Près de 70 événements ont eu lieu partout en France pour la Journée mondiale du refus de la misère, dédiée cette année à la lutte contre la maltraitance sociale et institutionnelle. De Dunkerque à Toulouse en passant par Reims, Paris, Caen, Brest ou encore Lyon, des personnes directement concernées par la pauvreté se sont exprimées sur les conditions indignes qu’elles vivent, sur leurs résistances quotidiennes et leurs aspirations.
“Ce que nous avons en commun, c’est de refuser de rester sans rien faire, de refuser que des femmes et des hommes soient humiliés, considérés comme des numéros ou comme des citoyens de seconde zone, et que leur présent et leur avenir soient cassés. Ce que nous avons en commun, c’est de croire qu’on peut agir face à cela, et d’essayer de le faire, avec nos forces, avec nos sincérités.” Ce sont les mots des membres du collectif Refuser la misère réunis le 17 octobre à Caen. Place Saint-Pierre, les passants ont pu découvrir une exposition composée de 45 témoignages de maltraitance institutionnelle, ont été invités à dialoguer. Ils ont également pu ajouter à l’exposition leur témoignage sur cette maltraitance institutionnelle qui enfonce celles et ceux qui vivent déjà dans la pauvreté, sur ce qu’elle engendre en termes de peurs, de souffrances, mais aussi en termes de combats et de résistance.
La journée a été clôturée par une prise de parole forte et commune des membres du collectif, dont ATD Quart Monde, ASTI 14, Habitat et Humanisme Calvados, la Cimade Caen, le CDAD 14 et le Secours Catholique Caen et un appel à l’action entrecoupé d’interludes musicaux offerts par des musiciens et la chorale Les chaos du cœur.
“L’indifférence est violence”
Cet appel à l’action contre la maltraitance institutionnelle et sociale a résonné un peu partout en France, et dans le monde. “Nous sommes inquiets et en colère. Les responsables politiques de notre pays ne prennent pas du tout la mesure de la situation qui est dramatique pour des millions de personnes. Inquiets et en colère de voir sans cesse montrées du doigt, stigmatisées, discriminées, ces millions de personnes qui ont le courage de tenir au quotidien en ayant à peine de quoi survivre“, a ainsi affirmé la présidente d’ATD Quart Monde, Marie-Aleth Grard, sur l’esplanade du Trocadéro à Paris. Sous une pluie battante, les passants ont eu l’occasion d’en savoir plus sur la maltraitance institutionnelle dans différents stands et à se plonger dans un labyrinthe humain proposé par Le bruit qui court, un collectif d’artistes, activistes et “artivistes” engagés pour mettre l’art au cœur de l’engagement pour la justice sociale et écologique.
Bénévole de l’association La Cloche, Junior Dane a témoigné de son expérience de vie dans la rue : “Plus que le froid, la faim, l’insécurité, c’est le regard des autres qui a été pour moi une vraie souffrance et une injustice. Pendant des mois, j’ai pris chaque jour le métro sur la ligne 13 pour aller manger à la soupe populaire. Pendant des mois, chaque jour, j’ai été confronté au regard des passagers de la rame de métro.[…] J’ai ressenti le malaise vis-à-vis de ces gens qui n’arrêtaient pas de faire comme si je n’existais pas : je me suis senti nul ! Je ne servais à rien, je n’étais plus personne. J’avais honte”. Il a également souligné l’importance d’agir ensemble pour faire changer les choses. “Grâce à des rencontres, grâce à des personnes qui ont accepté de me regarder et de me voir, j’ai réussi à me relever et à avancer. […] Mais croyez-moi : l’indifférence est violence ! La misère est violence et c’est notre affaire à tous !“
Un même message d’espoir a été porté par Claire Heiring, membre de L’Archipel des sans-voix en Alsace. “Si je suis ici parmi vous aujourd’hui c’est pour proclamer haut et fort que la force du collectif et la connexion avec les humains ont été autant d’outils à ma reconstruction ! À ce jour je n’envisage plus ma vie autrement qu’à vouloir partager, échanger, apprendre et transmettre avec les autres. La route est bien plus belle à plusieurs.”
À plus de 9 000 km de Paris, sur le Parvis des droits de l’Homme et la laïcité à Saint-Denis de La Réunion, de nombreux militants Quart Monde ont également pris la parole. “Je suis enceinte et sans domicile. Plusieurs fois j’ai été contactée par mail, par téléphone, et reçue sur place par beaucoup d’organismes qui travaillent pour l’attribution de logements sociaux. Je me suis accrochée à leurs promesses, je suis sans cesse suspendue au téléphone. J’ai répondu à plusieurs convocations mais je butte sur des contradictions des professionnels et je les écoute se renvoyer la balle“, a ainsi témoigné l’une d’entre elles. Plusieurs ateliers ont par ailleurs été organisés pour les enfants, autour des livres et de la création d’histoires.
Les villes de Brest et de Nantes ont inauguré une réplique de la dalle en l’honneur des victimes de la misère. À Brest, une “flashmobilisation” a été organisée place de la Liberté sur le thème “J’ai rêvé d’un autre monde“, avec 200 personnes. À Nantes, c’est en chansons que les membres du collectif ont défilé dans les rues, avant d’inaugurer la dalle.
Explorer grâce au théâtre la maltraitance institutionnelle
Cette Journée mondiale du refus de la misère a également été l’occasion de mettre en avant les talents artistiques des membres des différentes associations. Outre les chorales et les ateliers créatifs, plusieurs groupes locaux ont choisi de présenter des pièces de théâtre. À Laval, les spectateurs ont plébiscité la pièce “Le procès de Marie Josiane Tiquao“, adaptation du récit autobiographique Vivante et debout de Marie-Josiane Tiquao.
À Boulogne-sur-Mer, le collectif réunissant une douzaine d’associations de solidarité, à l’initiative du groupe local d’ATD Quart Monde, a décidé de choisir la voie du théâtre pour explorer le thème de la maltraitance institutionnelle, avec la participation artistique de Benoît Devilliers, metteur en scène de la compagnie “la Femme et l’Homme debout”. Plusieurs saynètes ont été présentées, sous forme de théâtre-forum, à partir des témoignages de personnes en situation de pauvreté. Les militantes et militants Quart Monde de La Flèche aussi ont présenté des saynètes, puis, dans la soirée, des membres de la troupe “Nous sommes ceux” ont diffusé leur court-métrage.
À Clermont-Ferrand, la Maison Nelson Mandela a notamment accueilli Martine Le Corre pour une conversation autour de son livre Les miens sont ma force, puis un spectacle de slam, composé et interprété par des jeunes mineurs étrangers non accompagnés, des lycées du lycée Godefroy de Bouillon et des jeunes du quartier La Gauthière.
À Roanne, les passants ont été invités à réagir à une phrase : “Quand on est pauvre, on n’a pas accès aux services comme les autres. Vrai ou faux” et cela a donné lieu à de nombreux échanges.
Un jeu pour dénoncer les inégalités
Le jeu Passe ou Trappe, créé par l’équipe Mobilisation d’ATD Quart Monde, a par ailleurs été testé avec succès à Paris, Rouen, La Mure ou encore à Lyon. Ce jeu a pour objectif de dénoncer les inégalités de traitement et d’accès aux droits ainsi que de sensibiliser l’opinion publique à ce sujet. Les joueurs évoluent sur un plateau représentant le parcours administratif des usagers et usagères des services publics et se plongent ainsi dans les interactions quotidiennes avec ces institutions. S’ils ont de la chance, ils expérimentent le cheminement d’une personne non précaire dans le couloir des institutions… Sinon, ils sont confrontés à la réalité des maltraitances institutionnelles pour les personnes en situation de pauvreté, rédigées dans ce jeu à partir de témoignages réels.
Les membres du Comité International 17 Octobre étaient quant à eux à Dakar, au Sénégal, pour une table ronde sur le thème “Je suis né – J’existe – Ajoutez-moi à la liste“, afin de mettre en lumière la situation de millions de personnes dans le monde qui subissent les conséquences de l’absence d’acte de naissance ou de document d’identité.
Que ce soit dans plus de 60 villes françaises, mais aussi à New York, Sofia ou Manille, la Journée mondiale du refus de la misère a permis à des milliers de personnes de partager leurs engagements et leur conviction qu’un autre monde est possible.
Photo : Le 17 octobre à Grenoble. © Bernard Vidal
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