La chronique de Bella Lehmann-Berdugo
La MIF
Frédéric Baillif. Fiction. Suisse. 9 mars. contact@latelierdistribution.fr
La “mif” – abréviation en verlan de famille – est un foyer d’adolescentes, cohabitant tant bien que mal entre elles. Entre violence et tendresse, le ton monte vite, le langage est cru et véridique. Une étonnante Lora le dirige avec bienveillance, empathie et fermeté. Les actrices non professionnelles improvisent des scènes inspirées de leur vie. Quelques scènes très fortes par la justesse des dialogues et leur ton. Les portraits de chaque jeune fille se succèdent avec de jolies transitions musicales. Certaines absurdités de l’institution éducative sont remises en question, sans caricature.
À plein temps
Eric Gravel. Fiction. France. 16 mars. martin.bidou@hautetcourt.com
Julie élève seule ses deux enfants à la campagne, travaille comme femme de chambre dans un palace à Paris. Un autre emploi se profile, correspondant plus à sa formation. Sa semaine est une course éperdue du village à la ville. Survient une période de grèves de transports. La course s’accélère. Julie jongle entre les collègues, la nourrice, les enfants, l’argent, l’ex-conjoint aux abonnés absents. La caméra colle au souffle de Julie, accompagnée par une musique anxiogène, à un rythme répétitif. On n’est pas loin du thriller. Une femme orchestre, tenace, acharnée, moderne, dans la vie d’aujourd’hui.
La brigade
Louis-Julien Petit. Fiction. France. 23 mars. jbillaud@apollo-films.com
Cathy rêvait de diriger son propre restaurant. La voilà cantinière dans un foyer pour jeunes migrants, qui deviendra une classe de CAP cuisine, tenue de main de maître par la cheffe cuistot. La recette, saupoudrée d’humour et d’émotion, fonctionne très bien. Au passage tombent quelques préjugés de part et d’autre et c’est tant mieux.
En nous
Documentaire. Regis Sauder. 23 mars. assistant.programmation@shellacfilms.com
Il y a dix ans, à partir de l’étude de La Princesse de Clèves, des jeunes lycéens des quartiers nord de Marseille disaient leurs rêves, leurs désirs, leurs peurs. Leur professeure s’exprime aussi : “Nous portons à bout de bras ce qui reste de l’école publique”. Que sont-ils devenus ? Certaines filles sont mères, essayant d’inventer du nouveau contre le chaos ambiant. Virginie parle de son “sous-métier réservé aux Blacks”, aide-soignante. Pourtant certains disent que, même en venant des cités, le monde restait ouvert. L’école ne leur parlait pas de l’histoire de leurs origines, même si : “la culture, elle appartient à qui veut”. Au bout du rêve, il y a une docteure en pharmacie, une préparatrice en microbiologie, une cadre de la Sécurité sociale, un professeur de conduite auto, enfin Abou infirmier, parti en Suisse. Un bilan en demie teinte parce que, pour en arriver là, il aura fallu beaucoup lutter et ça use, même à 30 ans.
Trois fois rien
Nadège Loiseau. Fiction. France. 16 mars. https://le-pacte.com/contact.
Trois compères vivent au jour le jour, dans le bois de Vincennes. Ils gagnent au Loto. Mais comment encaisser l’argent, sans domicile, sans carte d’identité à jour et sans compte bancaire ? Les scènes dans les banques et les institutions sont kafkaïennes à souhait. L’interprétation de chacun des trois personnages est enlevée, dynamique, tantôt nuancée tantôt outrée. Une histoire d’amitié en forme de conte assumé. Ça frise l’image d’Épinal (pourquoi faut-il toujours un pauvre alcoolique de service ?) et les bons sentiments, avec des bribes de justesse. Le pari affiché étant de contrer les préjugés sur les personnes précaires.
L’empire du silence
Documentaire de Thierry Michel. VOST. Sortie 16 mars 2022.
Si l’on veut comprendre le contexte dans lequel a travaillé le docteur Denis Mukwege, pendant de longues, au Congo, si l’on veut comprendre quelles difficultés a dû affronter “l’homme qui répare les femmes“, si l’on veut voir les protagonistes de ces guerres incessantes et fratricides que se sont livrées, depuis 1993, pendant vingt-cinq ans, différents groupes ethniques du Congo et leurs alliés ou leurs commanditaires, il faut voir ce documentaire. C’est un film pour l’Histoire.
L’introduction donne tout le sens du film, en reprenant les propos du docteur Denis Mukwege à l’ONU en 2016 : “Je vis dans le pays le plus riche du monde, pourtant son peuple est parmi les plus pauvres de la planète, au vu et au su de la communauté internationale ». Cette situation est due à l’abondance de ressources naturelles : Or, Cobalt, Coltan et d’autres minerais stratégiques. La violence du film reflète la violence vécue. Un témoin affirme : « Au Congo, il faut tuer mille personnes pour devenir général”
Pour essayer de comprendre cette situation, le réalisateur est retourné sur le terrain qu’il connaît bien. Le Rwanda est cité, Mobutu, Kabila aussi. De nombreuses personnes témoignent de l’atrocité des actes commis. Des listes des auteurs présumés des massacres sont communiquées par les témoins. Ces listes restent enfermées dans des tiroirs à l’ONU. Les casques bleus sont là depuis vingt ans sans résultat aucun. Et le pillage des ressources continue !
La grande question est celle-ci : pourquoi tant d’impunité pour les viols, meurtres, assassinats, déplacements massifs de population ? Le film ne répond pas vraiment à toutes les questions. Il donne des indices, des repères. Le constat malheureux est le suivant : Il n’y a pas jamais eu de tribunal international, pas de tribunaux spéciaux, rien. Ce film est manifestement un film contre l’oubli. L’horreur de la guerre y est constamment présente. La violence est dans chaque image, difficile à supporter. Dernier espoir, l’implication d’un cinéaste qui veut comprendre et qui veut transmettre. Thierry Michel dira : “Je filme pour agir”. Marie-Hélène Dacos-Burgues
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