À Bordeaux, l’équipe de la Bibliothèque de rue se mobilise pour les familles évacuées de la « Zone libre »

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Depuis 2019, plusieurs membres d’ATD Quart Monde à Bordeaux accompagnaient les familles du squat de la « Zone libre » évacué le 11 février. Tous se préoccupent désormais de l’avenir de ces familles et tentent de garder un lien avec elles.

“Cela fait près de quinze jours que tout le monde est sur le pont et rien n’avance, rien n’est entendu par les pouvoirs publics”, se désole l’équipe d’ATD Quart Monde de Bordeaux. Laurence, Gisèle, Fabienne, Joëlle, Christian, Christine, Brownie, Marie-Claire, Eva et Hélène, alliés et militants Quart Monde, sont encore sous le choc de l’évacuation du squat Ramadier, à Cenon. Dans cette ancienne résidence pour personnes âgées vivaient 80 familles, avec 110 enfants, soit près de 300 personnes.

Les membres de la Bibliothèque de rue d’ATD Quart Monde y intervenaient depuis 2019. Tous se souviennent de “l’accueil formidable” qui leur avait été réservé par ces familles d’origine albanaise, géorgienne, arménienne, mongole, syrienne, nigériane, marocaine… Depuis la rentrée, ils participaient également aux assemblées générales du squat, avec le collectif qui gérait l’endroit.

« Un travail de fourmi »

Mais le 10 février dernier, l’équipe est prévenue de l’évacuation imminente de ce que tous appelaient désormais la “Zone libre”. Le lendemain matin, “arrivée à 5h sur place, je n’y croyais pas”, affirme Joëlle. Devant le squat stationnent alors neuf cars de police et six bus pour emmener les familles dans neuf villes de la Nouvelle-Aquitaine, dont Limoges, Guéret et Angoulême. Le collectif qui gère le squat avait fait en sorte que les enfants, ainsi que les personnes faisant l’objet d’une Obligation de quitter le territoire français (OQTF) soient absents au moment de l’expulsion. “Il n’y a pas eu d’enquête sociale avant pour connaître la réalité que vivent les familles et réfléchir à leurs besoins en termes de lieu d’habitation”, déplorent les membres de l’équipe.

Beaucoup d’habitants du squat travaillent dans les environs ou ont réussi à maintenir leurs enfants à l’école, même si cela nécessite de longs temps de trajet. Ils ne sont donc pas prêts à se retrouver, du jour au lendemain, à plus de 200 km. Seules 56 personnes acceptent de monter dans les bus. Les autres sont dispersées, alors que la trêve hivernale est en vigueur. Commence alors un “travail de fourmi pour se reconnecter avec les familles”, expliquent-ils.

Quelques familles sont hébergées à Darwin, lieu alternatif sur la rive droite de Bordeaux, dans une ancienne caserne désaffectée. D’autres trouvent refuge dans un gymnase proposé par la mairie de Bordeaux, mais cela ne dure que quelques jours. D’autres encore sont accueillies dans des squats de la métropole bordelaise ou hébergées chez des citoyens solidaires. Une tentative d’occupation d’un ancien centre pour enfants malvoyants à Mérignac, propriété du Conseil départemental de la Gironde, se solde par une nouvelle évacuation, vécue douloureusement par tous.

Sentiment d’impuissance

Grâce à leur proximité avec les familles, l’équipe d’ATD Quart Monde parvient à garder des liens, aux côtés des membres du comité de soutien. Depuis le jour de l’expulsion, une alliée héberge ainsi une des familles du squat. “Le couple est courageux et volontaire, malgré les risques. La maman travaille de 6h à 10h pour faire des ménages. Le papa part à 6h le matin, se met dans la file d’attente où des ouvriers sont pris pour aller sur les chantiers. Il rentre à 19h. Ils ont deux enfants en bas âge. La grand-mère vient les garder quand les parents sont au travail”, détaille-t-elle. Cela fait 7 ans qu’ils sont en France. “Aujourd’hui, notre priorité est de leur trouver un logement pérenne, mais il faut une caution et des garanties. Et chaque fois que je donne des détails sur la famille, les propriétaires fuient en courant. Mais je garde espoir et, en attendant, on essaie de cohabiter et on apprend beaucoup les uns des autres”, souligne l’alliée.

Une autre mère de famille albanaise “ne comprend toujours pas cette évacuation. Elle était bien insérée ici. Elle a été bénévole chez Emmaüs dans le quartier de Bacalan et elle a déjà travaillé auprès des personnes âgées. Pour elle, s’éloigner c’est tout recommencer à zéro. Elle parle pas mal français et dit son plaisir d’avoir planté son petit jardin, d’avoir découvert avec plaisir la capacité de s’entendre tous malgré les différentes langues et cultures”, raconte Joëlle, qui ne peut cacher son émotion face à cette situation. “Je me sens quand même impuissante devant cette force écrasante de la préfecture”, dit-elle.

« Trop de stress »

Pendant les vacances scolaires, les animateurs de la Bibliothèque de rue passent quasiment tous les jours à Darwin pour proposer des activités aux enfants, puis le mercredi et le samedi depuis que l’école a repris. Au milieu des ateliers de coloriage et des livres, c’est aussi l’occasion de parler avec les plus grands, ainsi qu’avec les parents. “Une lycéenne cherchait un ordinateur pour travailler. Nous avons échangé un peu, elle s’inquiétait de savoir si elle allait pouvoir retrouver toutes ses affaires pour reprendre les cours. Elle pense les avoir, mais elles sont dans une valise et il faut tout défaire”, rapporte Laurence. “Deux mamans m’expliquent qu’elles préfèrent rester à Darwin, même si c’est inconfortable, plutôt que de changer tous les deux jours. C’est trop de stress. Elles sont fatiguées, mais tiennent le coup pour leurs enfants”, ajoute Gisèle.

Très mobilisés, les membres d’ATD Quart Monde sont désormais extrêmement préoccupés par la situation de ces familles à qui sont proposées, au mieux, des solutions d’hébergements d’urgence, temporaires et souvent solidaires, alors que toutes aspirent à la stabilité.

 

Photo : Une manifestation à Bordeaux avec le collectif et les familles en octobre, alors que le squat de la Zone libre avait déjà été menacé d’expulsion. © F.L., ATD Quart Monde

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