Laurent Bougro et Mouloud Ouchen, deux militants Quart Monde de Toulon et Marseille, ont écrit au Journal d’ATD Quart Monde pour partager ce qu’ils pensent de la situation sanitaire et sociale actuelle.
Leur texte retrace le dialogue qu’ils ont eu avec Sophie Oddo, volontaire permanente. Au-delà de la façon dont ils ont vécu cette période, ils ont voulu partager ce dialogue entre deux militants d’âge différent, pour dire qu’il leur semble important que les générations travaillent ensemble dans le Mouvement pour délivrer des messages communs.
Mouloud : Je me sens mieux que pendant le premier confinement où j’étais dans la solitude. La fac est ouverte. Je peux voir mes camarades face à face. Lors du premier confinement, il n’y avait pas de boulot. Là, j’avais un petit boulot dans un restaurant, mais ça s’est arrêté. Je n’ai plus de ressources.
Laurent : Nous ne sommes plus libres et nous tournons comme si nous étions en cage. On s’ennuie. On se sent en prison, à part qu’il n’y a pas de barreaux. Bientôt, il faudra une attestation pour aller aux toilettes ! La liberté est brisée. On ne va pas mourir du Covid, mais de l’ennui et d’étouffement par ce masque. Et peut-être que certains meurent de faim.
Mouloud : C’est plus l’incertitude sur le futur qui pose problème. On a le sentiment qu’on nous ment. Ce que je vois des débats à l’Assemblée nationale, c’est des députés dans des attitudes vraiment pas sérieuses.
Laurent : On a l’impression que le gouvernement ne sait pas où il va. Pour les gens en grande précarité, c’est un vrai marathon pour les démarches administratives. Tout le monde n’a pas Internet et sait se servir de cet outil qui devient une priorité pour les démarches. Et puis 135 euros d’amende, c’est un sacré trou dans le budget ! C’est exagéré.
Sophie : Pensez-vous que ces confinements feront évoluer la société ?
Laurent : Ça ne fera rien changer. On va juste se faire taxer pour rembourser tous ces milliards qui sont dépensés. Il ne faut pas croire que l’Union Européenne nous a donné des sous gratis.
Mouloud : Comme beaucoup de personnes seront touchées par la pauvreté, j’espère qu’il y aura des soulèvements populaires pour changer notre manière de vivre. Avec le confinement, on ne peut plus cacher la misère. J’aimerais qu’on casse le système libéral basé sur l’argent, revenir au troc, à des échanges de services.
Laurent : T’es carrément anarchiste ! Tu aimerais vivre à l’ancienne. Le système est comme ça.
Mouloud : Il faut arrêter de dire “c’est comme ça”. Il faut se soulever ! Si on en est là, c’est que les gens se contentent de leur confort, leur travail, leur maison. J’aimerais éveiller la conscience des gens. On est des esclaves modernes. On travaille pour gagner un peu d’argent et acheter des choses pas utiles. Le bonheur, c’est pas ça. J’ai quitté mon pays pour venir ici, travailler et gagner de l’argent. J’ai raté des choses qui se sont passées au pays, des moments avec ma famille. Le bonheur c’est aussi ça. Le métro, boulot, dodo, c’est pas la liberté.
Laurent : L’argent ne fait pas tout. Le bonheur, c’est dans les petites choses. Un café en terrasse sur le Vieux-Port, c’est du bonheur.
Mouloud : Même si les jeunes sont touchés par ce qui se passe en ce moment, s’il ne leur arrive pas de coup dur, ils ne bougeront pas. J’aimerais qu’ils ne s’endorment pas une fois le confinement fini.
Laurent : Alors, avançons ensemble pour changer le monde et casser tous nos mauvais automatismes qui sont ancrés en nous. Avançons aussi avec les personnes qui vivent la pauvreté : on a des choses à dire pour changer la société. Il ne faut plus se contenter d’un “réveillez-vous”, mais crier à tout le monde “agitez-vous !”.
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Cet article est extrait du Journal d’ATD Quart Monde de janvier 2021.
Photo : Laurent Bougro et Mouloud Ouchen à Marseille. © Sophie Oddo, ATD Quart Monde