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Regards croisés sur l’orientation scolaire

Parents, enseignants, chercheurs… tentent ensemble de comprendre comment la grande pauvreté pèse sur le cursus scolaire.

Les 9 et 10 décembre 2017, une trentaine de personnes ont participé à un Croisement des savoirs dans le cadre de la recherche lancée par ATD Quart Monde sur l’orientation scolaire. Elles ont d’abord travaillé au sein de leurs « groupes de pairs » – groupes d’enseignants, de parents solidaires, de militants Quart Monde, de professionnels et de chercheurs. Puis elles ont « croisé » leurs points de vue. Le Journal d’ATD Quart Monde a interrogé des personnes de chaque groupe.

Paulette Schmitt et Jacqueline Stegg, militantes Quart Monde à Reims et à Toulouse : « On décide sans nous »

Paulette : « Pour moi, l’orientation c’est l’incompréhension. Ma fille de 13 ans a été orientée dans un ITEP pour des raisons de comportement, sans nous demander notre avis. Nous, on veut qu’elle aille au collège. Elle aussi veut y retourner. Alors je me suis tournée vers le juge. Elle va aller dans un internat et suivre en partie en collège et en partie en ITEP. »

Jacqueline : « Il y a injustice et discrimination. On ne demande pas l’avis des familles pour orienter les enfants. Ça se décide d’un claquement de doigts. On ne sait pas dans quel but. Pourtant, qui connaît le mieux au monde son enfant que sa mère ? On ne consulte pas non plus les enfants, les premiers concernés.

En sixième, on avait voulu mettre mon fils dans une classe d’adaptation, une CPNN (aujourd’hui disparue). Nous, on a dit non. Il est arrivé jusqu’au bac. Mais il voulait faire Informatique et on l’avait mis en Électrotechnique. Ça l’avait découragé. Et le jour du bac, il n’y est pas allé, dégoûté. »

Nathalie Hayi, enseignante à Clamart (Hauts-de-Seine) : « Attention à la discrimination sociale »

« Il y a une injustice et des discriminations inconscientes. Mais il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. L’école, ce n’est pas une autoroute infernale où tout le monde doit avancer vite. L’ASH (adaptation et scolarisation des handicapés) peut être une opportunité pour des élèves de prendre d’autres chemins dès lors que c’est un choix et que l’on arrive au but souhaité. Il y a quelque chose de monstrueux à penser que tout le monde peut aller à la même vitesse sur le même parcours.

Je suis enseignante en Rased (Réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté où des professeurs formés prennent en charge, en primaire, des élèves quelques heures par semaine). Nous faisons tout pour que les enfants évoluent, pour leur redonner énergie et courage.

Mais il faut faire attention à la discrimination sociale. Ainsi, on se base sur des tests psychologiques qui mesurent des capacités. Or beaucoup d’enfants en précarité ne peuvent pas les montrer. Ils développent d’autres compétences non valorisées à l’école. »

Zihar Zayet, parente d’élèves à Saint Étienne : « Une question de moyens »

« On met les enfants dans des structures du médico-social et on camoufle ainsi l’échec de l’éducation nationale à faire réussir tous les élèves.

La première chose, ce sont les moyens. Depuis la rentrée, il y a 12 élèves dans les CP en REP+ (les réseaux d’éducation prioritaire renforcés). Puis ce sera étendu aux écoles en REP. Or il y a des élèves en difficulté en dehors des REP et ils sont dans des classes à 25 ou 30.

Il y a aussi une stigmatisation de certaines famille. L’enseignant peut avoir des préjugés qui pèsent sur l’orientation. Il faut mieux former les professeurs à détecter le handicap. J’ai appris avec ATD que l’on pouvait inscrire : «  Handicap social ». Ça m’a choquée.

Avec le Croisement des savoirs, je découvre des visions différentes. Nous les parents engagés – je suis à la PEEP (fédération des parents d’élèves de l’école publique) -, nos enfants réussissent. On a du mal à faire venir les autres parents. On a un travail à faire sur nous car on est là pour eux. »

Alain Pothet, inspecteur chargé de l’éducation prioritaire dans l’académie de Créteil : « Il faut une prise de conscience »

« On peut parler de discrimination involontaire, certainement inconsciente, liée à des représentations et à des habitudes. Si on veut lutter contre cette « fatalité » (l’orientation précoce des enfants en situation de pauvreté), il va falloir travailler dessus, de sorte que le système éducatif abandonne ses attitudes habituelles et fasse des pas de côté.

Les personnels d’encadrement on un rôle à jouer : amener les acteurs à réfléchir sur ce qu’ils font. Imposer de nouvelles règles et de nouvelles lois alors que des textes existent déjà, ne servirait à rien sans une réflexion préalable sur les habitudes. Dans l’académie de Créteil, nous avons décidé de faire vivre à tous les enseignants un temps de réflexion autour du livre d’ATD Quart Monde « En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté ».

Il faut aussi une prise de conscience de toute la société. Nous subissons une pression énorme des familles plus favorisées qui ont peur de la mixité sociale. C’est indispensable pour avoir une école citoyenne. »

Hugo Dupont, maître de conférences à l’université de Poitiers : « Penser la diversité sociale »

« On peut parler d‘une injustice, contraire à ce que l’école dit vouloir faire – assurer l’égalité des chances et distinguer le mérite. Quand on regarde le processus d’orientation, l’école classe et valorise les élèves qui savent déjà, plutôt que ceux qui apprennent et qui se trompent.

L’école n’arrive pas à penser la question de la diversité sociale et son impact sur les apprentissages, alors qu’elle devrait s’y adapter. Si l’élève n’a pas de bons résultats, c’est qu’il ne travaille pas assez, qu’il a un « trouble », que l’on ne fait pas ce qu’il faut à la maison… On externalise les raisons de l’échec.

Il ne s’agit pas de jeter la pierre aux enseignants. Le problème principal d’après moi, est la politisation de l’école. Dès que l’on veut faire une réforme, les uns crient à la baisse de niveau, les autres brandissent une atteinte à l’esprit républicain. Dans les pays du nord par exemple, au-delà de la couleur politique du pouvoir, il y a continuité des politiques éducatives. Sans stabilité, on n’avance pas. »

A lire

2 rapports :

Une école de la réussite pour tous
L’Avis du CESE présenté en mai 2015 par Marie-Aleth Grard
A télécharger sur www.lecese.fr

Grande pauvreté et réussite scolaire
Jean-Paul Delahaye, IGEN, mai 2015
A télécharger sur www.education.gouv.fr

Et aussi :

Tous peuvent réussir !
Partir des élèves dont on n’attend rien
Régis Félix et onze enseignants membres d’ATD Quart Monde, préface d’Antoine Prost
2013, Chronique sociale-Éd. Quart Monde, 144 p.,16,90 €

Quelle école pour quelle société ?
Chronique sociale-Éd. Quart Monde

Actes des ateliers pour l’École
Dossiers et documents n°24, Éd. Quart Monde 2015

58%

des élèves de SEGPA sortent du système éducatif sans aucun diplôme, selon la DEPP, la direction statistique du ministère de l’Education nationale – 20% des sortants partent en cours de collège, 30% à la fin et le reste abandonne dans la voie professionnelle.

La citation

 » L’école veille à l’inclusion scolaire de tous les enfants, sans aucune distinction  » (Loi de refondation de l’école du 8 juillet 2013, art. 2)