Par Tribunecollective, publiée le 31/12/2024 dans Les Échos
L’absence de budget rend incertaine la mise en œuvre de la réforme du RSA conditionné. Le projet de loi prévoyait la suppression de nombreux postes chez France Travail. ATD Quart Monde, Aequitaz et le Secours Catholique demandent sa suspension.
L’absence d’adoption du Projet de Loi de Finances (PLF) entretient des incertitudes quant à la mise en oeuvre de la réforme du RSA conditionné, prévue pour le 1er janvier 2025. Initialement, le projet de loi prévoyait la suppression de postes équivalents à 500 temps plein (ETP) à France Travail, rendant la réforme inapplicable.
ATD Quart Monde, Aequitaz et le Secours Catholique, auteurs d’un premier bilan sur les expérimentations du RSA, demandent la suspension de cette réforme, la prise en compte effective des bilans et expérimentations qui dressent un certain nombre de points d’alerte.
Plus de bureaucratie
Certes, la situation antérieure à la réforme n’était pas satisfaisante et nous avions salué la promesse initiale de dédier davantage de moyens pour un accompagnement qualitatif des personnes. Or cette promesse n’est pas tenue et les indicateurs montrent que le nombre d’allocataires par conseiller France Travail va croître fortement, alors que chacun d’eux suit déjà entre 350 et 400 personnes en moyenne. Sans prévision de baisse du chômage, qui pourrait atteindre 8 % en 2025 (hors effet de la réforme du RSA) , et avec la suppression de 500 ETP à France Travail, cette réforme est vouée à l’échec avant même sa mise en oeuvre. Dans un contexte budgétaire tendu, elle pourrait être financée aux dépens des allocataires, via des radiations.
Chaque conseiller France Travail suit déjà entre 350 et 400 allocataires en moyenne.
La réforme engendrerait davantage de bureaucratie dans le suivi et le contrôle, au lieu de proposer un soutien réel au retour à l’emploi et à la lutte contre la pauvreté. Le coût de l’inaction sera, à terme, plus élevé pour la collectivité.
Impasse des activités obligatoires
Les activités obligatoires imposées aux allocataires du RSA, souvent d’intérêt général, ne garantissent pas une insertion professionnelle durable. Par exemple, dans l’Eure, des allocataires ont été mobilisés pour l’entretien des espaces publics, risquant de se substituer à des emplois réguliers. Le cadre de la réforme reste flou, et ces activités pourraient devenir une forme de travail gratuit sans formation ni valorisation des compétences. Les professionnels de France Travail craignent que ces activités deviennent de nouveaux indicateurs de performance, détournant les conseillers de l’accompagnement réel des allocataires.
La technologie impose ses choix
Il est crucial de renforcer les moyens pour un retour durable à l’emploi : accès à la formation, solutions de garde d’enfants, mobilité, et un accompagnement humain adapté au projet de vie de chacun. L’algorithme d’orientation, qui devait proposer des parcours personnalisés, manque de transparence. Les allocataires sont orientés sans véritable échange humain préalable, ce qui peut conduire à des erreurs d’orientation. Moins d’un tiers des ayants droit (32 %) est dirigé vers le parcours social, pourtant le plus adapté pour ceux qui cumulent plusieurs freins à l’emploi.
« La réforme engendrerait davantage de bureaucratie dans le suivi et le contrôle, au lieu de proposer un soutien réel au retour à l’emploi et à la lutte contre la pauvreté. »
Mettre l’accompagnement au cœur du RSA
Sans moyens suffisants, cette réforme ne tiendra pas ses promesses d’un accompagnement rénové et du retour à l’emploi durable. Au contraire, elle va provoquer davantage d’insécurité matérielle et de défiance envers les institutions qui délaissent un accompagnement humain au profit d’un contrôle bureaucratique des demandeurs d’emploi.
L’humain doit être le point de départ de nos politiques de lutte contre la pauvreté et de l’emploi afin de mettre en œuvre des solutions adaptées aux personnes qui en sont le plus éloignées. Il est impératif que la réforme soit suspendue et que le nouveau gouvernement prenne en compte les bilans des expérimentations et entame une phase de dialogue avec les premiers concernés.
Didier Duriez est président du Secours Catholique
Marie-Aleth Grard est présidente d’ATD Quart Monde
Fabien Laperriere est président d’Aequitaz