Représentant d’ATD Quart Monde au sein du collectif Alerte et co-rédacteur du rapport publié avec le Secours catholique et Aequitaz « Premier bilan des expérimentations RSA : 4 alertes pour répondre aux inquiétudes des allocataires », Henri Simorre détaille les inquiétudes du Mouvement concernant la généralisation de la réforme du RSA conditionné à partir du 1er janvier 2025.
Que va changer la généralisation de l’expérimentation du RSA conditionné à partir de janvier ?
La généralisation prévue par la loi Plein Emploi prévoit un « accompagnement rénové » du RSA, avec notamment l’obligation d’inscription à France Travail, anciennement Pôle emploi, pour l’allocataire du RSA et ses ayants-droits, et l’obligation de signer un contrat d’engagement avec des heures d’activité. Ce contrat, signé normalement rapidement après un entretien d’orientation, prévoit de conditionner le versement du RSA à des heures d’activité et à une mobilisation.
Plusieurs décrets sont encore attendus et cette généralisation reste encore assez floue, notamment sur la question de la sanction qui serait la suspension du RSA. Quelles seront les exemptions prévues pour les heures d’activité ? Dans quelle condition s’exécuterait la suspension dite « remobilisation » ?
Le gouvernement aurait dû attendre un bilan complet des expérimentations, pour prendre le temps de se rendre compte de ce que cela signifie réellement d’offrir à chaque personne 15h d’activité de manière structurée et structurante. Nous avons des inquiétudes sur ces heures d’activité, sur l’orientation automatique des allocataires avec un algorithme, et sur la suspension et la radiation.
Quel premier bilan tirez-vous de l’expérimentation ?
Les expérimentations concernaient 18 territoires au début et 47 aujourd’hui, soit 42 000 personnes suivies. Il y a aujourd’hui en France 1,9 million d’allocataires du RSA et, si on compte les ayants-droits, cela doit faire 3 millions de personnes. Ce n’est donc pas la même échelle.
Dans les territoires ayant mené l’expérimentation, des moyens renforcés ont été mis en place. Cela a permis un accompagnement resserré, avec notamment des prises de contact très rapides entre les allocataires et France Travail. Mais les moyens ne pourront être équivalents sur tout le territoire, une fois que le dispositif sera généralisé. D’autant plus que France Travail perd 500 postes dans le projet de budget pour 2025. Ces expérimentations ne sont donc le reflet que de quelques territoires, d’une petite partie de la population, avec des moyens qui peuvent être jugés aujourd’hui considérables par rapport à ce qu’il y aura dans la réalité.
L’expérimentation pose aussi la question des 15 heures d’activité. La majorité des territoires n’ont pas réussi à proposer ces 15 heures. La plupart du temps, on voit qu’il s’agit d’heure dites « en autonomie ». Cela signifie que c’est à l’allocataire de déclarer qu’il ou elle a passé 3 heures dans la journée sur sa recherche d’emploi. Ce sont des heures déclaratives, peu efficaces. Les heures utiles et réellement efficaces sont très réduites. Pourtant, ce qui facilite le retour à l’emploi, c’est le fait d’avoir un stage en entreprise ou une formation professionnelle, des projets construits et formalisés. Sur certains territoires, l’offre est très maigre.
Il y a par ailleurs une forme de bricolage autour de ces 15 heures d’activité. Elles sont parfois très intrusives dans la vie des personnes, installent un contrôle social. Donc, si cela ne permet pas vraiment un accès à l’emploi, le système va tourner un peu à vide au bout d’un certain temps. A ATD Quart Monde, nous considérons par ailleurs que c’est insupportable de conditionner des moyens convenables d’existence à des heures d’activité. On n’est pas obligé de conditionner le RSA à des heures d’activité pour faire un meilleur accompagnement.
On voit en outre que le retour à l’emploi durable, c’est-à-dire de plus de six mois, est assez limité, autour de 17 %. Ce n’est pas plus probant que d’autres dispositifs d’accompagnement. On peut donc s’interroger sur l’intérêt de faire une machine à conditionner le RSA à tant d’heures d’activités par semaine pour un résultat de retour à l’emploi faible.
Le ministère du Travail affirme vouloir, par cette réforme, sortir des allocataires du RSA : s’ils sortent par l’emploi, peut-être tant mieux, mais s’ils sont radiés parce qu’ils sont un peu désespérés, parce que ce contrôle leur paraît trop lourds, ils ne seront alors plus allocataires du RSA, se retrouveront dans une plus grande pauvreté encore et, peut-être, sans aucune confiance dans les services publics, ce qui est catastrophique.
Que demandez-vous aujourd’hui ?
Nous demandons la suspension de la généralisation et un rapport d’étape transparent des expérimentations. Certaines ont été mises en place très tardivement et le ministère du Travail lui-même admet qu’un premier bilan exhaustif ne peut être fait avant la fin du premier semestre 2025. Nous sommes donc surpris que, sans bilan, la généralisation se fasse, malgré les conséquences que cela peut avoir sur des milliers de personnes.
ATD Quart Monde défend l’accès à des moyens convenables d’existence, à un revenu minimum garanti. On demande un accompagnement déconnecté du versement des allocations et qui ne soit pas conditionné à quoi que ce soit.
Je suis surpris de voir les termes utilisés autour de ce nouveau contrat d’engagement qui renvoie la responsabilité de la situation aux personnes : comment levez-vous vos freins financiers, vos problèmes de mobilité, vos contraintes familiales ? Ce sont les termes qu’on retrouve dans ces contrats. C’est à la société, aux territoires d’apporter des solutions adaptées. Il y a une réelle pression sur les plus pauvres, alors que la société toute entière devrait apporter des réponses. Est-ce vraiment la société que l’on veut ?