Au cours de l’année 2019, la Jeunesse ouvrière chrétienne a réalisé une enquête dans le cadre de sa campagne « Traçons nos vies » auprès de 2700 jeunes de 13 à 30 ans pour la plupart issus de milieu ouvrier ou de quartiers populaires. Cette enquête, publiée le 5 février, a mis en lumière une réelle difficulté à se projeter dans le futur, conséquence d’une privation de la liberté de choisir que ce soit dans le monde scolaire ou dans l’univers professionnel.
Une jeunesse en proie à la multiplicité des barrières
L’enquête révèle un certain nombre de facteurs qui peuvent expliquer pourquoi les jeunes éprouvent des difficultés dans leurs vies scolaires ou professionnelles. Les chiffres apportés par la JOC sont assez révélateurs.
Un des constats alarmant est la difficulté pour un certain nombre de jeunes à se projeter dans les années futures. 32 % des interrogés auraient du mal à se projeter, ce chiffre monte à 70 % quand on parle des jeunes privés d’emplois. 26 % ne se projettent pas du tout. Alors que dès notre plus jeune âge on nous demande ce que l’on souhaite faire comme métier quand on sera grand, ne pas pouvoir ou même ne pas savoir se projeter à l’adolescence traduit bien l’inégalité des chances dont certains sont victimes. Beaucoup d’entre eux à savoir 77 % ne se sentent pas libres de choisir quelle vie professionnelle ils souhaitent avoir.
Par cette enquête, la jeunesse ouvrière chrétienne a tenté de comprendre d’où venait cette difficulté à se projeter et ce manque de liberté. Beaucoup de facteurs sont ressortis des entretiens.
Pour 13 % des jeunes privés d’emplois, la mobilité ainsi que le handicap empêche de se sentir complètement libre. 15 % pointent leur situation professionnelle comme problème majeur. 17 % des jeunes privés d’emplois déclarent ne pas être soutenus dans leur projet. Il existe aussi un facteur financier et matériel. 33 % des jeunes affirment manquer d’argent pour pouvoir se projeter. Au-delà du matériel, il ne faut pas oublier tout l’aspect psychologique qui peut représenter une réelle limite dans l’accomplissement de soi. Ainsi, 49 % manifestent une certaine peur de l’échec quand 29 % évoquent le manque de confiance en soi. Comme le souligne bien l’enquête de la JOC, ces chiffres traduisent aussi l’effet d’une pression sociale où l’échec est perçu comme éliminatoire.
D’autant que ces facteurs sont interdépendants. Ainsi, il est fortement probable d’en connaître plusieurs venant par conséquent renforcer la difficulté de se projeter ou de se sentir libre. Un facteur peut dès lors en entraîner un autre. Manquer de moyen mène à la difficulté de trouver un logement, l’isolement empêche de développer ses contacts et par conséquent, ses chances de trouver un travail.
Conclusion de la JOC : l’État a abandonné les jeunes. L’organisation pointe notamment du doigt un certain nombre de réformes comme la mise en place de ParcourSup qui représente un système de sélection dans les études supérieures, la baisse des APL, la réforme de l’assurance chômage ou encore celle des retraites.
Concevoir l’idée de réussite
Loin de s’apitoyer sur leur sort, les jeunes enquêtés évoquent ce que réussir signifie pour eux. Pour se sentir épanouis, ils affirment que les bonnes relations avec leurs proches sont nécessaires. De plus, la stabilité est un élément clé, être autonome et épanoui est nécessaire pour 42 % des interrogés afin d’être fiers de leur vie.
Pour une majorité d’entre eux, l’argent ne constitue pas une fin en soi, ni la seule raison pour laquelle les jeunes veulent trouver un emploi. Travailler représente dès lors un moyen d’être fier de soi, de ne pas se laisser aller. Le travail occupe nos journées et plus encore, nous sociabilise, nous permet de rencontrer des personnes.
Une enquête qui tente d’apporter des solutions face à l’abandon des jeunes
La jeunesse ouvrière chrétienne ne s’arrête pas seulement aux chiffres et transmet par cette enquête des propositions dans le but de sortir les jeunes de l’abandon qu’ils subissent au sein de la société.
La JOC souhaite des améliorations dans le domaine de l’emploi. Il faut en créer d’avantages mais surtout accompagner les jeunes sans emploi d’une meilleure manière. Cet accompagnement passe notamment par Pôle emploi ou la mission locale dont la JOC souligne le manque de moyens qu’ils possèdent pour accompagner au mieux les jeunes vers l’emploi et la formation.
Face au manque de perspectives et au sentiment d’absence de choix évoqués par les jeunes, la JOC juge nécessaire pour les organismes d’orientation ou d’insertion professionnelle et les établissements de formation de créer du lien entres eux. En 2018, la DARES constate que 938 000 jeunes de 16 à 25 ans ne bénéficiaient d’aucun emploi ni formation qu’elle soit scolaire ou professionnelle (1).
Le plan régional d’insertion pour la jeunesse mis en place en Avril 2018 a pour but d’accompagner les jeunes qui se sentent isoler en les contactant où en allant les voir directement afin qu’ils puissent trouver du travail ou se lancer dans une formation.
Valoriser les jeunes et les accompagner dans leurs démarches
« De tous les coins du monde, les jeunes du Quart Monde réclament d’être considérés » disait Joseph Wresinski. La jeunesse occupe en effet une place non négligeable dans le combat d’ATD Quart Monde qui a d’ailleurs lancé le réseau Wresinski jeunesse en 2018.
Romain, coordinateur du réseau explique que « l’objectif est de partir ceux qui sont les plus exclus et les plus à la marge dans le but de pouvoir toucher un plus grand nombre de jeunes à travers différentes propositions » ceux qui, comme le souligne la JOC ont des difficultés à se projeter ou à former un projet et ceux dont l’intégration à la société est éprouvante.
Malgré le plan régional d’insertion pour la jeunesse qui concerne seulement l’île de France, l’aide de l’État est encore insuffisante. Les jeunes ne sont pas accompagnés assez longtemps pour avoir le sentiment de se sentir valorisés. Ce que souhaite ATD Quart Monde, c’est qu’ils puissent bénéficier d’un accompagnement précis afin de définir un projet qu’ils auront choisi et où l’échec ne serait pas éliminatoire. L’accompagnateur devra bénéficier de temps dans le but de créer un lien durable avec le jeune qu’il suivra.
Thomas Rigollet
(1) Les jeunes ni en études, ni en emploi, ni en formation (NEET) : quels profils et quels parcours ?, DARES, 2020