La chronique de Bella Lehmann-Berdugo
Ibrahim
Samir Guesmi. Fiction. France. 1h20. 23 juin
Ibrahim, adolescent réservé et sensible, vit entre son père Ahmed, veuf taiseux, écailler dans une brasserie, et son ami de lycée, Achille, “décrocheur”. Or Ahmed doit régler la note d’un vol commis par son fils et du même coup renoncer à accéder à un autre poste. En effet, il ne pourra alors plus assumer ses dépenses de dentiste. Une nouvelle dentition lui aurait permis de prétendre à un poste de serveur mieux rémunéré. Autour de cette intrigue, tout l’art du film est de laisser le spectateur saisir mille tonalités en les suggérant : une relation père-fils qui se transforme, les tourments et les fragilités de l’adolescence, une jeunesse parfois piégée dans des situations comme prévues d’avance pour elle. Les deux principaux protagonistes servent le scénario avec simplicité et pudeur. Les rôles secondaires ne sont pas en reste. Tous incarnent parfaitement la dignité et la délicatesse de gens soi-disant ordinaires.
143, rue du désert
Hassen Ferhani. Documentaire. Algérie. 2021. 1h40. VOST. 16 juin.
Malika tient une modeste buvette en plein désert algérien, au bord de la Transsaharienne. Routiers, motards, imams, militaires, migrants, bavards ou taiseux, s’y arrêtent pour prendre un café, de l’eau, des œufs. À l’écoute, elle prend les gens comme ils viennent. Eux lui apportent parfois des nouvelles du dehors, d’un pays complexe, en mutation. D’elle, retirée du monde et d’une hypothétique famille, on sait très peu. Une princesse des sables, regard vif parfois voilé, au milieu de ses packs d’eau, face à un unique arbre déplumé, telle est Malika : libre, digne, énigmatique, attentive, humaine comme ses clients. Tout est dit ou tu, dans un dispositif minimaliste qui augmente encore la densité des scènes.
Paris Stalingrad
Hind Meddeb et Thim Naccache. Documentaire. France. 28 mai et VOD sur 25eheure.com
Le quotidien infernal des migrants à Paris, à travers le parcours de Souleymane, jeune de 18 ans, réfugié du Darfour, survivant de la guerre, des mines d’or esclavagistes, des geôles libyennes. Il découvre les campements à la rue, les démarches administratives, les rafles de police qui “effacent (nos) vies” et la mobilisation de quelques-uns avec “un sentiment d’impuissance”. Le jeune homme écrit des poèmes “ô toi notre planète mère de tous les rêves”. On sent une proximité en profondeur de la part des cinéastes. Des scènes fortes, parfois intimistes, très loin du “reportage”.
Nomadland
Chloé Zhao. Fiction. USA. VOST. 3 Oscars. 9 juin.
Fern, lumineuse, veuve, 60 ans, chômeuse. Sur la route, des Américains, nomades, travailleurs précaires, solidaires, experts en survie. Un road movie dans la grande tradition, sauf qu ici les héros et les héroïnes ont tous et toutes un âge certain. Plusieurs protagonistes ne sont pas acteurs professionnels et c’est un plus. À l âge de la retraite, nombreux sont en quête de pratiques pour économiser au maximum, ou bien de petits (ou gros) travaux précaires. Fern taille la route parce qu elle est libre mais aussi pour aller là où le travail se présente. Elle devient manutentionnaire chez Amazon, femme de ménage, cuisinière et hôtesse dans des parcs d attraction, saisonnière à la récolte des betteraves. Énergique et en bonne santé, jusqu à quand pourra t elle tenir ce rythme ? Et les autres comment font ils ?
L’oubli que nous serons
Fernando Trueba. Fiction. Colombie. Sortie 9 Juin. VOST. D’après une histoire vécue et le roman éponyme d’Hector Abad Faciolince, écrivain adulé, fils du protagoniste.
A Medellin en Colombie, “Quinquin” coule des jours heureux au milieu de ses sœurs, de sa mère tendre, religieuse (contrariée par son époux), pragmatique, et de son père, proche, tendre, charnel, plein d’humour, idéaliste, qu’il adule et qui le lui rend bien. Hector Abad Gomez, médecin et professeur d’université a pour cheval de bataille l’accès à l’eau, à l’hygiène, le droit à la santé des plus démunis. Il s’attire des ennemis dans un pays violent et corrompu. Une chronique familiale intimiste et politique : les Abad sont “à l’aise”, pourtant le père ne rate aucune occasion d’instruire son fils sur les réalités sociales du dehors. La photo chaude, “patinée”, les décors des années 70 et 80, les ambiances joyeuses, évoquent un havre de paix privilégié. A travers les yeux éblouis d’un enfant, un très bel hommage à son père humaniste.
De nouveau sur les écrans :
Gagarine
Fanny Liatard, Jérémy Trouilh. Fiction. France. 2021. 1h38.
Youri, passionné d’astronomie, vit à Ivry, dans une cité vouée à la démolition. Original, imaginatif, lumineux, poétique : la banlieue autrement.
Il mio corpo
Michele Pennetta. Fiction. Suisse/Italie. 1h33. VOST.
Quelque part en Sicile, d’un côté, Oscar, adolescent triste et morose, récupère de la ferraille, avec son père qui bougonne contre lui. Famille nombreuse, recomposée, pauvre. De l’autre, Stanley, Nigérian, travailleur précaire, s’adapte au jour le jour, partage de beaux moments de complicité avec un ami en attente de papiers. Deux vies quotidiennes parallèles explorées par le menu, avec une économie de mots, dans un décor de lumière offert par une nature prodigue, contrastant avec les situations de misère. L’auteur a passé du temps avec les protagonistes devenus personnages de fiction, dans toute leur profondeur et leurs silences. La force originale du film est là.
Les 2 Alfred
Bruno Podalydès. Fiction. France. 1h32. Sortie 16 juin 21.
Un chômeur quinquagénaire, chargé de famille, tente de s’intégrer dans une start-up de trentenaires où le maître mot est : pas d’enfant à charge. Il croise Arcimboldo, électron libre un peu rêveur un peu fantasque et chauffeur Uber. Nous sommes dans un futur plus que proche -qui fait tout de même froid dans le dos- peuplé de drones,de voitures sans chauffeur, de course contre le temps et pour l’argent. Une comédie humaine – à peine caricaturale – bien contemporaine entre cauchemar, poésie et tendresse.
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