, d’aller vers toutes les institutions et de dire ‘arrêtez ça’.” Devant une quinzaine d’étudiantes en master Sciences de l’éducation de l’Université-Paris-Est Créteil (Upec), Vincent, militant Quart Monde venu de Brest, rappelle que “tous les gens devraient être égaux, parce qu’on est tous humains”.
Avec Angelina, également militante Quart Monde de Brest, ils ont été invités par la responsable du “parcours DEIS du master Intervention et développement social”, Claire Cossée, pour parler de leur expérience, mais aussi présenter les constats et les propositions formulées par ATD Quart Monde pour lutter contre la maltraitance institutionnelle et les outils mis en place. “La maltraitance institutionnelle, c’est quelque chose qu’on peut vivre sans le remarquer. On se dit que c’est notre faute”, explique-t-elle. Le fait d’avoir pu mettre ce mot sur les difficultés rencontrées avec les institutions lui ont permis de “comprendre que ce n’est pas seulement de notre faute”.
Les étudiantes, en formation initiale ou continue, travaillent déjà ou se destinent à des métiers dans le secteur du social. Mais peu d’entre elles ont déjà réfléchi à la notion de maltraitance institutionnelle. L’intervention d’Angelina et Vincent suscite de nombreuses réactions. “Je ne me pose pas particulièrement la question de la violence institutionnelle et des conséquences que cela peut avoir. En tant que professionnelle, j’aimerais veiller à ne pas reproduire ces violences”, souligne Ina. “Je ne savais pas que cela pouvait exister et que cela s’appelait de la maltraitance institutionnelle”, ajoute Serina. Pour Candice, “le terme de maltraitance institutionnelle est un peu fort, car il fait penser à de la violence physique. Pourtant, ce sont des histoires assez courantes”.
Se mettre dans la peau des autres par le théâtre-forum
L’équipe de la Dynamique jeunesse d’ATD Quart Monde, Nassima, Martin et Sofiene qui accompagnent les deux militants Quart Monde, propose ensuite une scène de théâtre-forum. Il s’agit d’une forme de théâtre participatif permettant aux spectateurs d’être acteurs et de changer l’histoire en cours. La scène proposée est issue du rapport Stop à la maltraitance institutionnelle. Agir ensemble avec les personnes en situation de pauvreté et décrit une situation réelle de rupture d’hébergement pour une jeune femme.
Rapidement, les étudiantes se prennent au jeu et remplacent les personnages de la scène pour tenter de débloquer la situation. L’une d’elles se lève ainsi pour prendre le rôle de l’assistante sociale. Elle avance des propositions pour “mobiliser les ressources” de la jeune femme qui doit quitter son hébergement, “faire en sorte qu’elle participe à toutes les évolutions du projet et qu’elle ne se sente pas trimballée de structure en structure”.
D’autres étudiantes se proposent pour remplacer le rôle de l’opérateur du 115 ou celui de la jeune femme en difficultés. Mais l’objectif du théâtre-forum est de rester au plus près des conditions réelles et tout ne se règle pas d’un coup de baguette magique. Spontanément, une étudiante crée un nouveau rôle : celui d’une cheffe qui attend avant tout des résultats de la part de l’intervenante sociale et ne se soucie pas vraiment de l’humain. Une situation que l’étudiante rencontre visiblement au quotidien dans son travail.
Une maltraitance institutionnelle qui touche aussi les professionnels
Face aux propositions avancées, plusieurs étudiantes pointent le “sur-effort” souvent demandé aux professionnels pour régler des situations qui les dépassent parfois et “l’usure professionnelle que cela peut entraîner”. “Parfois, un professionnel arrive à trouver une réponse, mais à quel prix ? Cela entraîne beaucoup de souffrances professionnelles”, constate l’une d’elle. Ce petit exercice leur fait prendre conscience de “l’importance de la réponse en équipe”. “On voit bien comment la maltraitance institutionnelle se produit de façon systémique sur les professionnels et les publics. La direction est à des distances de ce qu’il se passe sur le terrain, doit gérer davantage des choses techniques que l’aspect humain”, souligne Laura.
Cette “situation d’impuissance résonne avec des réalités”, constate Martin, volontaire permanent et responsable de la Dynamique jeunesse. “Mais on n’est jamais complètement dépossédé de pouvoir d’agir, il y a toujours des marges de manœuvre, même si elles sont petites. Souvent, les solutions passent par le fait de s’allier, de voir ce qu’on peut avoir en commun comme pouvoir d’agir”, explique-t-il.
Reprendre conscience de la chaîne de décision
Cette intervention extrêmement vivante et participative de membres d’ATD Quart Monde sur la maltraitance institutionnelle a engendré de nombreux débats parmi les étudiantes de l’Université-Paris-Est Créteil et les a incitées à réfléchir différemment à leur rôle en tant que professionnelles de l’action sociale. Pour Massiatie, étudiante en formation continue et cheffe de service dans un centre d’hébergement, le théâtre-forum “projette dans la réalité autrement que les cours et permet de voir les difficultés rencontrées par tous les acteurs”.
“Au quotidien, il y a des points de vue différents en fonction du poste qu’on occupe. On est vite happé par d’autres réalités, parfois moins en phase avec des personnes qui sont sur le terrain. Chacun est dans sa réalité, sa dimension. C’est bien de reprendre conscience de toute la chaîne de décision et de la manière dont cela pèse sur la personne au final”, conclut-elle.