La chronique de Bella Lehmann-Berdugo
Los Lobos
Samuel Kishi Leopo. Mexique. Fiction. VOST. 19 janvier.
Coup de cœur. Max, 8 ans, et Léo, 5 ans, fraîchement arrivés du Mexique au pays de Disney. Seuls tout le jour dans un studio nu et insalubre, tandis que leur mère court après le travail au dehors, ils observent leur nouveau monde par la fenêtre. Ils écoutent la voix maternelle sur un magnétophone : consignes, mots d’anglais. Ils dessinent, inventent, rêvent de Disneyland. Tout est senti, y compris les incompréhensions, à hauteur de petits « loups ». Leur temps est long, pas le nôtre, car la magie opère.
Ouistreham
Emmanuel Carrère. Fiction. France. Inspiré du livre de Florence Aubenas. 12 janvier.
À Caen, pour expérimenter par elle-même le quotidien de femmes de ménage précaires sur un ferry, l’écrivaine Marianne Winkler arrive, incognito. L’amitié, la confiance naissent avec ce commando d’invisibles en gilets oranges. Les pièges de l’embauche, les combinaisons d’horaires, les quatre minutes par chambre multipliées par 230 chambres, tout y est. Mais entre la « fausse » travailleuse qui ment, et ne fait que passer, et celles qui restent à quai, il y a un monde, parfois amer, toujours lucide.
Vitalina Varela
Pedro Costa. Fiction. Portugal. VOST. 12 janvier.
Sans nouvelles depuis 20 ans, Vitalina débarque du Cap Vert à Lisbonne, sur les traces de son homme, émigré ici. Il vient de mourir. Elle entame alors un impressionnant trajet intérieur. Une lumière somptueuse. Il faut entrer dans les silences, les lenteurs pour faire sortir de l’ombre des êtres relégués au bas-fonds d’une ville. D’après une histoire vraie.
Placés
Nessim Chikhaoui. France. Fiction. 12 janvier.
Elias, éducateur, découvre une maison d’accueil d’adolescents, avec son naturel et ses maladresses. Un film réaliste qui montre les difficultés et les joies des « éducs » et des enfants placés.
Mes frères et moi.
Yohan Manca. Fiction. France. Librement inspirée de la pièce de théâtre “Pourquoi mes frères et moi on est parti” (Hédi Tilette de Clermont-Tonnerre). France. 5 Janvier 2022.
Nour a 14 ans. Il s’élève un peu tout seul car sa mère est gravement malade et ses trois frères occupés à diverses affaires, auxquelles il est destiné à participer un jour prochain. Dans son collège, il rencontre une professeure de chant qui répond à sa passion pour le chant lyrique : « c’est en toi, ça peut te donner de la force ». L’ambiance d’une cité de banlieue (lieu indéterminé), la puissance d’une fratrie avec ses violences et sa chaleur sont dépeintes avec authenticité et un grand naturel. Encore une fois la pratique artistique ou culturelle comme levier social.
Luzzu
Alex Camilleri. Fiction. Malte. VOST. 5 janvier 2022
À Malte, Jesmark pêche à bord du Luzzu traditionnel, comme son père et ses ancêtres l’ont toujours fait. Père moderne et attentif, conjoint tourmenté, il survit avec peine face à la pêche industrielle. Un dilemme senti avec finesse entre les anciens, les « sirènes » du marché noir et les incitations de la CEE, le tout dans un pays assez méconnu au cinéma.
Little Palestine, journal d’un siège
Abdallah Al-Kahtib Documentaire. Liban/France/Quatar. VOST.12 janvier 2022
Yarmouk (district de Damas) en Syrie devenu immense camp de Palestiniens, assiégés, affamés, par Bachar el-Assad de 2013 à 2015. Un focus particulier sur les enfants -parfois rieurs et joueurs- et les vieillards, ceux qui luttent à la rue ou que visite Oum Mahmoud, infirmière bénévole, mère de l’auteur. Marcher devient un rituel de survie, une ultime liberté. Des incantations poétiques en voix off ponctuent les scènes : « Cherche du sens à tout ça : prends un balai, fais un avion en papier ». L’enfermement prend ici tout son sens.
Residue
Merawi Gerima. Fiction documentaire. États-Unis. VOST. 5 janvier 2022.
Jay est étudiant en cinéma. Il retourne dans son quartier d’adolescence où vivent encore ses parents. Les anciens habitants pauvres, d’origine afro-américaine sont poussés à partir par des investisseurs blancs plus riches. Il ne reconnaît plus rien et ses anciens amis ne le reconnaissent plus comme un des leurs Il n’est pas toujours aisé d’entrer dans ces déambulations particulières. Réalisé collectivement avec les personnes mêmes du quartier.
À voir également
Exposition des peintures de Yancouba Badji, protagoniste du film Tilo Koto.
À la Galerie Talmart Paris 4ème, 22 rue du Cloître Saint-Merri jusqu’au 29 janvier 2022.
En parallèle du film documentaire Tilo Koto de Sophie Bachelier et Valérie Malek, qui raconte le parcours de Yancouba Badji, originaire de Casamance, rescapé de quatre traversées de la Méditerranée depuis les côtes libyennes. Il échoue en Tunisie où il peint les murs de sa chambre de réfugié. (Voir chronique de décembre 2021)
Pour suivre la programmation du film ou organiser une projection, contact : adrien@25eheure.com ou 06 40 88 46 56
Les personnages de Yancouba Badj ne sont pas des migrants, mais des « voyageurs » ou des « camarades ». Leurs corps tordus, mêlés, presque dansants, flottent dans des camaïeux de bleu, blottis les uns contre les autres, ou bien progressent à marche forcée dans le désert. Il y a aussi la prison libyenne, le mariage forcé, les marabouts. Leurs grands yeux semblent exprimer parfois l’étonnement, l’incrédulité. La douceur qui se dégage des regards, des couleurs, contraste avec la violence des sujets. On est sous le choc au sens propre. L’un des premiers témoignages artistique de ces « voyages ».
Pour suivre l’actualité de l’exposition : contact@sophiebachelier.com
De retour au Sénégal, aidé par des associations et par les réalisatrices,Yancouba Badj. commence la construction du centre Tilo Koto, (“Sous le Soleil »), lieu d’information, de pratiques artistiques, de formation aux métiers, pour les jeunes.
© Yancouba Badji, adagp 2020 © Photographie Sophie Bachelier, adagp, 2020
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