Samedi 24 mai 2025, à Sciences Po Lyon, s’est tenue une séance publique de l’Université Populaire Quart Monde sur le thème « Droits et pauvreté ». Près de 180 personnes, venues de toute la France, ont participé à cet après-midi de dialogue et de mobilisation et ont partagé leurs réflexions et leurs expériences en présence de deux invités : Claire Hédon, Défenseure des droits, et Bruno Rakedjian, membre d’ATD Quart Monde.
Tout au long de l’après-midi, et sur la base des travaux des groupes de préparation, celles et ceux qui vivent la pauvreté et celles et ceux qui veulent agir contre elle ont abordé des questions fondamentales : Qu’est-ce que la pauvreté ? Qu’est-ce que le droit ? Comment agir pour faire valoir ses droits ? Quels types de discriminations la pauvreté entraîne-t-elle ? Les personnes présentes ont rappelé que la pauvreté, ce n’est pas qu’un manque d’argent. Elle est multidimensionnelle, marquée par la privation matérielle (logement, soins, démarches complexes), la souffrance psychologique liée à la peur du lendemain, l’isolement social et institutionnel, la maltraitance dans les services publics.
De nombreux témoignages ont évoqué des refus d’accès à la santé, des discriminations dans la justice ou l’impossibilité de porter plainte. L’un des messages les plus forts de la journée : la pauvreté se subit, elle ne se choisit pas.
Les droits : entre promesse et réalité
Que signifie « avoir des droits » quand ceux-ci sont inaccessibles ? Le constat est sans appel : les démarches sont incompréhensibles ; le numérique exclut de nombreux usagers ; l’égalité devant la loi reste théorique pour beaucoup, notamment les sans-papiers ou les demandeurs d’asile.
Claire Hédon a rappelé que son institution, le Défenseur des droits, est là pour faire appliquer le droit dans tous les domaines : santé, logement, éducation, discriminations, forces de l’ordre. Elle a salué le travail d’ATD Quart Monde et souligné que le droit ne vaut que s’il est effectif, pas seulement inscrit dans les textes.
S’unir pour agir : l’importance du collectif
Une saynète écrite et présentée par un groupe de militants et d’alliés a mis en évidence une stratégie simple et puissante : ne pas rester seul. Pour accéder à ses droits, il faut être accompagné, soutenu, préparé. Cela suppose aussi d’instaurer une relation de confiance avec les institutions et les agents.
Des propositions concrètes ont émergé : créer des postes de médiateurs issus du vécu ; favoriser les traductions et l’aide administrative pour les personnes étrangères ; mieux former les professionnels à l’écoute et à la communication ; Bruno Rakedjian a insisté sur l’importance de l’action collective et structurée : penser à ceux qui n’ont personne pour les accompagner, interpeller les institutions, faire appliquer la loi existante – notamment l’article L115 du Code de l’action sociale.
Discriminations liées à la pauvreté
Les discriminations ont été explorées dans trois domaines clés. La santé, avec les refus de soins pour les personnes à la CMU ou sous curatelle ; le logement avec l’attente interminable pour un logement social, les refus d’hébergement pour des motifs discriminants ; l’éducation avec le décrochage scolaire, la stigmatisation, les inégalités d’accès aux études supérieures.
Des actions ont été proposées : saisir le Défenseur des droits, interpeller les ordres professionnels, mobiliser les citoyens en amont des élections municipales, et participer soi-même à la vie publique. Plusieurs participants ont souligné que la participation politique des personnes concernées est un levier de changement encore trop peu utilisé.
Les enfants prennent la parole
Enfin, les enfants présents ont eux aussi pris la parole pour rappeler leurs droits : aller à l’école, jouer, être protégés, avoir une maison, manger à sa faim, ne pas être jugé pour sa couleur de peau. À travers leurs mots simples, ils ont exprimé des revendications essentielles, en écho aux adultes : les droits ne sont pas des privilèges, mais des fondements pour vivre dignement.
Claire Hédon a salué cette prise de parole, qui rejoint les engagements de la Convention internationale des droits de l’enfant. Elle a également rappelé que le droit au logement est au cœur des préoccupations actuelles, et que le manque de construction de logements sociaux fragilise encore davantage les familles précaires.
Ce qui doit changer
En fin de séance, un échange a été lancé autour de cette question : « Qu’est-ce qui pose encore problème en France aujourd’hui ? », appelant des réponses multiples : racisme, inégalités homme-femme, idées fausses sur les pauvres, manque de moyens pour les services publics, absence de participation réelle des personnes concernées aux décisions.
Claire Hédon a évoqué une inquiétante régression des droits, citant la loi Kasbarian sur les expulsions ou encore la loi conditionnant le RSA à 15h d’activité : « Ces lois ne règlent pas les problèmes sociaux. Elles les aggravent. »
Transformer la société, ensemble
Cette Université populaire Quart Monde a démontré la richesse des savoirs issus de l’expérience. Elle a permis de rappeler que le respect des droits n’est pas un luxe, mais un impératif démocratique. Pour y parvenir, il faut écouter ceux qui en sont privés – et construire avec eux. Christelle Duc