La chronique de Bella Lehmann-Berdugo
On Falling
Laura Carreira. Fiction. Grande-Bretagne/Portugal. VOST. 1H44. Sortie le 29h octobre.
Aurora, jeune immigrée portugaise, travaille en Écosse comme préparatrice de commandes dans un grand entrepôt, emploi déshumanisé et solitaire qui lui permet à peine de se nourrir. Elle n’a que peu de contacts avec ses collègues qui rêvent comme elle d’un autre travail. Elle occupe une chambre dans une colocation où les gens se croisent brièvement à la cuisine. Le film baigne dans des intérieurs gris et froids, entrecoupés de rouge : les flashs à répétition de son pistolet à code-barre, une lueur dans sa petite chambre anonyme, ou une sortie de nuit dans un bar éclairé. Le véritable compagnon d’Aurora est son téléphone portable. Quelques échappées se présentent, qui semblent difficiles à saisir pour elle tant on la sent « vidée » de son énergie vitale. On aurait parfois envie de la secouer pour la réveiller. La séquence d’entretien pour une embauche éventuelle ailleurs est emblématique et magistrale. Un monde qui existe et qui fait froid dans le dos.
Les Braises
Thomas Kruithof. Fiction. France. 1h42. Sortie le 5 novembre.
Karine et Jimmy forment un couple amoureux et uni, avec deux enfants. Ils rénovent ensemble leur pavillon. Lui est petit patron, chauffeur routier, elle travaille en usine. Karine découvre le mouvement des Gilets Jaunes. Elle y entre avec curiosité et désir de comprendre. La politique fait irruption dans la famille. Dans l’action collective, la jeune femme trouve des débuts de réponses et un espoir pour le futur. Tandis que Jimmy cherche une réponse concrète, individuelle et immédiate pour développer son entreprise en difficulté. Des dialogues soignés, des situations intéressantes, parfois inattendues, des acteurs convaincants. Parfois un peu démonstratif, le film apporte un éclairage de l’intérieur sur cette période, en mêlant l’intime et le collectif.

France Une histoire d’amour
Yann Arthus Bertrand et Michael Pitiot. France Documentaire. Sortie 4 novembre.
Le photographe documentariste Yann Arthus Bertrand part à la rencontre des Français des villes et des champs, ceux qui travaillent, ceux qui sont bénévoles dans des associations, de souche française ou issus de l’immigration. Le film s’inscrit en parallèle d’un travail photographique, une sorte de catalogue des Français, commencé dans les années 1990. Ce pourrait être le « bonus » d’une enquête aux quatre coins de France. C’en est aussi le prolongement.
C’est l’occasion pour le cinéaste engagé pour la défense du climat, pour la défense des agriculteurs sous-payés et pour la justice sociale de porter et d’écouter la parole de personnes pas toujours médiatisées. C’est enfin prétexte pour Yann Arthus Bertrand et Michael Pitiot, documentariste et coauteur du film, de fêter leurs dix ans de collaboration.
Voici donc Yann Arthus-Bertrand, coiffé de son béret bleu, débarquant sur un marché de province, familier, un brin paternaliste : « Comment ça va ? tu vas bien ? Je fais un documentaire, tu serais d’accord pour poser pour moi, avec tes légumes, ton pain, ton poulet, … ? ». S’ensuivent des échanges avec des personnes attachantes par la diversité de leur univers, leurs pratiques, leurs idées, leurs engagements, l’amour de leur métier, leur vie. On aimerait parfois aller plus loin avec chacune d’entre elles.
Des migrants soudanais, iraniens à Calais, épuisés, soutenus par une habitante accueillante (recharge de téléphones, nourriture) « c’est riche de s’occuper des autres » dit-elle, des jeunes d’un collectif de maisons démontables à 10 000 euros, un équithérapeute à Marseille pour les ados des quartiers nord, des « Gaulois basanés » transformant un Mac Do en distribution de colis locaux, des bergers pyrénéens en colère contre les protecteurs du loup, un éleveur amoureux de son métier rêvant du retour aux micro fermes, une éleveuse de bovins sensible à la cause animale, la fondatrice de l’unique abattoir mobile de France qui a dû déposer le bilan. Et tant d autres Français.
« Moi j’aime les gens, qui donnent, qui partagent (…) Parler devant des gens indifférents, c’est de plus en plus difficile pour moi », affirme Yann Arthus-Bertrand devant un jeune diplômé de l’Académie du Climat qui se décrit comme le « héros d’une tragédie grecque ». On peut regretter l’accumulation des situations au détriment de l’approfondissement. On ne peut nier l’énergie des deux réalisateurs à mettre en lumière ces Français qui parlent à d’autres Français ou à leurs frères humains.

