Mme A. Hafiza habite à Lyon 8ème, elle est d’origine algérienne. Elle est une habituée des Universités populaires Quart Monde. Elle aime dénoncer des injustices, aimerait participer à la création d’un monde plus juste. Elle nous donne son témoignage sur sa vie actuelle.
Au début j’étais très angoissée par le virus. J’étais triste. Ça n’allait vraiment pas. J’avais entendu dire qu’il se propageait dans l’air, que le vent l’emportait. J’avais vraiment peur pour mon mari et mes enfants. Je refusais qu’on sorte dehors, même d’aller sur le balcon.
Avec le temps, doucement, j’ai commencé à sortir. Je me suis mis un masque et je sors faire les courses. Je mets aussi un gant pour la main que j’utilise, pour l’ascenseur. C’est pour ne pas gaspiller les gants. On n’a pas de masque, pas de gant, monsieur le président, on n’a rien. Maintenant je sors aussi des fois avec mon mari le soir. Ça dépend des jours. Des fois je suis bien, des fois j’ai le stress.
Ce mois, j’ai touché moins d’allocations familiales mais je ne sais pas pourquoi alors que j’ai entendu à la télé comme quoi on ne payerait pas le loyer, l’électricité non plus et en fait on a payé. Est-ce que c’est vrai ou non?
Heureusement mon mari est parti au bled cet hiver et il a ramené un peu tout ce dont on a besoin. Je n’ai pas beaucoup de courses à faire.
Mon mari est au chômage. Lui qui est d’une nature gaie, depuis le confinement, il est malade. Le médecin lui a dit que ce n’était pas le coronavirus mais le stress. Mais il va toujours mal. Il n’est vraiment pas bien. Il reste à part dans la journée. Il ne mange pas, il ne dort plus la nuit. Il vit très mal de devoir rester à la maison et il cherche du travail coûte que coûte. Dès que les enfants s’agitent un peu, il leur dit qu’il n’est pas bien, qu’ils doivent arrêter. Il n’est vraiment pas dans son assiette. Le fait de ne pas pouvoir aller faire la prière nous manque aussi beaucoup. Je suis très inquiète pour lui.
Pour les enfants aussi au début ça a été très difficile avec les devoirs qu’ils ne comprenaient pas, avec Internet qui ne marchait pas, avec le manque d’habitude. J’étais perdue. Je devais aller au collège plusieurs fois par jour pour demander comment faire. J’ai trois garçons et même si nous avons un ordinateur et deux téléphones, avec les problèmes d’Internet, nous ne pouvons faire fonctionner qu’une seule chose à la fois. Après ,on s’est organisé à la maison et avec les professeurs pour qu’ils nous aident soit par mail soit au téléphone.
Petit à petit on a pris l’habitude. Nous avons aussi l’aide du responsable jeunesse du centre social, surtout pour les grands avec qui j’ai plus de problèmes. Pour le deuxième, on peut demander de l’aide à la maman de son copain mais lui, il se débrouille plutôt bien. Le dernier n’arrivait pas à faire son travail avec l’ordinateur. Depuis que je l’ai dit à sa maîtresse elle lui imprime le travail à faire et je vais les chercher à l’école. Si je ne peux pas y aller les maîtresses se sont organisées entre elles pour les déposer dans nos boîtes à lettres.
Mais mes enfants ils préfèrent cette situation plutôt qu’aller à l’école. Ils sont heureux, contrairement à nous.
En ce moment je peux passer du temps avec mes enfants. D’habitude je n’ai pas le temps de les voir. Là je passe toute la journée avec eux et je connais mieux leur mentalité maintenant. J’ai découvert chez l’un deux une sensibilité que je n’imaginais pas. Par exemple, il a peur pour nous. Je passe aussi beaucoup de temps dans la cuisine pour leur faire de bons plats. Même mon mari a changé. Il s’inquiète plus de la religion. Parce qu’il a le temps. Il parle avec sa famille tous les jours. Il fait même des fois la cuisine. Il m’aide. Je pense qu’on tire un bien de cette épreuve. Dans le milieu des arabes que je fréquente je constate le développement de solidarités qui n’existaient pas avant. Chacun s’inquiète de la situation des autres, renoue avec des membres de sa famille avec qui ils avaient perdu le contact. On s’inquiète de la situation des voisins, s’ils ont faim, s’ils veulent qu’on leur fasse des courses.
Beaucoup de choses ont changé à cause du corona. Beaucoup de gens qui ne me parlaient pas s’inquiètent de moi. On a le temps pour penser. La maladie est venue, elle a fait peur aux gens. On pense à la mort et à ce qu’on voudrait faire avant si ça nous arrivait. C’est une maladie qui a fait peur à tout le monde, jusqu’au président. On en parle en famille. Quand on fait la prière, on demande une bonne santé pour tout le monde. Avant je ne posais pas la question de savoir si mon frère avait faim. Et maintenant on pense à lui, on se dit il ne travaille pas, il n’a pas d’argent, il faut qu’on l’aide.
Le problème c’est que les gens changent en ce moment à cause de la maladie mais ça risque de ne pas durer après.
J’ai fait une chanson qui dit :
Corona, corona Beltina corona….
Y en a marre y a Corona
Corona, corona, ça rend fou le corona
Mais moi je sais qu’un jour, ce virus, il va partir. Je garde donc l’espoir toujours en moi.
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Photos : Dessins réalisés pas Y. Petit