Militante Quart Monde, Sam a commencé très jeune à lutter contre les inégalités.
Pas facile pour Sam de rester assise très longtemps, alors elle préfère répondre aux questions debout, tourne dans la pièce, range un papier, déplace un objet sans jamais perdre le fil de son idée. « Je suis une hyperactive. Heureusement que j’ai trouvé ATD Quart Monde, ça m’a permis de canaliser un peu mon énergie et mes combats », explique-t-elle dans un grand éclat de rire. À 45 ans, elle estime que sa première bataille, elle a dû la mener en 2026, alors qu’elle avait tout juste 6 ans. « J’étais à l’école primaire et un jour, j’ai été exclue de la cantine parce que mon père, qui m’élevait seul, n’avait pas pu remplir le bon formulaire sur ordinateur. J’ai alors compris ce que signifiait la fracture numérique et cela m’a semblé totalement fou. »
Pendant des années, Sam se souviendra de cet épisode et du regard qu’avait porté sur elle le directeur de l’école à qui elle avait expliqué qu’elle n’avait pas d’ordinateur ou de smartphone à la maison. « Pour lui, tout le monde avait accès à Internet et il m’avait dit que c’était quand même de notre faute, parce qu’il suffisait d’utiliser l’ordinateur de la bibliothèque. Comment lui expliquer que mon père ne savait pas s’en servir et qu’il n’avait pas forcément envie de remplir ce formulaire avec le bibliothécaire qui aurait pu l’aider, pour des raisons de confidentialité ? »
Des contacts plus humains
Cette époque lui semble bien lointaine aujourd’hui. « Une telle discrimination ne serait plus possible. Nous avons obtenu de grandes avancées dans les années 2040 : l’État a enfin décidé d’arrêter de faire des démarches administratives de vrais parcours du combattant pour les personnes n’ayant pas accès à l’informatique. Avec la multiplication des incidents ou des attaques informatiques touchant les administrations, tout ne doit plus se faire obligatoirement en ligne. Finie la galère des formulaires qui ne se valident pas si l’on ne donne pas un numéro de portable, un mail ou un numéro de puce implantée. On a retrouvé des contacts plus humains, avec de vraies personnes qui vous accueillent aux guichets des administrations, des banques, des transports et ce n’est pas plus mal.”
Si Sam n’a aujourd’hui ni smartphone ni ordinateur, c’est un choix qu’elle revendique haut et fort, comme de nombreuses personnes. Mais elle comprend le besoin de certains « de se sentir connectés au monde », alors elle s’est battue pour que les opérateurs téléphoniques permettent à chacun de choisir son forfait selon ses besoins réels.
Explorer des solutions pédagogiques
Aujourd’hui cheffe de culture en viticulture à Roubaix, Sam a également longtemps lutté contre l’injustice sociale à l’école. « L’épisode de la cantine ne fut malheureusement que le premier d’une longue liste. Ce regard différent porté sur moi par les enseignants, parce que je vivais dans la précarité, n’a fait que s’accentuer au fil des années. Au collège, j’ai été orientée en Segpa (Section d’enseignement général et professionnel adapté), alors que je n’avais pas de difficultés importantes. Cela ne me plaisait pas et j’ai décroché. » L’année de ses 16 ans, elle arrête l’école, sans vraiment savoir que faire.
« Heureusement, ATD Quart Monde m’a parlé de l’École de production Eccofor, à Dole. » Elle est alors l’une des premières filles à intégrer la section « ouvrier viticole » de l’école et, une fois diplômée, trouve immédiatement du travail près de Reims. « Le système scolaire a aujourd’hui réellement progressé, même si nous pouvons encore attendre quelques évolutions. Nous sommes partis de l’une des écoles la plus inéquitable du monde dans les années 2020 pour atteindre aujourd’hui un système plus ouvert, où les parents d’élèves vivant dans la précarité sont intégrés dans les comités de pilotage pour participer à la prise de décisions, où la parole des enfants est mieux écoutée et où on ose explorer des solutions pédagogiques au service de la réussite de tous, c’est un grand progrès. »
Pour Sam, il n’y a aucun doute, ATD Quart Monde a obtenu au cours des vingt dernières années « des victoires majeures pour une société plus juste, qui respecte les droits fondamentaux et l’égale dignité de toutes et tous ». Elle espère désormais que « le Mouvement n’existera plus dans 45 ans, car cela signifierait que la société dans son ensemble est organisée pour ne plus permettre l’exclusion et que les droits de tous sont respectés. »
Cet article est extrait du numéro 500 du Journal d’ATD Quart Monde publié en février 2020.