La chronique de Bella Lehmann-Berdugo
Apprendre
Claire Simon. Documentaire. France. Sortie le 29 janvier.
À l’école Makarenko d’Ivry-sur-Seine, une école élémentaire de la République, la caméra tourne, dans les classes, dans la cour, sans commentaires inutiles. C’est la rentrée. Amadou est pris en main au propre et au figuré par le directeur qui le confie à sa nouvelle institutrice. La scène est longue, ainsi seront les suivantes. On plonge dans les sensations quasi physiques d’une cour d’école éclaboussée de sons, d’énergies et d’un gentil chaos progressivement apaisé. Le ton est donné.
À la récré, filles ou garçons font des soupes de feuilles, une autre écrit son journal secret ; il y a des rires, des solitudes, des disputes. Un moment de lecture silencieuse en classe, chacun son choix de livre. C’est la vraie vie, sans écrans, qui ressemble peut-être à celle d’autrefois. Au jeu de dames, on apprend à perdre ou à gagner, sous l’œil attentif de l’adulte, en cas de conflit. Idem lors de différentes situations : « Tu dialogues, tu ne te bats pas, tu vas t’excuser ». Dans le bureau du directeur, ferme et attentif : « Je peux te punir, mais on ne progresserait pas, tu vois ? ». Ici s’invente, heure après heure, jour après jour l’exercice de ma propre liberté d’être, d’agir et celle de l’autre. Les rythmes de chacun sont pris en compte : le sommeil d’un élève endormi en classe, un enfant autiste en besoin de vélo dehors, avec son assistante de vie scolaire. Ici l’école si souvent décriée apparaît dans sa vocation première, sociétale et les enseignants semblent aussi épanouis que les enfants. Est-ce un cas exceptionnel ou réservé aux seules petites classes ?
« Je voulais montrer l’école élémentaire comme un bastion républicain, comme une fabrique du citoyen et de la cité », déclare la réalisatrice. « Au fait, c’est quoi la République, les enfants ? -Euh…c’est une ville, à côté de Belleville, en France. »
La Pie voleuse
Robert Guédiguian. Fiction. France. Sortie le 29 janvier.
Maria s’occupe avec dévouement de personnes âgées. Elles l’adorent et lui font confiance. Régulièrement, Maria prélève quelques billets sur l’argent des courses, pour améliorer sa condition, couvrir les dettes de jeu de son mari, financer les cours de piano de son petit-fils. Bref, pour rééquilibrer les injustices sociales. D’abord le récit lambine au fil de jolies images d’Épinal dans les hauts de Marseille, et à travers de gentils « petits vieux, fragiles et crédules ». Puis, ça se corse, avec quelques habiles chassés-croisés et un zeste d’ironie qui sauvent la mise. Las ! La pie voleuse va battre de l’aile. Mais la bonté vraie existe en ce bas monde, savez-vous. La morale sera sauve et tout finira bien.
La mer au loin
Saïd Hamich. Fiction. Belgique/France/Maroc. Sortie le 5 Février.
En cinq tranches, la vie de Nour, 27 ans, émigré clandestin à Marseille dans les années 90, jusqu’à la maturité. L’insouciance, les petits trafics, l’amoureuse, les amis, les papiers. Rien de nouveau en apparence. L’approche est sensuelle, sur fond de musique raï, la ville, les corps, les regards, la mer, les hommes pas tous machos. Et l’histoire s’aiguise, serpente de nouvelle façon, dans sa forme, portée par des acteurs saisissants, par la densité des scènes (longues), par la retenue dans les dialogues. Nour se laisse porter par les événements, leur vibration en lui. La rencontre avec un flic atypique, avec une femme française, les différents points de vue, les choix de vie des autres, la communauté maghrébine, la famille au bled et les racontars, les aléas des couples. Les entrelacs romanesques, et en fil rouge, de l’intérieur, le sentiment d’être partagé, d’osciller, des nuances subtiles, font surgir l’inédit.
Le dernier souffle
Costa-Gavras. Fiction. France. D’après le livre éponyme de Claude Grange et Regis Debray (Gallimard 2023). Sortie le 12 février
Fabrice Toussaint, écrivain et philosophe connu pour ses livres sur la vieillesse, la vie, la mort, passe un scanner à l’hôpital. Le docteur Augustin Masset, lecteur assidu, l’entraîne dans l’Unité de Soins Palliatifs qu’il dirige avec humanité, très disponible et à l’écoute de ses malades, des soignants. Ainsi commence leur dialogue et leur amitié. Des portraits de malades en fin de vie se succèdent, jeunes ou âgés, dans le déni, l’acceptation ou en ultimes questionnements. Un bémol : le cadre hospitalier présenté, les services, les soignants, les malades apparaissent comme très privilégiés.
Tous les acteurs sont très investis et convaincants. Les situations précises, les dialogues brillants et percutants peuvent sembler parfois démonstratifs. Cela permet au récit de lier subtilement le concret avec le philosophique, de façon tout à fait accessible. Un discours touffu, ni morbide, ni conventionnel, respectueux de la nature, des cultures, des convictions personnelles. De l’eau au moulin du délicat sujet de la fin de vie.