Membre de la délégation nationale d’ATD Quart Monde, Geoffrey Renimel raconte sa Journée mondiale du refus de la misère, qu’il a passé à Nantes.
Quand on passe le portail de la Fraternité, la Frat’ comme on dit ici, on se sent d’emblée accueilli. Le lieu respire la convivialité et la tolérance. À l’intérieur, ça s’affaire pour installer les tables et les chaises pour accueillir celles et ceux qui vont faire vivre la Journée mondiale du refus de la misère. Ce point de rendez-vous avait été donné pour manger ensemble avant de se lancer dans une déambulation musicale dans le centre de Nantes. Marina fait les présentations, elle connaît tout le monde. Je discute un peu avec le président de la Frat’, Luc, qui m’explique à grand trait à quel point la pauvreté a explosé ces dernières années à Nantes. La Frat’ accueille de nombreuses personnes sans domicile fixe. Les bénévoles arrivent au fil de l’eau. Pour certains, c’est la première fois qu’ils participent à la Journée mondiale du refus de la misère. Ils ont cette légère timidité de celles et ceux qui découvrent. D’autres, comme Agathe, membre d’ATD Quart Monde, sont des habitués de longue date de cette mobilisation.
À table, je discute avec Catherine et Caroline. La première me raconte les ateliers informatiques qu’elle anime. Elle est en première ligne de la fracture numérique et se désole de la dématérialisation qui plonge de nombreuses personnes dans le désarroi et les empêche d’accéder à leurs droits.
Dominique, l’un des artisans de cette mobilisation, arrive avec des chasubles roses sur lesquelles il est écrit en gros «17 octobre – Refus de la misère ». Le message est clair et il faut le porter fièrement. Le groupe a également préparé des petites phrases à accrocher sur la chasuble pour interpeller les passants. On peut y lire : « La misère recule là où les êtres humains s’unissent pour la détruire » ou « Construisons un monde avec et à partir des plus exclus ».
Une déambulation musicale pour refuser la misère
Sitôt le café avalé, le groupe qui a prévu de chanter pendant la déambulation se retire dans une petite salle pour une dernière répétition. Moi qui ne suis pas chanteur, me voilà embarqué avec joie dans la chorale. Au fil des chansons, la voix se fait de plus en plus affirmée, un peu à l’image de la Journée qui cherche à donner la parole à celles et ceux que l’on n’écoute jamais.
Branle-bas de combat, il est temps de partir pour être à l’heure pour le début de la déambulation. La joyeuse troupe se met en marche vers le tram, direction le centre-ville de Nantes. Dans le tram, les gens ont un regard en coin mi-intrigué, mi-agacé. Certains de notre bande distribuent quelques tracts et expliquent le sens de cette journée. Sur la place du Commerce, notre troupe est rejointe par d’autres personnes et notamment la chorale Au clair de la rue, composée principalement de personnes qui connaissent ou ont connu la rue. La banderole est déroulée avec un grand « Journée mondiale du refus de la misère », la déambulation peut commencer.
Premier arrêt place Royal. Les musiciens s’installent, les chanteurs aussi, on ne sait pas trop qui doit lancer le top départ mais ce n’est pas grave. Soudain quelques notes d’accordéon retentissent, rapidement rejoint par les guitares et les voix. On chante « L’Auvergnat », « Lili »… Aux terrasses des cafés, on observe, peut-être qu’on se questionne. Après quelques chansons, le groupe se remet en route pour la Place du change. L’installation est un peu chaotique mais peu importe, on chante ensemble et c’est le principal. Dernier arrêt place Bouffay au milieu des cafés et surplombée par la statue de l’Éloge du pas de côté. L’équipe commence à être rodée, des passants s’arrêtent, écoutent un peu et puis s’en vont. En marchant vers le square Elisa Mercoeur où sera installée une stèle du refus de la misère, un jeune qui semble vivre à la rue nous interpelle « Merci, merci à vous! ». Certains répondent en l’invitant à nous rejoindre. Il attrape son sac et nous suit jusqu’au square à deux pas de là. Il y a déjà du monde qui nous attend. Des gens de la mairie, des gens de différentes associations et des curieux. Ça discute, ça se retrouve, la plaque est dissimulée par un drap bleu. Un petit podium a été installé à côté pour les prises de parole.
La misère n’est pas une fatalité
La chorale débute ses dernières chansons avant les prises de paroles. Caroline et André rappellent la genèse du Collectif nantais du refus de la misère. Dans leurs mots, on sent des résistants de longue date à la misère. Dominique prend la suite pour rappeler le sens de cette journée et pourquoi elle est importante. Il martèle « la misère est une violation des droits humains fondamentaux, elle n’est pas fatale, et peut être combattue et vaincue comme l’ont été l’esclavage et l’apartheid ». C’est ensuite Agathe qui s’avance vers le micro pour partager des tranches de vie sur la maltraitance institutionnelle, notamment de personnes qui ne pouvaient pas être là. D’une voix affirmée elle parle de « Monique, qui fait le ménage la nuit dans les TGV et qui loue un box en sous-sol sans eau ni électricité », des difficultés avec l’ordinateur, « c’est l’angoisse si on fait une erreur ou si on ne comprend pas parce que les questions sont incompréhensibles », ou de la « loterie du 115, espoir d’une nuit à l’abri qui fait survivre ou pas ».
À côté de la scène, le jeune qui vivait à la rue et qui nous avait suivi écoute. Il interpelle « Et vous, vous avez déjà été à la rue ? ». Catherine reprend le micro, elle partage l’histoire de Jordan, 26 ans, mort de la rue il y a peu. « À l’hôpital, quand ils ont fait les examens, il avait un cœur d’une personne de 80 ans, ce n’est pas normal». « Moi je le connaissais bien Jordan », souligne en aparté le jeune. D’un signe de pouce, il nous remercie de parler de son ami, de ne pas l’oublier.
Les discours institutionnels s’enchaînent jusqu’au moment où la maire de Nantes, Johanna Rolland dévoile la stèle du refus de la misère, engagement de toute une ville dans un combat. La chorale entame sa dernière chanson, « Tout va changer » de Michel Fugain, pendant que des membres de l’assemblée viennent déposer des roses en l’honneur de celles et ceux qui sont morts de la pauvreté à Nantes en 2023 et 2024.
Les uns et les autres commencent à remballer, mais ceux qui restent reviennent sur ce qui vient d’être vécu. Nul doute que ce fut un moment fort des dix ans du Collectif nantais du refus de la misère. Tout le monde ressort avec une énergie nouvelle pour se battre tout au long de l’année. Geoffrey Renimel
Photos : Journée mondiale du refus de la misère 2024 à Nantes. © Bruno Ignace Barbé et Catherine Simon