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Revenu universel d’activité : ATD Quart Monde reçoit la ministre des Solidarités Agnès Buzyn

ATD Quart Monde a reçu le 29 août la ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn, et la secrétaire d’État Christelle Dubos à l’occasion d’une Université populaire Quart Monde consacrée au Revenu universel d’activité. Une vingtaine de membres d’ATD Quart Monde, dont 16 personnes vivant ou ayant vécu en situation de pauvreté, ont pu échanger sur leurs réalités quotidiennes, mais aussi leurs réflexions, leurs attentes et leurs craintes quant à la future réforme des minima sociaux.

 

Deux heures de débat intense n’ont pas permis à Agnès Buzyn et Christelle Dubos de répondre à toutes les questions et inquiétudes des personnes engagées au sein d’ATD Quart Monde, mais ces dernières espèrent que la ministre et la secrétaire d’État ont entendu leurs propositions. Dans le cadre d’un séminaire de trois jours des Universités populaires Quart Monde, elles sont venues de Normandie, de Centre-Loire, de Nouvelle-Aquitaine et du Grand-Ouest pour détailler ce que signifie, pour elles, vivre dans la pauvreté, mais aussi mieux comprendre le projet de Revenu universel d’activité voulu par le président de la République.

Engagée dans la concertation autour du RUA lancée en juin dernier, ATD Quart Monde avait exprimé ses craintes de ne pas voir une réelle participation des personnes concernées pour contribuer directement à son élaboration, sa mise en œuvre et son évaluation. « Je suis convaincue qu’il y a des choses qu’on ne voit pas quand on est dans la théorie, notamment les effets pervers de certaines politiques, à quel point on pense bien faire et parfois on fait mal. Donc, je suis profondément à l’écoute de vos retours et de vos besoins, parce qu’on fera mieux avec vous que seuls », a d’emblée affirmé Agnès Buzyn.

« Un combat de tous les jours »

Pour les militants Quart Monde, il était tout d’abord essentiel de lui faire mieux comprendre « l’insécurité quotidienne des plus pauvres ». Et si le stress était palpable avant l’arrivée de la ministre, chacun a su, ensuite, évoquer de manière extrêmement claire ce qui lui tenait à cœur. « Vivre dans la pauvreté, cela veut dire ne plus rien avoir vers le 15 du mois quand on a payé nos factures. On ne peut pas se faire plaisir, faire plaisir à nos enfants, on ne peut rien faire. C’est un engrenage », a souligné Corinne. « Pour moi, c’est un combat de tous les jours. On se bat pour avoir le doit d’être en famille, de ne pas être séparés, placé. Être pauvre, c’est aussi, à l’école, être souvent orienté rapidement vers les classes spéciales », a ajouté Priscilla.

« Quand on est peu qualifié, on se retrouve dans des secteurs d’activité pas forcément choisis et précaires. Les emplois dans l’animation, les services à la personne, la restauration, sont très mal valorisés. Ils font l’objet de contrats spécifiques comme le contrat éducatif d’engagement dans l’animation, rémunéré au forfait : 45 euros la journée travaillée qui s’étale de 8h à 18h30, sans possibilité de prendre une vraie pause, soit moins de 5 euros de l’heure », a expliqué Christelle. « On ne se sent pas encouragé, la société nous cantonne à notre situation et nous fait comprendre qu’on n’est pas capable. Ce n’est pas parce que je suis au RSA ou avec un travail précaire que je reste couchée sur mon canapé toute la journée », a-t-elle ajouté.

« Mes parents étaient pauvres, je suis pauvre et mes enfants aussi sont pauvres. On a le sentiment qu’on n’est pas considéré, qu’on n’a pas d’intelligence non plus », a exprimé Sylvie. « Comme beaucoup, je voyais dans la pauvreté surtout des manques. Ce que j’ai découvert en fréquentant les personnes qui vivent la grande pauvreté à ATD Quart Monde, c’est qu’il y avait aussi, et je dirais presque surtout, la fierté. Une fierté qui est justifiée parce qu’elle est faite de combats, de têtes relevées, avec des vies qu’on ne soupçonne pas », a souligné Joseph. « Vivre dans la dignité, c’est aussi ne pas être considéré tout de suite comme un fraudeur quand la CAF fait des erreurs de calcul. Il faut peut être réorienter le dispositif avec des objectifs de soutien aux gens, plutôt que de chercher à tout prix la fraude et de toujours avoir un regard négatif sur les personnes », a proposé Isabelle.

Pour éviter de refaire des dossiers et de se justifier auprès de nombreux professionnels, Geneviève a soufflé une idée à la ministre des Solidarités et de la Santé : « Nous avons tous une carte vitale. Peut-on imaginer une carte sociale, avec le nom, la date de naissance, l’adresse et, quand c’est utile, faire apparaître le nom et l’âge des enfants, la déclaration d’impôt ? Il faudrait prévoir un lieu et une personne pour actualiser les données et faire en sorte que cette carte soit confidentielle comme la carte vitale. »

Au-delà de la complexité des démarches, les militants Quart Monde ont également pointé l’importance de l’accompagnement. « Je n’avais pas besoin qu’on fasse à ma place, mais j’aurais eu besoin d’un soutien pour ne pas perdre pied. Le soutien des professionnels, c’est important. Il est nécessaire de respecter l’autonomie, la vie privée des gens et d’avoir de la bienveillance envers eux, pour qu’ils se sentent reconnus à part entière », a détaillé Christelle.

Instabilité des aides sociales

Le débat a ensuite porté plus précisément sur le RUA.  Que sous-entend concrètement le terme « activité » ? Quel sera son montant ? Quelles allocations va-t-il regrouper ? Sera-t-il calculé par famille ou individuellement ? Quel sera l’accompagnement mis en place ? Les contrôles seront-ils renforcés ? Comment sera-t-il expérimenté ? Les questions se sont bousculées, mais de nombreux participants sont restés sur leur faim. « C’est dans la concertation, dans le débat, nous n’avons pas encore tranché », a répété à plusieurs reprises Agnès Buzyn, précisant que « l’enveloppe allouée au RUA était constante » et n’allait donc pas diminuer. « Il est hors de question d’imaginer que les personnes au RSA touchent moins avec le RUA, ce n’est pas l’objet, mais c’est la juste prestation », a-t-elle indiqué, avouant avoir « découvert la multitude de prestations auxquelles les gens ont droit ».

Mais l’idée « d’unifier le maximum de choses, avec des formules mathématiques, pour créer un lissage » inquiète Pierre. « Vous avez raison, les effets de seuils sont à éviter absolument, mais je crains une usine à gaz fantastique. Simplifier ne veut pas forcément dire unifier et peut-être qu’unifier au contraire va complexifier », a-t-il regretté. Plusieurs militants ont pointé l’instabilité des aides sociales. « Quand un jeune travaille en apprentissage, cela touche le RSA des parents », ont-ils rappelé. Pour Claire, « cela n’est pas décent, cela veut dire qu’on demande à un enfant de s’occuper de nourrir sa famille »

Parmi les quelques réponses apportées, la ministre et sa secrétaire d’État ont cependant réaffirmé leur opposition à une obligation du bénévolat pour les bénéficiaires du RUA. « ll ne faut en rien l’inscrire dans un contrat et le rendre obligatoire », a précisé Christelle Dubos.

La présidente d’ATD Quart Monde, Claire Hédon, a rappelé l’importance d’expérimenter le dispositif et non simplement de le « modéliser », comme l’a indiqué la ministre. « Nous restons inquiets sur le montant du RUA et sur la façon dont se déroule la concertation. » Elle a tout de même souhaité rester optimiste et estimé que « la question de l’évaluation des politiques publiques  sur les 10% des plus pauvres de la population est en train de progresser ». Julie Clair-Robelet

Photo : Les membres d’ATD Quart Monde réunis à Pierrelaye autour d’Agnès Buzyn et Christelle Dubos le 29 août 2019. © JCR, ATDQM